Les successions sont toujours délicates, mais certaines le sont plus que d'autres. Imaginez : un viticulteur, à la tête d'un important domaine, meurt en laissant plusieurs enfants. L'un d'entre eux travaillait déjà sur l'exploitation avec son père et souhaite reprendre le flambeau… Sous l'Ancien Régime, il existait le droit d'aînesse… Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le candidat qui souhaite continuer l'exploitation peut exiger l'application de l'article 832-2 du code civil. Ce texte prévoit la constitution d'un GFA entre tous les héritiers puis l'octroi, par ce GFA, d'un bail à long terme pour que le continuateur perpétue l'exploitation.
Du temps pour payer la soulte
Autre possibilité : l'attribution préférentielle (articles 831 et suivants du code civil). Il s'agit d'un moyen d'assurer la propriété exclusive à l'héritier qui a participé à l'exploitation. En contrepartie, ce dernier doit payer des soultes aux autres. Le code civil distingue plusieurs cas de figure selon la taille de l'exploitation. Pour celles inférieures à un seuil de superficie fixé par département, l'attribution préférentielle est obligatoire y compris pour les juges. Par ailleurs, dans ce cas de figure, l'attributaire bénéficie d'un délai de dix ans pour régler la moitié de la soulte.
A l'inverse, si l'exploitation est de taille importante, l'attribution devient facultative. Le juge a le droit de la refuser. Il peut même décider le morcellement de la propriété en plusieurs exploitations.
Dans tous les cas de figure, une soulte est mise à la charge de l'attributaire. Il s'agit d'une contrepartie qu'il doit verser aux autres parties à l'héritage, pour compenser l'inégalité créée par l'attribution préférentielle. Ce point peut donner lieu à moult litiges.
Imaginez : un partage a lieu avec attribution préférentielle et versement de soultes. Mais trois ans après l'attribution, le plan local d'urbanisme est modifié. Le terrain agricole devient constructible. L'attributaire décide de vendre avec la plus-value qu'on imagine… Que se passe-t-il dans ce cas ? Comment réparer l'injustice faite aux autres héritiers ? La jurisprudence a été amenée à refuser l'attribution préférentielle s'il existe un risque de changement dans les documents d'urbanisme dans les années à venir (arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 1985).
Autre souci… Imaginez que le candidat à la reprise n'a pas les moyens de régler la soulte… La loi a prévu ce problème : l'héritier concerné peut obtenir l'attribution préférentielle en jouissance (article 832-3 C Civil). C'est sur ce point qu'est intervenue la Cour de cassation, le 20 octobre 2010.
Dans cette affaire, l'héritier qui a exploité avec son père demande à ses frères et sœurs l'attribution en jouissance. Pour être précis, il sollicite deux choses : d'une part, il demande le partage de la propriété en nature avec cette précision « que les bâtiments fassent partie de son lot ». Par ailleurs, il demande qu'un bail à long terme lui soit consenti pour l'ensemble des terres.
Au cours de la procédure, un débat s'instaure sur le principe d'égalité entre les héritiers. Pour certains des frères et sœurs, ce principe est bafoué puisque l'exploitant, sans régler de soulte, se retrouve à la tête de l'exploitation. Certes ses cohéritiers sont propriétaires des terres, mais occupées, donc dévaluées.
La Cour va rejeter cet argument et affirmer : « L'octroi d'un bail à long terme est de droit lorsque la demande est formée par un héritier justifiant de sa qualité d'exploitant et démontrant que l'exploitation agricole constitue une unité économique. »