En Languedoc, entre production et négoce, cela n'a jamais été le grand amour. Avec la crise, les tensions s'exacerbent. La production reproche au négoce de ne pas payer les vins assez chers, quand ce n'est pas de vouloir la ruiner. Le négoce répond qu'étant soumis aux lois du marché, il ne peut pas faire mieux. Il prêche pour l'augmentation des rendements, et non des prix, pour améliorer les marges. Et il pointe du doigt les groupements de producteurs, qui « cassent les prix pour remporter les appels d'offres des centrales d'achat ».
Beaucoup de structure de concertation
Le négoce déplore aussi de ne pas toujours trouver les qualités qu'il veut. Comme, par exemple, les rosés de cinsault, pour lesquels la demande explose alors que ce cépage a été exclu de la prime à la plantation jusqu'à l'an dernier.
« Il n'y a pas d'avancée. Nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord sur un plan d'action pour valoriser la production du Languedoc. » Le constat est de Michel Bataille, président du groupement de producteurs des Vignobles Foncalieu et président du syndicat régional du négoce jusqu'à fin 2009 où il a démissionné à cause de cet immobilisme.
Pourtant, avec quatre interprofessions, une fédération de ces interprofessions et un conseil de bassin régulièrement convoqué par le préfet de région, les structures de concertation ne manquent pas. Mais les énergies s'y perdent. « Quatre interprofessions pour une région, c'est déraisonnable. Cela ne sert pas les intérêts des vignerons », a tonné Bruno Le Maire, le ministre de l'Agriculture. « Les représentants de la viticulture languedocienne sont plus des politiques que des techniciens. Les débats sont gangrenés par les luttes de pouvoir », analyse un observateur.
Mais sur le terrain, l'ambiance est bien différente. Les vignerons, les coopératives et les négociants que nous avons interrogés n'ont qu'une envie : faire en sorte que les vins se vendent au mieux. « Le dialogue est difficile quand il se focalise sur les prix, analyse Claude Robert, vigneron en cave particulière à Capestang (Hérault) qui vend en vrac et en bouteilles. Les producteurs qui ne vendent pas en bouteille se réjouissent quand les prix s'envolent, comme il y a quelques années lorsque le chardonnay est passé de 50 à 90 €/hl. Mais quand on vend en bouteille, on sait bien qu'une flambée des cours aboutit à des pertes de parts de marché. Ce dernier réclame une régularité de qualité et de prix. Nous devons en tenir compte. »
« Nous avons des relations de plus en plus professionnelles avec nos acheteurs vrac, témoigne Séverine Pinte, de la cave de Saint-Félix-de-Lodez (Hérault). On se rencontre une fois pas an, avant les vendanges, pour définir un cahier des charges. Le négoce est de plus en plus exigeant. Il nous interdit l'utilisation de certains produits comme la caséine ou le sulfate d'ammonium. Il retire aussi les vins au coup par coup. Cela occasionne des frais qui ne sont pas forcément répercutés sur les prix d'achat. Mais à partir du moment où on est sérieux, la confiance s'installe. Nous travaillons en bonne intelligence. Il est toujours possible d'obtenir l'enlèvement d'un volume qui pose problème pour les relogements en cave. »
Les partenariats fructueux passés entre la maison Jeanjean et les caves de l'Omarine pour le picpoul-de-pinet, Embres-et-Castelmaure pour les corbières et les producteurs de vins des Sables témoignent également de ce bon état d'esprit.
Des ventes en dessous des coûts de production
« Nous définissons ensemble les objectifs de vente et les moyens promotionnels. Les vignerons s'engagent à réaliser des animations en magasin. Les deux parties travaillent à créer de la valeur ajoutée. Cela fonctionne bien sur des produits de terroir. Nous cherchons d'autres caves pour établir des partenariats semblables », relate Gilles Gally, directeur des achats vin chez Jeanjean.
Malheureusement, ces accords concernent peu de volume. Une grande partie des vins du Languedoc se vend en dessous des coûts de production depuis des années. Pour la Fédération des caves coopératives, seul le regroupement de l'offre permettra de reconstruire de la valeur ajoutée.
« Avec 240 coopératives et quelque 3 000 caves particulières, la production est éclatée, ce qui fait le jeu des acheteurs à bas prix. Si nous arrivons à concentrer cette offre, cela servira les intérêts des deux familles. Le négoce gagnera à ce regroupement qui lui garantira que ses concurrents ne trouveront pas moins cher ailleurs », défend Boris Calmette, président de la Fédération régionale des caves coopératives.
Projet d'interprofession unique
Lancé il y a près de deux ans, le projet peine à se mettre en place. « C'est un travail d'évangélisation. Il faut arriver à convaincre. Mais c'est dans les situations difficiles qu'on arrive à se réorganiser. La création des coopératives au début du siècle dernier en est le meilleur exemple », assure Boris Calmette, persuadé que les choses vont évoluer au cours de cette campagne.
L'autre élément qui pourrait rapprocher les deux familles, c'est la prise de conscience du pouvoir sans cesse accru de la grande distribution. « La production qui jusqu'ici accusait le négoce de faire baisser les prix, réalise que c'est la GD qui tire les ficelles. Les attaques ont changé de cible », observe le courtier Louis Servat. Avoir un ennemi commun rapproche, comme en témoignent quelques signes encourageants. Les deux nouveaux présidents d'Inter Oc et de l'interprofession des AOC du Languedoc viennent de présenter un programme de travail en commun et veulent relancer le projet d'interprofession unique.
Le syndicat des vins de pays d'Oc vient d'accepter de relever ses plafonds de rendement de 80 à 90 hl/ha, cédant à une demande de longue date du négoce. De son côté, le négoce commence à s'inquiéter des arrachages. Il se dit que ses approvisionnements futurs en pâtiront. Des petits pas certes, mais qui valent mieux que l'immobilisme.
Le Point de vue de
Guillaume Bonzoms, directeur de la cave de Cers-Portiragne (Hérault), 77 000 hl par an, dont 65 000 hl vendus en vrac
« Le négoce est de plus en plus précis dans ses achats »
« Nous travaillons avec une quinzaine d'acheteurs, dont douze qui achètent très régulièrement d'une année à l'autre. 70 % des volumes que nous vendons en vrac passent par des courtiers. La relation avec les acheteurs de vrac reste bon enfant, même si on sent bien qu'ils sont de plus en plus sous pression. C'est une relation très différente de celle que nous avons avec les acheteurs de vin en bouteille, avec qui les rapports sont beaucoup plus froids. Les acheteurs de vrac s'intéressent à la production, ils ont la volonté de rester proches de nous. C'est une relation où la parole donnée reste une valeur.
Depuis cinq ans, les rapports évoluent. Le négoce devient de plus en plus précis dans ses achats. En mai-juin, il nous définit un profil produit pour les vendanges à venir, à notre charge d'arriver à cet objectif. Certains imposent même un itinéraire technique. Ces exigences ne sont assorties d'aucun engagement sur l'achat des vins. Coller aux exigences du négoce ne permet pas de mieux valoriser la production, mais c'est une voie obligée si l'on veut vendre. Dans 80 % des cas, nous répondons à l'objectif et nous finalisons la transaction. Mais le problème du vrac, c'est que la qualité n'est pas suffisamment rémunérée. En début de campagne, les gros acheteurs donnent la tendance sur laquelle tout le monde s'aligne. Nous avons peu de poids pour négocier. On sent bien que la situation économique est difficile et que le négoce souffre aussi. »