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Affaire Guffens, quand l'administration s'acharne

Aurélia Autexier et Bertrand Collard - La vigne - n°239 - février 2012 - page 10

Pendant dix ans, le Bourguignon d'adoption Jean-Marie Guffens a subi une avalanche de contrôles, souvent bâclés. Jusqu'à présent, la justice lui a toujours donné raison. Aujourd'hui, il dénonce « le corporatisme malveillant » et « l'acharnement de certains fonctionnaires » des fraudes et des douanes.
JEAN-MARIE GUFFENS : « Sans l'amour des miens, l'énergie de mes salariés, ainsi que les moyens et le temps dont je dispose, je n'aurais pas pu prouver mon innocence. » PHOTOS B. CHAROY

JEAN-MARIE GUFFENS : « Sans l'amour des miens, l'énergie de mes salariés, ainsi que les moyens et le temps dont je dispose, je n'aurais pas pu prouver mon innocence. » PHOTOS B. CHAROY

PHILOMÈNE MORAIS. La directrice administrative et financière fait partie des gardés à vue. « Après deux nuits, j'étais une loque », témoigne-t-elle.

PHILOMÈNE MORAIS. La directrice administrative et financière fait partie des gardés à vue. « Après deux nuits, j'étais une loque », témoigne-t-elle.

« Il a un côté Zorro que tout le monde rêve d'avoir. » La formule est d'une viticultrice de Chablis qui le connaît de réputation. Confronté à une injustice, Jean-Marie Guffens est du genre à relever le gant alors qu'il aurait tout intérêt à faire profil bas ! Plutôt grande gueule et sûrement peu diplomate, ce viticulteur négociant d'origine belge, basé à Sologny (Saône-et-Loire) depuis trente ans, ne mâche pas ses mots. Il assure avoir été victime d'un « harcèlement et de pratiques mafieuses » de la part de contrôleurs des fraudes, puis des douanes. Il raconte son histoire dans un film, visible sur internet. Le titre : « C'est arrivé dans une cave près de chez vous ». Un clin d'œil à un film belge culte des années quatre-vingt-dix.

La montagne accouche d'une souris

Les accusations de Jean-Marie Guffens sont graves. Pour les étayer, il a communiqué à « La Vigne » différentes pièces de son dossier. Nous les avons lues pour retracer les dix ans de procédure qu'il a subis, avec perquisition et garde à vue. Ces documents font apparaître une lourde disproportion entre la longueur des procédures, les moyens utilisés et le résultat obtenu par les services de contrôle.

En octobre 2001, durant les vendanges, Jean-Marie Guffens est contrôlé une première fois dans son tout nouveau chai de Chablis, construit avec le bourguignon Olivier Leflaive. Deux contrôleurs relèvent les volumes en cave et prennent des échantillons en vue de vérifier le niveau de chaptalisation. L'un d'eux revient en mai 2002. Ce jour-là, Jean-Marie Guffens s'énerve. « Je l'ai viré de ma cave », admet-il. Erreur. Il va tomber dans une spirale infernale qui ira jusqu'en cassation.

En juillet 2003, les fraudes dressent le procès-verbal de leurs contrôles. Elles accusent le viticulteur d'avoir vendu des vins non déclarés, d'avoir surchaptalisé une cuve et d'avoir réalisé des assemblages frauduleux. Pour lancer la première de ces accusations, les fraudes se basent sur le volume de vin relevé en octobre 2001, en pleine fermentation, dans la cave de Chablis : 1 260,50 hl. Or, Jean-Marie Guffens a déclaré cette année-là 1 246,22 hl, après chaptalisation. Soit une différence de 1,1 % entre le relevé et la déclaration. Une différence minime serait-on tenté de penser. Les fraudes jugeront que c'est suffisant pour attaquer en justice.

