Les recommandations de prix diffusées par les syndicats en début de campagne sont-elles légales ? Non, affirme la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Dans un courrier adressé mi-août à Coop de France et aux Vignerons indépendants du Languedoc-Roussillon, elle leur reproche d'avoir accentué la hausse des cours durant la campagne 2012-2013 en communiquant sur des objectifs de prix.
La Direccte leur enjoint de ne plus le faire. Et leur demande, pour clore la procédure, de verser à l'État une somme de 6 000 euros pour Coop de France et de 2 000 euros pour les Vignerons indépendants. Faute de quoi leur dossier sera transmis à l'Autorité de la concurrence. Les deux syndicats ont jusqu'à la mi-octobre pour répondre.
C'est un communiqué daté du 27 novembre 2012, signé de Boris Calmette et Pierre Gassier, les présidents de ces deux syndicats à l'époque, qui a déclenché la procédure. Le ton en était très ferme. « Avec détermination, nous affichons : rien en dessous de 85 €/hl pour les AOP, avec une orientation à 100 €/hl. Et pour les vins de cépage rouge et rosé, rien en dessous de 75 €/hl, avec une orientation à 80 €/hl en coeur de gamme », et ainsi de suite pour les différentes catégories de vins.
« La petite récolte 2012 justifiait des hausses de prix. Mais en début de campagne, des rumeurs de baisse infondées circulaient malgré tout. Nous voulions partager notre analyse des marchés et donner des points de repère aux caves », explique Boris Calmette, le président de Coop de France Languedoc-Roussillon.
Entente sur les prix. La Direccte y voit bien plus que cela, à savoir une entente sur les prix qui a faussé le libre jeu de la concurrence. Dans son rapport d'enquête envoyé aux deux syndicats mis en cause, elle détaille l'évolution des cours durant cette campagne. Elle observe pour chaque catégorie de vins si ceux-ci atteignent ou non le prix plancher et le prix d'orientation indiqués dans le communiqué.
« Elle en conclut que, lorsque les prix sont arrivés à ces niveaux, c'est à cause de nos recommandations. Mais les cours ont aussi augmenté au même moment en Italie et en Espagne, sans que nous y soyons pour rien. Notre influence ne va pas jusque-là ! » relève François-Régis Boussagol, l'actuel président des Vignerons indépendants.
« Nous donnons des informations, mais nous n'exerçons aucune pression sur nos adhérents. Chacun d'eux négocie ensuite librement de son côté », tient à souligner Boris Calmette. Et, de fait, les prix de vente réels pratiqués par les entreprises restent très variables.
Pour établir leurs recommandations, les deux syndicats se sont appuyés sur leur analyse des marchés, ainsi que sur une étude réalisée en 2012 par le CERFrance Midi à la demande du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL). Cette étude établissait des coûts de revient en fonction du type de vin et du rendement. Elle constatait que les prix obtenus par les producteurs ne couvraient pas ces coûts. « Après plusieurs années de dégradation des cours, la situation financière de la majorité des exploitations devenait très difficile. Il était urgent de remonter les prix de vente », relève Boris Calmette.
La Direccte, de son côté, considère que cette étude collective de coûts a fourni des éléments susceptibles de limiter l'autonomie des vignerons dans leur négociation des prix. Elle en a informé le CIVL par courrier, en lui enjoignant de ne pas recommencer. Des représentants de la Draaf et de FranceAgriMer faisaient pourtant partie du comité de pilotage de cette étude, et aucun d'eux n'avait émis de réserve sur sa légalité.
Comprendre l'évolution de la filière. L'observation des marchés et de l'offre fait en effet partie des missions du CIVL. Établir si les vignerons vendent à perte ou non lui donne la possibilité de comprendre l'évolution de la filière. Une préoccupation qui paraît légitime et qui permet d'expliquer pourquoi les arrachages de vignes et des cessations d'activité se sont succédé entre 2005 et 2010.
« Durant cette période, les cours étaient inférieurs en moyenne de 20 €/hl aux coûts de production. Seuls 20 % des vignerons arrivaient à dégager un revenu équivalent au Smic », note le CERFrance Midi dans sa dernière synthèse de l'observatoire régional de la production viticole.
Coop de France Languedoc-Roussillon et la Fédération des Vignerons indépendants n'ont pas encore décidé de la réponse qu'ils allaient donner au courrier de la Direccte. Le CIVL compte, lui, bien rouvrir le débat sur la vente à perte au prochain conseil de bassin viticole, qui doit se tenir début octobre.
