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Magazine - Histoire

Jules Lafon : Le père de la Paulée de Meursault

Florence Bal - La vigne - n°239 - février 2012 - page 87

Gascon devenu propriétaire en Bourgogne, puis comte pontifical, il a lancé la Paulée de Meursault, une fête où chaque invité vient avec plusieurs bouteilles afin de les faire déguster à ses voisins de table.
Avant de créer la Paulée de Meursault, Jules Lafon était devenu un homme influent en Bourgogne. © BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE DE DIJON (II-7393)

Avant de créer la Paulée de Meursault, Jules Lafon était devenu un homme influent en Bourgogne. © BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE DE DIJON (II-7393)

Jules Lafon naît le 29 mars 1864 à Valence-d'Agen, dans le Tarn-et-Garonne. Il grandit dans une famille bourgeoise très aisée et reçoit une éducation catholique chez les Jésuites. Après une licence de droit à Toulouse (Haute-Garonne), il intègre l'administration des impôts.

« En 1887, il est nommé à Dijon, relate Gilles Laferté, sociologue à l'université de Bourgogne, dans un article à son sujet. À 29 ans, sa fortune personnelle est estimée à 400 000 francs. C'est donc un jeune fonctionnaire instruit et fortuné. »

Grand amateur et acheteur d'art, il s'intègre à la bourgeoisie locale, participant notamment aux réunions de la « Tête noire », « un groupe de notables locaux qui dînent régulièrement dans un restaurant gastronomique », précise Gilles Laferté.

En 1894, Jules Lafon épouse Marie Boch, fille de propriétaires négociants de Meursault (Côte-d'Or) à la tête d'un beau domaine de 8 ha.

Le pape le nomme comte pontifical pour le remercier

Coup de tonnerre dans sa carrière bien tracée, la loi sur la séparation de l'Église et de l'État est instaurée en 1905. Jules Lafon, en fervent catholique, refuse d'inventorier les biens du clergé. En 1906, il quitte l'administration et s'inscrit au barreau de la cour d'appel de Dijon.

Parallèlement, « il commence à acheter des vignobles de qualité autour de Meursault. Ces acquisitions révèlent une véritable stratégie pour constituer un domaine viticole de valeur, raconte Gilles Laferté. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le couple se trouve à la tête de 13 ha et parmi les plus grands propriétaires de Meursault. »

En décembre 1918, le pape Benoît XV le remercie de son refus de 1905 en le nommant comte pontifical. « Ce titre, transmissible au fils aîné, donne des airs aristocratiques à la famille », continue Gilles Laferté. Aujourd'hui encore, la propriété viticole se nomme domaine des Comtes Lafon. Elle est dirigée par son arrière-petit-fils, Dominique Lafon.

« Mon grand-père était un érudit, rappelle son petit-fils René Lafon, qui avait 13 ans à son décès. Il a beaucoup voyagé, il était modeste, il n'aimait pas l'injustice. Dans les années 1920, à une époque où le vin ne se vendait pas bien, il a eu l'idée de mettre en avant Meursault comme capitale des grands vins blancs de Bourgogne. »

Jules Lafon prend alors la tête du syndicat des propriétaires des vins blancs de Meursault. Il est élu conseiller municipal. Après le vote de la loi de 1919 en faveur des futures appellations, il se montre en grand défenseur de leur délimitation. Il est l'un des premiers à développer les ventes directes et à mettre franchement en avant le rôle du vigneron. Il a ses réseaux. Il est proche du Club des cent, un cercle influent qui réunit une élite de ministres, de capitaines d'industrie et de journalistes.

S'insérant dans la politique de la troisième République en faveur des fêtes du vin et dans celle de Gaston Gérard, maire de Dijon et créateur de la foire gastronomique de la ville, Jules Lafon créé la Paulée de Meursaut. La première édition de cette manifestation élitiste se tient en 1923 à l'hôtel-restaurant Le chevreuil, le troisième lundi de novembre. Autour d'un déjeuner gastronomique qui fait honneur à la chère locale, vignerons du village et invités partagent de belles bouteilles et un bon moment. « Présentée comme une résurrection des anciennes paulées (fête où le propriétaire invitait l'ensemble des ouvriers à manger une poêlée à la fin des vendanges), non seulement cette nouvelle paulée ignore celles qui existent alors, mais surtout elle les réinvente largement, souligne Gilles Laferté. La date du troisième lundi de novembre, très éloignée de la fin des vendanges, correspond plutôt à un calendrier médiatique, le lendemain de la vente des hospices de Beaune, date de la présence des journalistes, clients, personnalités dans la région… »

Tant de bouteilles qu'il faut de longues heures pour les déguster

Dès 1928, le nombre de convives est limité à 300. En 1932, le comte innove en créant le prix littéraire de la Paulée. La manifestation gagne encore en notoriété. Aujourd'hui, son succès ne se dément pas. Le 21 novembre dernier, 700 personnes, vignerons, clients, sommeliers et leaders d'opinion ont participé à la 79e édition de cette fête. Comme toujours, chaque invité est venu avec tant de bouteilles qu'il a fallu de longues heures pour toutes les déguster.

Devenu un Bourguignon très écouté et respecté, Jules Lafon meurt le 13 janvier 1940 dans sa propriété de Meursault. « Aujourd'hui encore, le respect que l'on nous témoigne vient de lui », confie René Lafon.

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SOURCES

« Le comte Lafon, un nouvel arrivant devenu entrepreneur de la tradition bourguignonne », de Gilles Laferté, dans « Vignes, vins et pouvoirs », aux Éditions universitaires dijonnaises, 2001, bibliothèque municipale de Dijon.

Archives du Tarn-et-Garonne.

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