Trois ans plus tard, l'affaire passe en jugement. Le tribunal correctionnel de Mâcon (Saône-et-Loire) relaxe le vigneron, estimant qu'aucune charge ne peut être retenue contre lui. Mais le parquet fait appel et obtient la condamnation du vigneron devant la cour d'appel de Dijon (Côte-d'Or). Jean-Marie Guffens se pourvoit en cassation. La juridiction suprême lui donne raison dans un arrêt cinglant pour l'administration. Parmi les nombreux motifs de cassation, elle établit que la cour d'appel de Dijon a violé la loi en condamnant le prévenu à 50 000 euros d'amende, un montant supérieur à ce que prévoit le code de la consommation. « Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi », lit-on dans l'arrêt de la Cour de cassation. Elle renvoie donc l'affaire devant une nouvelle cour d'appel, celle de Lyon (Rhône), pour qu'elle soit rejugée.

Le tribunal de Lyon rend son jugement en mai 2009. Un document édifiant. On y apprend qu'en octobre 2001, les contrôleurs des fraudes n'ont réalisé aucune mesure pour affirmer qu'il y avait 1 260,50 hl dans la cave de Chablis. Ils se sont simplement appuyés sur les dires du caviste. On découvre qu'ils ont comparé deux vins différents pour affirmer qu'une cuve avait été surchaptalisée. Ces contrôleurs ont bien prélevé leurs échantillons dans la même cuve. Mais entre le premier et le second prélèvement, Jean-Marie Guffens avait soutiré la cuve pour y loger un autre vin. Enfin, les fraudes n'ont fourni aucune preuve pour étayer l'accusation d'assemblages frauduleux.

L'appel du 18 juin

En mai 2009, après cette victoire totale, l'affaire aurait pu en rester là. Mais Jean-Marie Guffens commet une seconde erreur. Trop content d'avoir gagné, il téléphone à l'un des contrôleurs des fraudes pour lui dire tout le mal qu'il pense de lui. Et parce que l'effronté aime bien les dates symboliques, l'appel a lieu un 18 juin !

Le contrôleur n'étant pas là, il tombe sur une standardiste à laquelle il déclare : « Je vais lui bousiller la vie jusqu'à la fin de ses jours. » Jean-Marie Guffens assure qu'il faisait référence au projet d'assigner le fonctionnaire en justice. Reste que du point de vue juridique, ces propos constituent une menace.

Le fonctionnaire des fraudes porte plainte. Par un étonnant hasard, peu de temps après, une autre enquête dont Jean-Marie Guffens faisait l'objet, conduite pas les douanes, prend secrètement une toute nouvelle dimension. Bientôt, ce sera la grosse artillerie puisqu'elle va aboutir à une perquisition, suivie de la garde à vue de trois employés. Régime auquel Jean-Marie Guffens goûtera lui aussi un peu plus tard. « Nous avons effectué 148 heures de garde à vue à nous quatre», s'indigne-t-il.

Le 12 janvier 2010, une vingtaine de contrôleurs et gendarmes débarquent et perquisitionnent chez Verget, le négoce de Jean-Marie Guffens à Sologny. Pour lui et son équipe, c'est un traumatisme. « Mes avocats m'ont dit : on ne fait pas débarquer vingt-cinq personnes pour rien. Si vous avez fait quelque chose, reconnaissez-le. Sinon, êtes-vous bien sûr de l'honnêteté de vos employés ? En entendant cela, je me suis senti lâché. » « Nous nous sommes mis à douter de nous-mêmes, explique Philomène Morais, la directrice administrative de la société. Nous nous sommes dit que nous étions incompétents, que nous avions fait une erreur énorme par méconnaissance de la réglementation. Nous n'avions plus d'énergie. Nous étions dégoûtés. »

Les douanes assurent que « l'affaire continue »

