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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Posséder un bien trente ans permet d'en invoquer la propriété

Jacques Lachaud - La vigne - n°239 - février 2012 - page 78

La prescription trentenaire acquisitive permet d'obtenir un bien après en avoir joui pendant trente ans sans en être propriétaire. La Cour de cassation vient de confirmer que ce texte n'est pas contraire au droit de propriété garanti par la Constitution.

En principe, on devient propriétaire d'un bien immobilier après l'avoir acheté ou bien après l'avoir reçu par succession ou donation. Chacune de ces mutations suppose que le propriétaire précédent s'est défait volontairement du bien. Contre toute attente, il existe une situation juridique où la propriété s'acquiert sans que le propriétaire précédent n'ait été consulté : c'est la prescription acquisitive trentenaire.

Le lexique des termes juridiques définit ce processus comme « la consolidation d'une situation juridique par l'écoulement d'un délai », en l'occurrence trente ans. Concrètement, on peut effectivement devenir le propriétaire d'un bien en se comportant comme tel pendant un temps suffisamment long.

La propriété risque d'être amputée…

En droit, on distingue la possession et la propriété. La possession étant la maîtrise ou l'usage d'un bien dont on n'a pas forcément la propriété. Le code civil (article 2258) est ainsi rédigé : « La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. » Pour prétendre à l'acquisition d'un immeuble par prescription, il faut plusieurs conditions. La possession doit s'être déroulée de manière continue, non interrompue, paisible et publique. Il faut aussi que la personne ayant pris possession du bien ne l'ait pas occupé avec un titre, par exemple un bail, à l'origine. Il faut ensuite que la durée de trente ans n'ait pas été suspendue du fait de l'incapacité du propriétaire, par exemple.

Dans les faits, c'est souvent à l'occasion d'un bornage, que cette prescription est invoquée. Le cas typique est le suivant : un propriétaire demande le bornage avec son voisin. Le géomètre, désigné par le tribunal, détermine la ligne divisoire telle qu'elle résulte des actes ou des signes apparents sur le terrain. L'un des protagonistes reconnaît alors que la séparation était bien à l'endroit fixé par le géomètre – on retrouve par exemple des bornes – mais que, depuis plus de trente ans, il occupe une partie du terrain au-delà, sans opposition du voisin.

Une telle affaire s'est passée entre un vigneron et son voisin. Le premier avait planté des vignes sur une partie du terrain en friche du second. Le temps passe. Le voisin ne fait pas la moindre objection jusqu'au jour où le vigneron demande au juge d'authentifier l'agrandissement de son vignoble. Le voisin comprend qu'il risque de voir sa propriété amputée. Il pose la question de constitutionnalité au sujet de l'article 2258 du code civil, qui est selon lui une atteinte au droit de propriété garanti par la Constitution.

Reste à savoir si la Cour de cassation va saisir le Conseil constitutionnel, en application de la procédure créée en 2010. C'est l'intérêt majeur de la décision du 17 juin 2011. Le juge a déclaré que « la prescription acquisitive n'a ni pour objet, ni pour effet de priver une personne de son droit de propriété, mais de conférer au possesseur qui l'invoque, sous certaines conditions et par l'écoulement du temps, un titre de propriété correspondant à une situation de fait qui n'a pas été contestée dans un certain délai et que cette institution de la prescription a un motif général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à des situations de fait durables concrétisées par une possession correspondant aux conditions de l'article 2229 du code civil ». En clair, il n'y a pas lieu de déranger le Conseil constitutionnel : l'article critiqué n'est pas anticonstitutionnel.

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RÉFÉRENCE :

Cour de cassation n° 11-40014 du 17 juin

2011.

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