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VENDRE - C'est tendance

L'anglais envahit les étiquettes et la communication

Chantal Sarrazin - La vigne - n°224 - octobre 2010 - page 56

Des vignerons osent cette langue pour être plus percutants et pour dépoussiérer l'image du vin. C'est un moyen de séduire la clientèle à l'export et les jeunes générations en France.

Pink, The New Black Wine, Cool Moon, So'Light… Des titres de pop anglaise ? Détrompez-vous ! Ce sont tous des noms de vins 100 % tricolores. L'anglais envahit nos étiquettes. Mais pas seulement. Les bars à vin deviennent des « wine bars ». C'est plus chic ! A Bordeaux, on peut déguster des grands crus classés au verre à la Wine gallery. A trente minutes de la ville, la Winery est un lieu d'œnotourisme à vocation pédagogique. Find a wine, Idealwine, etc. sont des sites internet marchands… On y perd son latin. Les raisons de cette mode ? Elles sont multiples. « De plus en plus, les vignerons lancent des produits pour l'export, observe Franck Vessier, directeur commercial et marketing de la maison d'armagnac Samalens. Ils choisissent l'anglais pour ne pas avoir à doubler les étiquettes. »

La langue de Shakespeare a d'autres avantages. Elle est souvent plus percutante que le français. « En peu de mot, on évoque ce que l'on veut dire, remarque Valérie Vincent, responsable de la communication chez Gabriel Meffre. Prenez “after work”, ces rendez-vous que les employés de bureau se donnent après le travail pour aller boire un verre, c'est quand même plus efficace “qu'après le travail”. L'anglais sort les vins français de leur côté traditionnel. Il les rend plus accessibles aux jeunes. » Décidément, Shakespeare l'emporte sur Molière.

Black Tie L'élégance

50 000 cols

10 € la bouteille prix départ cave

Ce vin a été servi lors du repas de remise des prix Nobel à Oslo (Suède), en 2006. Ce soir-là, « Black Tie », « tenue de soirée » en français, était dans son élément. « Nous l'avons baptisé ainsi, car cette expression renvoie à l'élégance, à l'idée d'exception, de fête… », expose Alex Heinrich, directeur général de la cave des vignerons de Pfaffenheim (Haut-Rhin). Ce vin d'Alsace est un assemblage de 50 % de pinot gris et de 50 % de riesling, à contre-courant de l'offre alsacienne constituée de vins de cépage. A l'export, il fonctionne à merveille. Il est présent dans une quinzaine de pays où il est essentiellement vendu dans la restauration haut de gamme. Depuis peu, il fréquente les étoilés français. « C'est davantage la nouveauté qui les a séduits que le nom, car tous nos compatriotes n'en saisissent pas le sens », confie Alex Heinrich. Seule différence : en France il est bouché avec du liège, à l'étranger avec une capsule à vis.

Fat bastard Le pionnier

4 millions de cols

6 € TTC la bouteille en France

1998. Dans les chais de Gabriel Meffre, à Gigondas, Thierry Boudinaud, l'œnologue maison de l'époque, et Guy Anderson, un importateur anglais, dégustent un chardonnay élevé en barriques. Le premier lance : « It's a fat bastard ! ». Littéralement, « C'est un gros bâtard », mais dans le langage populaire cela signifie : « C'est une bombe ! ». « A l'époque nous voulions nous développer en Grande-Bretagne », rappelle Valérie Vincent, responsable de la communication de Gabriel Meffre.

Ainsi, l'entreprise a baptisé sa cuvée « Fat bastard ». Et elle fait mouche. « Nous étions parmi les premiers Français à utiliser l'anglais. La curiosité a joué. » Aujourd'hui, la gamme compte huit cépages vendus dans seize pays. Les Etats-Unis en sont désormais le premier client. Fat bastard y occupe la troisième place des marques tricolores. En France, le succès est plus mitigé. « Les grossistes sont réticents à référencer des vins avant-gardistes. Le mot bastard est mal perçu. »

D'un coup les vins, les événements et les restaurants deviennent tendance… Wine & Transat