Le code du commerce interdit la revente à perte entre négociants, grossistes, cavistes ou distributeurs, mais pas la vente à perte entre le producteur et le premier acheteur. Lorsque la concentration des entreprises de l'aval pèse sur les prix, c'est ce premier maillon qui finit par céder, car aucun texte de loi ni mécanisme de régulation ne le protège.
En Languedoc-Roussillon, 2 900 caves particulières et 225 coopératives ont en face d'elles un petit nombre d'acheteurs. Les syndicats, au travers de leurs recommandations de prix, cherchent à rééquilibrer les rapports de force, pour que les prix permettent à chacun de dégager une marge.
C'est d'ailleurs le premier objectif du plan stratégique élaboré par le conseil de bassin viticole, présidé par le préfet de région. Ce plan rappelle que la pérennité de la filière passe par sa rentabilité, chacun devant pouvoir vivre de son travail.
Des recommandations de bon droit
En Alsace, l'administration a attaqué dès 2005 les négociations au sein de la commission paritaire interprofessionnelle pour parvenir à un accord sur les prix. Lors des sept campagnes suivantes, la commission s'est officiellement contentée de « constater les prix », une formule qui ne trompait personne. Sous la pression de l'administration, elle a publié son dernier « constat » en 2011. Aucun chiffre n'est sorti en 2012. L'Association des viticulteurs d'Alsace (Ava) a repris le flambeau en 2013 en publiant en fin d'année une recommandation de prix. Elle a récidivé cette année. Dès le mois de juin, elle a adressé à tous ses membres un courrier comprenant un modèle de contrat de vente de raisins et une lettre les incitant à négocier leurs tarifs selon une grille de prix « syndicale » par cépage. Ces prix constituent, selon l'Ava, « la base minimale » en dessous de laquelle les viticulteurs ne doivent pas signer sous peine de perdre de leur marge. « Comme les anciens accords de prix, nos recommandations constituent une ligne directrice qui évite les dérives et invite les opérateurs à pratiquer des prix raisonnables qui laissent une marge à tout le monde. Il n'y a d'ailleurs jamais eu d'entente, car, de tout temps, des entreprises ont payé en s'écartant du prix interprofessionnel », commente Frédéric Bach, directeur de l'Ava. Fin août 2014, Éric Mallet, directeur de la Draaf, a confirmé devant l'assemblée générale de l'Ava que le syndicat était dans son bon droit en publiant ses recommandations.
Le consommateur prime sur le producteur
L'article L 420-1 du code du commerce interdit toute concertation sur les prix. « Dès que deux entreprises parlent ensemble des prix qu'elles vont pratiquer, c'est une entente, qui est interdite par la loi », rappelle André Marie, le directeur du bureau de la politique de la concurrence à la DGCCRF. L'objectif est d'éviter que les producteurs de biens ou de services augmentent leur prix au détriment du consommateur au lieu de se faire concurrence. L'article L 420-4 prévoit des exceptions et cite le cas des produits agricoles. Mais les conditions d'application de ce texte sont très restrictives. Et même si la sauvegarde de l'emploi et le progrès économique sont évoqués, ce dernier doit d'abord profiter au consommateur.
Le Point de vue de
« Les règles de la concurrence, qui visent à obtenir les prix les plus bas possible, ne sont pas adaptées aux produits agricoles. Dans notre appellation, le décret qui fixe les conditions de production impose des pratiques précises au vignoble. Tout cela conditionne nos coûts. Cela fait partie de notre mission de mettre le doigt sur le niveau de ces coûts, indispensables pour obtenir la qualité souhaitée, et de rappeler la nécessité de ne pas vendre à perte. Défendre l'appellation ne suffit pas. Pour qu'elle perdure, il faut aussi que les vignerons vivent de leur travail. Lorsque les cours de l'appellation Corbières étaient descendus à 65 €/hl en 2009, ce n'était plus le cas ! Par petites étapes, en tenant compte de l'équilibre entre offre et demande, nous sommes remontés à 100 €/hl. Mais ce n'est pas encore suffisant. Pour pouvoir faire face aux petites années, nous devons viser 115 à 120 €/hl. Si la vente à perte était interdite à la production, nous n'aurions pas besoin de faire ces recommandations de prix. Mais ce n'est pas le cas. Nous devons donc agir pour éviter que nos vins ne partent à des prix trop bas et que des pans de notre filière ne disparaissent. Sinon, les vignes continueront à s'arracher autour de nous, ce qui se traduira par de la richesse en moins sur notre territoire, et des chômeurs en plus. »