Pour un peu, l'homologation de Runner serait passée inaperçue. Bayer CropScience n'a pratiquement pas communiqué sur le sujet. Pourtant, ce nouvel insecticide de la famille des régulateurs de la croissance des insectes (RCI) semble particulièrement intéressant.
Les établissements Touzan, en Gironde, l'ont ajouté à leur gamme. « Son profil écotoxicologique est très bon. Le délai de rentrée dans les parcelles est très court (six heures). Il reste efficace, même sur des œufs à des stades avancés, contrairement aux RCI actuels qui doivent être positionnés juste après le début des vols. Avec le Runner, les viticulteurs ont une semaine pour réaliser le traitement après le début des vols, alors qu'avec les produits de préoviposition, ils n'ont qu'un jour ou deux. Cette souplesse est utile pour coller aux difficultés d'organisation sur le terrain.
En plus, le produit est très régulier sur cochylis et sur eudémis. Dans notre région où les populations sont mixtes, il nous permet d'avoir une réponse sécurisée pour les deux ravageurs », expose Tristan des Ordons.
Marie-Laure Panon du CIVC (Comité interprofessionnel des vins de Champagne) souligne aussi son haut niveau d'efficacité. « Nous l'avons référencé sur le créneau des ovicides face à Inségar, la référence haut de gamme. En revanche, nous allons privilégier le positionnement ovicide, car dans nos essais sur cochylis nous avons vu qu'il est plus efficace qu'au stade tête noire », indique-t-elle.
Du 15 juin au 15 juillet seulement
Malheureusement, ce produit est soumis à de sévères restrictions d'emploi. Les viticulteurs ne peuvent l'utiliser qu'une année sur deux et seulement du 15 juin au 15 juillet. Dans la plupart des vignobles, cette période correspond à la deuxième génération. Mais dans le Sud-Est, c'est un peu tard. « Au 15 juin, nous avons déjà fait une grande partie des traitements ovicides contre cette génération », regrette Thierry Favier, de la CAPL (Coopérative agricole Provence-Languedoc).
« Ces restrictions sont une contrainte, admet Frédéric Derolez, chef de marché vigne chez Bayer CropScience. Car Runner est performant sur toutes les générations de tordeuses et peut donc être utilisé pendant toute la saison. Mais l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) n'a pas accepté tous les paramètres servant à l'évaluation des risques pour les eaux souterraines qui étaient dans le dossier d'homologation. Par précaution, elle a imposé des conditions d'emploi strictes. Avec Dow Agrosciences, qui détient l'homologation du méthoxyfénozide, nous avons déposé un dossier pour que ces restrictions soient levées. »
Le Runner est autorisé contre eudémis, cochylis et eulia. Sa matière active est le méthoxyfénozide, un RCI. Plus précisément, il s'agit d'un MAC (accélérateur de la mue, Moult Accelerating Compound en anglais). « Il provoque la mue avant que le ver soit prêt. L'insecte cesse de se nourrir et meurt. Il agit principalement par ingestion mais aussi par contact, dans les heures qui suivent le traitement, alors que les autres RCI peuvent mettre quelques jours », argumente Frédéric Derolez.
Distributeurs et conseillers ajoutent que ce produit vient à point nommé. « La liste des insecticides se réduit. En 2011, nous allons donc perdre le Lufox. De son côté, Cascade a été classé T, ce qui le condamne », rapporte Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture de Côte-d'Or. Il y a donc un besoin de nouvelles solutions.
Le Point de vue de
Marc Guisset, responsable de l'unité expérimentation vigne, à la chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales.
« Plus de 85 % d'efficacité »
« Nous sommes dans une région où la pression eudémis est très forte. Trois générations se succèdent chaque année. Nous avons travaillé le Runner en 2007 en comparaison avec le flufénoxuron (Cascade). Nous l'avons appliqué en deuxième génération sur l'eudémis. Nous avons testé deux positionnements : tout début de dépôt des pontes et début stade tête noire, pour vérifier sa souplesse d'utilisation. Runner a eu un très bon niveau d'efficacité, supérieur à 85 % sur les deux positionnements.
C'est un gros avantage, car cela laisse au viticulteur une semaine de marge de manœuvre après le début des pontes, pour réaliser le traitement. Avec les autres RCI, à deux jours près, on peut perdre 20 % d'efficacité.
L'arrivée de Runner est une aubaine pour notre région. En Roussillon, nous avons constaté des baisses d'efficacité des insecticides en général sur eudémis, sans pour autant parler de résistance. Aujourd'hui, pour avoir des résultats satisfaisants, nous conseillons aux viticulteurs d'utiliser une famille différente ou un mode d'action différent par génération. Le Runner appartenant à une nouvelle famille chimique offre donc une possibilité d'alternance supplémentaire. »