« On était dans les cordes, mais pas KO », reprend Jean-Marie Guffens. Car, il en est sûr, l'acharnement des contrôleurs est la conséquence de son stupide coup de fil. Il en sera encore plus convaincu lorsqu'il aura accès au dossier de l'enquête menée contre lui. Plusieurs documents sont pour le moins troublants. Ainsi, cet acte daté du 17 juin 2009, où l'enquêteur des douanes écrit que Jean-Marie Guffens a été condamné en appel à 50 000 euros d'amende. Or, ce jugement avait été cassé en mai 2008. Un an plus tard, comment le douanier pouvait-il ignorer ce fait ? Pour Jean-Marie Guffens, il s'agissait de présenter à la juge chargée de l'enquête un élément grave à son encontre, fût-ce en omettant la vérité. Autre élément troublant : le réquisitoire introductif qui lance cette seconde enquête fait référence à une constitution de partie civile. S'agit-il de la plainte pour menace déposée par l'agent des fraudes ? Le procureur assure qu'il s'agit d'une bête « erreur » de secrétariat. Bref, un simple copier-coller malheureux.

Après quelques mois où l'enquête semble piétiner, Jean-Marie Guffens rencontre la juge chargée de son dossier. « Elle m'a déclaré ne pas comprendre ce que l'on me reprochait », assure-t-il.

Le 9 novembre 2011, la chambre d'instruction de Dijon annule la procédure sur commission rogatoire, celle qui a conduit à la perquisition et aux gardes à vue. « C'est la seconde fois que la justice me donne raison », constate-t-il. Interrogé sur l'affaire Guffens, la direction générale des fraudes n'a pas souhaité s'exprimer, considérant, que les « faits [sont] anciens et jugés de manière définitive ». De son côté, les douanes assurent que « l'affaire continue ». Sans pour autant préciser pour quels faits. Jean-Marie Guffens a la réponse. « La seule chose sérieuse qui demeure, c'est un manque de timbres et de capsules congés. Pour cela, j'ai payé une amende de 850 euros. J'attends aussi le retour des douaniers pour un inventaire de cave qu'ils n'ont pas encore eu le temps de contrôler… », déclare-t-il de son accent flamant. Pour le reste, tout porte à croire qu'il a payé extrêmement cher son insoumission.

REPÈRE

Producteur et négociant Jean-Marie Guffens possède deux propriétés et un négoce, l'ensemble pesant environ 500 000 bouteilles et 3,5 millions d'euros de chiffre d'affaires. Son négoce, maison Verget, n'achète que des raisins et des moûts blancs du Mâconnais, de Côte-d'Or et de Chablis. Il produit 350 000 bouteilles par an. Il est basé à Sologny (Saône-et-Loire) comme l'une des deux propriétés, le domaine Guffens-Heynen.

L'autre propriété, le château des Tourettes, est située à Apt, dans le Vaucluse. En 2005, Jean-Marie Guffens a vendu son chai de Chablis où il a subi les premiers contrôles en 2001.

Une vidéo qui crée le buzz sur internet

Jean-Yves Cauchard, réalisateur indépendant, a recueilli les témoignages de Jean-Marie Guffens, fondateur de la maison Verget, de Philomène Morais, sa directrice administrative et financière, de Julien Desplans, son œnologue, et de Didier Tournissoux, son caviste, tous les quatre mis en garde à vue. Il en a fait un film de 26 minutes dénommé « C'est arrivé dans une cave près de chez vous ». Le réalisateur se souvient : « Ce qui m'a le plus interpellé lors du tournage, c'est le traumatisme laissé par la garde à vue. Jean-Marie Guffens et ses salariés avaient un vrai besoin d'en parler. » La vidéo, mise en ligne sur le site de « La Revue du vin de France » dès le 16 novembre 2011, a fait le buzz sur internet. Elle vient d'être traduite en anglais.

REPÈRE

Crazy Belgium La réussite de Jean-Marie Guffens repose sur la qualité de ses vins, très bien notés par Robert Parker. Ce dégustateur est même dithyrambique à son égard, le qualifiant de « meilleur producteur au monde de chardonnay » et même de « génie ». Il l'aurait aussi surnommé « crazy belgium ».

Reconnu par ses pairs pour son talent, Jean-Marie Guffens est aussi vu comme un original, peu enclin à faire comme tout le monde…

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