MICHEL MOREAU et sa femme Huguette ont trouvé leurs successeurs : Thibaut et Sophie Henrion, diplômés de l'enseignement supérieur agricole, mais sans expérience en viticulture. Le 1er novembre 2008, ils ont créé l'EARL Moreau-Henrion dont les Moreau et Thibaut Henrion détiennent chacun la moitié des parts. Huguette Moreau restera associée exploitante jusqu'à sa retraite dans quatre ans. Quant à Michel, il a pris sa retraite. © F. BAL
« Cédant cherche un repreneur de manière urgente. » C'est en ces termes que Michel Moreau, exploitant du domaine des Troglodytes à Doué-la-Fontaine, s'inscrit au répertoire départ-installation du Maine-et-Loire en août 2007. Son exploitation compte alors 22,5 ha de vigne en appellations Anjou et Saumur et 100 ha de céréales.
De longue date, Michel Moreau et son épouse avaient préparé la transmission à leur neveu, salarié pendant dix ans sur l'exploitation. Mais au dernier moment cela ne s'est pas réalisé.
« Je me suis toujours dit, cette affaire, l'affaire de toute ma vie, il faut que je la transmette, commente Michel Moreau. C'était vital… Plus je m'approchais de l'âge de la retraite, plus je me sentais mal. Si j'avais dû éparpiller le domaine ou le vendre à des investisseurs, je l'aurais mal vécu. Je préférais transmettre à un jeune. »
Ainsi, lorsque Thibaut Henrion, fils d'agriculteurs de l'Aisne et sa future épouse, Sophie Ronsenzweig, se sont portés candidats, « le courant est tout de suite passé, commentent les deux couples. On s'est mis d'accord, et puis on est parti. »
Ils créent une EARL dont chacun détient la moitié des parts
Les jeunes exploitants effectuent leur stage de parrainage sur le domaine de mars à septembre 2008, date de départ à la retraite de Michel Moreau à l'âge de 58 ans. La reprise est officialisée le 1er novembre 2008, jour de la création de l'EARL Moreau-Henrion. Cette société d'exploitation détient l'ensemble du matériel agricole et viticole, ainsi que la cuverie et les stocks. Thibaut Henrion emprunte 150 000 euros pour en acheter la moitié des parts, l'autre moitié appartenant à Michel Moreau qui reste propriétaire des terres.
Michel Moreau est soulagé. L'exploitation qu'il a reprise en 1976 continuera. A l'époque, elle ne comptait que 2 ha de vigne. L'exploitant l'a patiemment agrandie, en achetant de petits lopins par ci par là. Toute sa vie, il a conduit le vignoble de manière conventionnelle, en désherbage total.
Au départ, il vend sa récolte en vrac par l'intermédiaire d'un courtier. Cela n'a pas toujours été simple. Dans les années 1980, il reconnaît « avoir bradé sa production juste avant les vendanges à trois ou quatre reprises. Nous avons eu des périodes très difficiles. Mais j'en ai tiré avantage. Lorsque les cours des vins étaient bas, j'ai pu acheter des terres à un bon prix. » Et d'ajouter « le pire dans la vie d'un vigneron est de ne pas pouvoir vendre son produit ».
En 1990, après un doublement de la surface de vigne à 14 ha, il devient actionnaire de « La maison du rosé », une société d'intérêt collectif agricole (Sica), qui achète des moûts et des vins et livre en vrac des négociants ou embouteilleurs.
« C'est une structure à mi-chemin entre la coopérative et le négoce. C'était une bonne solution pour mon domaine. D'une part, je m'affranchissais du diktat des courtiers. D'autre part, cela réglait mon problème de stockage des vins. Je n'ai donc pas eu à investir sur ce point. »
Depuis cette date, Michel Moreau ne vinifie plus que les vins qu'il vend en direct, pour l'essentiel en cubis de 10, 20 ou 30 litres. Bon an, mal an, cela représente 200 hl en appellations Cabernet-d'Anjou, Saumur rouge et vin de pays du Maine-et-Loire.
En 2009, pour la première fois de leur vie, Thibaut Henrion et son épouse ont cultivé de la vigne, vendangé, pressé du raisin et vinifié, eux qui n'avaient aucune culture ni expérience en la matière.
Thibaut Henrion a été surpris par l'importance du poste de main-d'œuvre sur les parcelles de vigne : 180 heures par ha et par an contre 7 heures par ha et par an seulement pour les céréales, a-t-il enregistré. En pur gestionnaire, il entend faire face à la crise en optimisant les coûts de production. Il envisage d'augmenter soit les rendements, soit la taille du vignoble de manière à mieux rentabiliser le matériel viticole dimensionné pour 45 ha de vigne alors que l'exploitation n'en compte que 22,5.
S'il devait agrandir sa surface en vigne, les 1 600 hl de cuverie, dont 1 000 hl en inox, ne suffiraient plus. Il lui faudrait construire un nouveau chai, ce qu'il n'envisage pas dans l'immédiat.
Thibaut et Isabelle Henrion réfléchissent également à l'opportunité de développer les ventes directes, mais ce n'est pas leur piste privilégiée. D'autant que « les prix de vente au consommateur - de 3 à 5 euros - sont très modérés. Mais on a la chance de vendre », note Michel Moreau qui va conseiller le jeune couple jusqu'au départ de sa femme à la retraite, prévu dans quatre ans.
Le jour où... « J'ai emprunté 1,5 million de francs »
« En mars 1989, j'ai emprunté 1,5 million de francs pour acheter 7 hectares de vigne et un terrain de 4 500 m2, comprenant une maison, à Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire). L'opération a été réalisée par la Safer. Elle m'a permis de doubler ma surface de vignes. Elle été la clef de mon développement. Mais il y a bien des nuits où je n'ai pas dormi. Car l'emprunt couvrait seulement l'achat du foncier. J'ai dû autofinancer les autres investissements. Et la première récolte a grêlé très tôt au printemps. J'ai perdu la moitié des rendements.
Depuis, j'ai construit petit à petit 1 000 m2 de bâtiments qui abritent tout mon matériel d'exploitation agricole et viticole. J'avais déjà l'idée de faciliter la transmission si bien que j'ai été attentif à respecter les normes les plus récentes.
En 1989, j'ai également déposé la marque « Domaine des Troglodytes » auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Nos caves, très grandes, sont en effet creusées dans du falun. Je pensais, avec raison, que c'était un nom porteur. »