Regroupées sous le nom et la marque « Signé vigneron » en 2009, les caves coopératives de Bully et de Quincié (Rhône) totalisent 1 500 ha et 800 coopérateurs. Mais elles manquent de vignerons pour exploiter toutes les parcelles de leurs adhérents ! Apparu sur une petite dizaine d'hectares en 2008, le phénomène a pris de l'ampleur. Aujourd'hui, 60 ha de vignes n'ont plus de métayers pour les exploiter, principalement en appellation Beaujolais villages sur le secteur de la cave de Quincié.
« Leurs métayers ont quitté le métier ou pris leur retraite, explique Bernard Couzon, le vice-président. Aucun exploitant ne veut plus s'engager pour des baux de neuf ans, vu la conjoncture. Quant aux jeunes, ils ne sont pas aidés dans leur installation. Il a donc fallu trouver une solution et c'est l'EURL qui s'est imposée comme étant la plus pratique. »
Les propriétaires ne touchent plus rien
« L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée était la seule qui permettait d'avoir un associé unique – la cave de Quincié-Bully - et d'avoir un gérant non salarié », précise le directeur Georges Moneger. « L'EURL est considérée comme un coopérateur, reprend Bernard Couzon. Chaque propriétaire de parcelle signe un contrat avec elle pour lui confier son bien jusqu'à la récolte suivante. L'EURL fait ensuite exploiter les vignes par des prestataires et apporte toute la récolte à la cave qui conserve l'intégralité des revenus de la vente des vins. Les propriétaires ne touchent plus rien. Ensuite, la cave équilibre les comptes de l'EURL. Pour y parvenir, nous devons récolter au moins 48 hl par hectare. En deçà, nous sommes perdants. »
Malgré le risque, les responsables n'ont pas hésité. « Les premiers diviseurs de frais de la cave, ce sont les surfaces et les volumes. Perdre 60 ha, c'était voir augmenter nos coûts de production de presque un euro par hl, alors que le coût de l'EURL revient à 0,50 euro par hl. » L'avantage est donc réel. La démarche se veut également citoyenne. « Cela évite de laisser des vignes en friche », note Bernard Couzon.
Pour autant, la coopérative n'accepte pas toutes les demandes. « Des propriétaires attendent trop longtemps avant de nous appeler. Il faut alors remettre en état des vignes mal ou pas du tout entretenues », se désolent Séverine Falcotet et Éric Mayoux, responsables vignobles et vins de la cave. Cette dernière se réserve donc le droit de refuser les parcelles qui cumulent trop de handicaps (mauvais état, impossibilité de faire passer des machines, éloignement…).
« Une logistique monstrueuse »
Depuis deux ans, la cave se retrouve ainsi à exploiter 60 ha, avec tout ce que cela comporte. « Nous avons embauché un maître de culture à temps plein en 2010. Il gère environ 25 prestataires qui sont payés à la tâche. L'un va traiter, l'autre tailler, selon un barème tarifaire, détaillent les deux techniciens. Le plus complexe, ce sont les vendanges. Il faut constituer deux troupes pour un total de 90 personnes, toutes à la grande journée, pour récolter environ 200 parcelles ! Sans compter que nous n'avons aucun matériel : soit nous louons, soit des coopérateurs de la cave nous prêtent ce dont nous avons besoin. C'est une logistique monstrueuse. » « Voilà pourquoi nous ne dépasserons pas les 60 ha », tranche Bernard Couzon. D'autant que la situation a des effets pervers. Si elle permet à quelques vignerons de compléter leurs revenus en effectuant des prestations, certains ont voulu abandonner leurs vignes en métayage pour devenir prestataires. « Nous avons dit non ! s'exclament les responsables. L'objectif, c'est de remettre les vignes dans le circuit, pas l'inverse. »
L'EURL n'entend pas conserver ces vignes éternellement. « Nous voudrions recréer les conditions pour que des exploitants puissent se constituer un domaine cohérent. Aujourd'hui, quatre ou cinq exploitations viables pourraient cultiver ces 60 ha. » Avis aux amateurs !
Le Point de vue de
Bernard Durançon, copropriétaire d'un domaine familial de 4,5 ha de vignes à Régnié-Durette (Rhône)
« Sans l'EURL, je n'aurais pas de solution »
« Le 11 novembre 2009, le métayer qui exploitait nos vignes a pris sa retraite sans trouver de successeur. Cela a été un vrai déchirement. Sa famille exploitait nos terres depuis sept générations, mais ses deux enfants ont choisi une autre voie. Nous avons cherché ensemble, mais en vain, un repreneur. Je me suis alors tourné vers la cave de Quincié. Au départ, nous avons opté pour un bail à ferme, qui nous permettait de toucher un revenu. Mais depuis le 1er janvier 2011, nous avons signé un commodat avec l'EURL dans lequel nous ne touchons plus de revenus de notre propriété. C'est une situation délicate, puisqu'il faut toujours s'acquitter des charges fiscales. Il y a donc une perte sèche pour nous, mais cela ne remet pas en cause notre volonté de continuer. Nous avons un attachement très sentimental à cette région d'où nous sommes issus. Je n'ai jamais pensé à arracher ces vignes. Sans l'EURL, nous serions le bec dans l'eau. C'est donc la meilleure solution en attendant que le beaujolais retrouve des prix qui permettent aux métayers de vivre. »
Le Point de vue de
« Impossible de reprendre un métayage »
« Mes deux hectares ne suffisent pas à me faire vivre. C'est certain. J'ai longtemps eu une activité salariée pour compléter mes revenus. Aujourd'hui, c'est grâce aux prestations de la cave coop que je peux vivre. De la taille à la vendange, je participe à tous les travaux. Ce sont presque 75 % de mes revenus qui en découlent. Aucune autre solution n'était envisageable. J'ai été sollicité pour reprendre des métayages mais, à 50 ans, je ne veux pas m'investir dedans. C'est trop difficile pour les beaujolais villages. Je pensais d'ailleurs arrêter en tant qu'exploitant. Sans les prestations, j'aurais arraché mes vignes. Au début, en tant que coopérateur, je me demandais ce que cela pouvait donner. Aujourd'hui, on constate que c'est un moyen de sauver notre patrimoine viticole. »