Tous les mardis de l'été, depuis l'an dernier, les vins de Crozes-Hermitage (Drôme) sont servis sur le pont de la péniche la Plateforme, qui est à quai sur le Rhône. On les déguste-là, dans une ambiance jazzy, au prix départ cave. C'est l'opération Wine & Transat. « Nous ciblons une population plutôt jeune, très urbaine pour qui l'anglais est quotidien », révèle Marie Gaudel, directrice de l'agence Clair de Lune, en charge de la manifestation. Les invitations s'opèrent via Facebook, tout comme les inscriptions aux ateliers de dégustations, qui se déroulent dans la cale de la péniche. Cet été, 200 à 300 personnes ont répondu à l'appel chaque mardi.

D'un coup les vins, les événements et les restaurants deviennent tendance… Sweet Bordeaux

Sweet Bordeaux ? C'est la nouvelle signature des vins liquoreux et moelleux de Bordeaux. L'idée est de mettre en avant l'unité d'une offre constituée de onze AOC vendues dans une large fourchette de prix. Autre objectif : sortir ces vins de leur éternelle consommation au dessert, en les faisant déguster avec des tapas, des entrées… lors de l'happy hour. L'an dernier, une vingtaine de restaurants bordelais ont joué le jeu. Les invitations ont été lancées via Facebook.

D'un coup les vins, les événements et les restaurants deviennent tendance… Wine Bar

« Nous avons ouvert ce lieu à Chablis en 2005, indique Chrystel Meunier, chez Michel Laroche. Il s'agit d'un ancien moulin avec du cachet, une décoration moderne et épurée. Entre Bar à vin et Wine Bar, nous avons rapidement choisi de dénommer notre restaurant Wine Bar. Bar à vin est moins élégant. » De nombreux étrangers fréquentent l'établissement. Seuls les vins de l'entreprise y sont servis, au prix de la boutique du négociant, avec un supplément de 15 euros (prix du service à table). Locaux et étrangers sont conquis.

Summertime Estival

200 000 cols en 2010

6,30 € en 75 cl départ cave

« Depuis 2005, le château La Gordonne appartient à la maison champenoise Vranken-Pommery, rappelle Alexandre le Corguillé, responsable technique. Summertime, lancé l'année suivante, fait écho à une gamme de champagnes du même nom. » Car pour le groupe, champagnes et rosés incarnent un univers identique : celui de la fête. Tchin ! Le profi l du vin est à l'avenant : fruité, frais, facile à boire grâce à une dominante de syrah. « Les gens le boivent à l'apéritif dans les restaurants à la mode de Marseille, Nice et Paris. Le nom correspond bien à l'ambiance et à la clientèle de ces établissements. » En cinq ans, les quantités vendues ont été multipliées par quatre. Summertime se décline, aujourd'hui, en magnum et en jéroboam. Ces deux contenants rencontrent le succès dans les bars et les boîtes de nuit. De la PLV, des seaux, des verres… les accompagnent. Quand fête et business font bon ménage.

Single Scotchant !

10 000 cols en 2010

30 € le 8 ans d'âge, 40 € le 12 ans et 50 € le 15 ans

Sortir l'armagnac du carcan du digestif : c'est l'idée de Pierre Samalens, à la tête de l'entreprise du même nom. En janvier, il a donc lancé Single de Samalens. « Cet armagnac s'adresse à des jeunes urbains qui consomment du whisky à l'apéritif, résume Franck Vessier, directeur commercial et marketing. Nous en avons repris les codes parce qu'ils les connaissent. »

« Single » évoque « Single malt », c'est-à-dire un whisky provenant d'une distillerie unique. La forme de la bouteille, dessinée par un cabinet franco-japonais, rappelle également celle d'un scotch. Même le goût : Salamens a vinifié les moûts et distillé les vins pour obtenir un profil de produit aussi sec et riche qu'un whisky. « Les professionnels regardent notre démarche avec intérêt. 75 % des attendus commerciaux sont à l'export. Nous ciblons les bars à whisky branchés, les beaux hôtels, les cavistes… » Un armagnac qui imite à ce point un whisky c'est… scotchant !

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