«La confusion sexuelle ? Nous avons vingt ans d'expertise et nous sommes leaders sur le sujet », insiste Pierre-Antoine Lardier, le responsable du pôle cultures spéciales chez BASF Agro. Effectivement, c'est la firme allemande qui, la première, a développé cette technique pour lutter contre l'eudémis et la cochylis. Cette année, elle protège ainsi entre 23 000 et 25 000 ha, principalement en Champagne, Val de Loire, Bordelais et Bourgogne.
Depuis plusieurs années, elle commercialise la méthode Rak, constituée de diffuseurs avec deux ampoules, l'une pouvant contenir la phéromone de la cochylis, l'autre celle de l'eudémis. Ces diffuseurs se déclinent en plusieurs produits : Rak 1, qui ne contient que la phéromone de la cochylis, Rak 2, qui ne contient que celle de l'eudémis, et Rak 1 + 2 (deux ou trois générations) qui contient les deux phéromones.
Mais au début de l'année, un concurrent s'est lancé : Terra Fructi. Deux vignerons sont à la tête de cette société : Philippe Rothgerber, qui est Alsacien, et Guy Salmona, originaire de Fronton (Haute-Garonne). Le 21 février, ils ont obtenu l'homologation d'Isonet LE, un diffuseur qui permet de lutter contre l'eudémis et la cochylis. L'objet se présente sous la forme de deux tubes rouges en polyéthylène soudés l'un à l'autre par leurs extrémités. L'un est rempli de la phéromone d'eudémis, l'autre de celle de la cochylis.
Ces nouveaux diffuseurs sont fabriqués par la firme japonaise Shin Etsu, la même qui fournit à BASF Agro les phéromones présentes dans sa gamme Rak. Ils sont vendus depuis plusieurs années en Suisse, et en Italie. En France, la coopérative des Vignerons de Tutiac, dans le Bordelais, a choisi de les distribuer. Elle en a déjà vendu pour 1 000 ha. De son côté, Terra Fructi en a vendu la même quantité : 900 ha en Alsace et 150 ha en Languedoc-Roussillon. Et le produit est en cours de test en Champagne et en Bourgogne. Terra Fructi complétera son offre prochainement.
Efficaces pendant 180 jours
Pour obtenir l'autorisation d'Isonet LE en France, Terra Fructi est passé par la procédure de reconnaissance mutuelle entre États membres de l'Union européenne. « Une procédure simplfiée mais sérieuse », précise Guy Salmona. Les deux vignerons ont financé eux-mêmes le dossier d'homologation. « BASF Agro était en situation de monopole. Il était bon d'introduire un concurrent », justifie Guy Salmona.
Les diffuseurs Isonet LE s'installent avant le début du vol des papillons de première génération. Ils se placent sur les sarments au niveau des grappes, à raison de 500 diffuseurs par hectare, répartis de façon homogène, tous les 20 m2 environ. Il faut éviter de les mettre sur les fils métalliques car, lors de fortes chaleurs, ceux-ci peuvent chauffer et compromettre la régularité de la diffusion des phéromones. Or, c'est justement la régularité que met Terra Fructi en avant. « La diffusion est lente et continue pendant 180 jours. Elle permet de couvrir les trois générations », souligne Guy Salmona. « Nos diffuseurs sont tout aussi efficaces », insiste Pierre-Antoine Lardier, de BASF Agro.
Mais le principal atout d'Isonet LE, c'est son coût : 175 €/ha (prix culture conseillé), alors que BASF commercialise Rak 1 + 2 trois générations, le concurrent d'Isonet LE, au prix de 285 €/ha (selon « Le coût des fournitures en viticulture et œnologie 2012 »). « Notre objectif est de faire en sorte que la confusion sexuelle soit accessible à tous les vignerons français », argumente Guy Salmona.
Des outils pour communiquer
De son côté, BASF Agro explique que le processus de fabrication de ses diffuseurs la contraint à les vendre plus chers. « Nous ne vendons pas qu'un produit. Nous avons tout un service d'accompagnement de la technique », affirme Pierre-Antoine Lardier. La firme aide ainsi les vignerons à organiser les chantiers de pose en leur proposant divers outils comme des lettres type d'engagement des surfaces, de convocation à la journée de pose… Elle leur met à disposition des gants et des tabliers pour la manipulation des diffuseurs. Elle leur fournit des outils de communication comme des posters ou des collerettes à apposer sur les bouteilles.
Cette année, elle lance également L'école des Rak pour les vignerons qui veulent tout savoir sur la confusion sexuelle : explication de la technique et formation à la pose de Rak ainsi qu'à la détection d'un œuf, d'un glomérule, d'une larve de tordeuse…
Mais la firme sait bien qu'elle devra faire un effort sur les prix. L'an prochain, elle devrait lancer un nouveau Rak 2 plus attractif.
L'objectif : désorienter les mâles pour éviter l'accouplement
Rak et Isonet LE reposent sur le même principe : empêcher les accouplements. Durant cette période, les papillons femelles de cochylis et d'eudémis émettent des phéromones dans l'atmosphère pour attirer les mâles. La confusion sexuelle consiste à saturer l'air avec ces molécules, en plaçant des diffuseurs contenant des phéromones de synthèse dans les vignes. Les mâles sont désorientés et ne trouvent pas les femelles. Il n'y a pas d'accouplement, donc pas de pontes. Pas de larves, donc pas de dégâts. Néanmoins, si les populations de tordeuses sont très fortes, des accouplements peuvent quand même avoir lieu. Il est donc important de réaliser des contrôles dans les vignes. Au bout de quelques années de lutte avec cette technique, les populations de vers de la grappe diminuent nettement.
Le Point de vue de
Frédéric Hérit, vigneron à Marcillac (Gironde) sur 40 ha
« Une personne seule met 2 à 3 heures/ha pour la pose »
«J'adhère à la coopérative des Vignerons de Tutiac qui achète les produits phytos pour ses adhérents. Pour la confusion sexuelle, elle a opté pour les diffuseurs Isonet LE, moins cher que ceux de BASF. Cette année, nous nous lançons sur le secteur Nord Gironde, ce qui représente une centaine d'hectares. Les techniciens de la coopérative ont réalisé des îlots de 5 à 10 ha où la pression des vers de la grappe est forte. Seuls ces secteurs nécessitent habituellement plusieurs traitements insecticides. Désormais, ils sont sous confusion sexuelle. Deux à trois hectares de mes vignes s'y trouvent. Début avril, nous avons posé les diffuseurs collectivement. C'est simple à faire : il suffit d'entrecroiser les fils sur les lattes. Une personne met deux à trois heures par hectare pour réaliser cette tâche. Cinq cents diffuseurs Isonet LE sont posés par hectare, mais il faut en mettre le double en périphérie d'îlot pour former une barrière. En saison, nous surveillerons les vols grâce à un réseau de pièges et nous ferons des comptages de glomérules et d'œufs. Au moment de la taille, il faudra couper les diffuseurs avec un sécateur et les mettre dans un sachet, car ils ne sont pas biodégradables. Nous les ramènerons à la coopérative qui les éliminera via la filière Adivalor. »