Comment les relations entre producteurs et négociants traversent-elles la crise ? Pour le savoir, « La Vigne » a enquêté dans les principales régions viticoles françaises. En lisant notre dossier exclusif, vous verrez pourquoi ces relations se grippent. En Beaujolais, elles sont au plus bas après une nouvelle baisse des prix des vins primeurs et des volumes échangés, survenue cet automne. Les producteurs reprochent au négoce de ne pas avoir su vendre un millésime 2009 excellent, ni défendre les prix face aux grandes surfaces.
A Bordeaux, les producteurs se demandent où sont passés les acheteurs. Ils voient que la nouvelle campagne démarre sans entrain alors que la précédente s'était déjà soldée par une baisse de 30 % des volumes échangés en vrac en comparaison de 2007-2008. Beaucoup soupçonnent les négociants de parier sur une nouvelle chute des cours. Ce à quoi les intéressés répondent qu'ils cherchent surtout à ne pas acheter plus cher que leurs concurrents. Ils observent et attendent aussi longtemps qu'ils peuvent. Car une bonne partie du négoce semble être tout simplement devenue le courtier des grands acheteurs français ou internationaux. Elle leur soumet des échantillons puis attend d'avoir décroché un marché pour passer aux achats.
La lutte des classes a fait son temps
En Champagne, en Touraine et dans le Pays nantais, les griefs s'accumulent aussi. Et que dire du Midi ou des Côtes-du-Rhône où les rapports entre les deux familles ont toujours été chargés de ressentiment ? Dans ces régions, trop de vins s'échangent sur le marché spot où les uns gagnent une année ce que les autres espèrent leur reprendre la suivante.
Un tableau bien sombre en apparence. Mais au fond de soi, chacun sait qu'il ne peut pas se passer de l'autre. La production voit que le négoce a été pris dans la tourmente de la crise économique. Les négociants avisés savent que les prix doivent remonter, car trop de vignerons ne vivent plus de leur travail et ne peuvent plus investir. La lutte des classes semble avoir fait son temps. La preuve ? C'est dans le Midi, longtemps révolutionnaire, que s'inventent les partenariats les plus originaux entre coopératives et négociants. Chacun reconnaît le savoir-faire de l'autre. Les deux parties passent des accords avec l'ambition de faire de beaux produits, bien valorisés pour les producteurs. Et si des vignerons ou des coopératives continuent de vouloir se regrouper, c'est pour mieux aborder les marchés, et non pas pour faire rendre gorge au négoce. Beaucoup ne souhaitent qu'une chose : coller aux attentes de leur acheteur pour être mieux payés en retour. Malheureusement, le résultat n'est pas toujours atteint.
Par ailleurs, il reste des régions au climat serein malgré les inévitables conflits d'intérêt. En Alsace, en Bourgogne ou dans le Centre, la plupart des vignerons indépendants et des coopératives savent ce qu'il faut de temps, d'investissement et d'application pour défendre des prix rémunérateurs, car ils vendent eux-mêmes en bouteilles. De leur côté, les négociants savent ce qu'il en coûte de produire de beaux raisins, car la plupart d'entre eux sont des producteurs qui ont bien réussi dans la vente. Voilà un autre modèle qui semble appelé à se développer.
Ainsi, bien que la tension monte du fait de la crise, on ne sent pas de volonté de rupture entre les deux parties. Sur le terrain, producteurs et négociants tentent de renforcer leurs liens pour mieux rebondir dès que l'économie repartira.