Septembre 2010. Au volant de sa machine à vendanger, Philippe Pellaton met au point le plan d'attaque « Libérons les cours ». Les raisins sont superbes, mais la récolte est chiche. Fraîchement élu à la présidence du Syndicat général des vignerons des côtes du Rhône en 2009, il maugrée : « Si, dans ces conditions, les prix ne remontent pas, le vignoble court à la catastrophe. »
Tous les plans de sauvetage échouent
Le cours moyen de l'appellation régionale a chuté de 120-130 €/hl à 90 €/hl entre 2000 et 2004. Des vins ont même été vendus 65 €/hl. À partir de là, les prix ne remonteront pas avant 2010. Tous les plans de sauvetage échouent alors…
Pourtant, les responsables syndicaux ne manquent pas d'idées. Dès 2006, ils réduisent les rendements de 51 hl/ha à 45 hl/ha. De son côté, l'interprofession met 200 000 hl de Côtes-du-Rhône en réserve, financés 80 €/hl par les banques. Ces mesures sont reconduites trois ans de suite. De plus, les PLC des années 1999 et 2000 sont distillés. Conjuguées à trois petites récoltes successives, ces décisions ont le mérite d'assainir la situation économique du vignoble. Au 31 juillet 2010, les volumes en stock s'élèvent à 1,07 million d'hl, soit sept à huit mois d'approvisionnement du marché.
Un an avant, en juillet 2009, Philippe Pellaton avait pris le pouls du vignoble. Il avait lancé une consultation auprès des adhérents du syndicat dans le cadre du congrès des Côtes-du-Rhône. « On s'est aperçu que les vignerons avaient perdu tout repère sur les prix, observe-t-il. Ils n'avaient plus aucune base pour négocier. » Le syndicat va leur en fournir.
Le 14 octobre 2010, « Le vigneron des Côtes du Rhône », le journal d'information du syndicat, publie une grille de proposition de prix pour la campagne 2010-2011 par segment de marché : 90 €/hl le côtes-du-Rhône régional rouge, 110 €/hl le cœur de gamme et 120 €/hl le haut de gamme. Soit 10 €/hl supplémentaires pour chacun de ces segments par rapport à la campagne précédente. Le syndicat fait également ses recommandations pour le côtes-du-Rhône villages : 120 €/hl pour les rouges et 114 €/hl pour les côtes-du-Rhône rosés et blancs. « Le seuil de rentabilité des exploitations se situe à 110 €/hl de côtes-du-Rhône rouge, précise Philippe Pellaton. Il est basé sur les études de coûts de production réalisées par les centres de gestion. On l'a comparé à celui des autres vignobles d'AOC, Bordeaux notamment. En octobre 2010, on ne pouvait raisonnablement pas demander 110 €/hl pour l'ensemble de la production en côtes du Rhône. C'est ce qui nous a conduits à proposer des prix par segments de marché. »
Avec ces propositions de prix, le magazine du syndicat publie un dossier étayé sur la situation économique de l'appellation. Il avance trois arguments pour justifier la hausse de prix : des volumes de ventes de l'AOC régionale supérieurs à la récolte depuis trois ans, le rebond des sorties de chais en France et à l'export et le millésime 2010, « superbe en qualité, mais faible en quantité » avec 15 à 20 % de volume en moins qu'en 2009. Ces informations sont également transmises par mail aux adhérents.
« Appel entre collègues »
Après la récolte 2010, Philippe Pellaton bat la campagne. Il anime des réunions de secteurs et de métiers avec des coopératives et des vignerons indépendants.
Avec ses équipes administratives, il rencontre les banques pour qu'elles soutiennent les viticulteurs. La presse régionale s'empare du sujet et prend parti pour les vignerons.
Le négoce n'y croit pas. Il n'est pas prêt à payer les nouveaux prix demandés par la production. Si bien qu'en novembre et décembre 2010, les transactions sont rares. Mais le portable de Philippe Pellaton sonne en continu. « Je l'ai appelé à plusieurs reprises, se souvient Philippe Gervasoni, vigneron à Tresques (Gard). Il m'a assuré que je devais tenir bon devant mon courtier qui prétendait que les cours ne remonteraient pas. » Philippe Gervasoni prend aussi contact avec deux autres acheteurs. « Ils sont venus prélever des échantillons début janvier. Dix jours plus tard, ils m'ont proposé 105 €/hl, 11 euros de plus que les trois campagnes précédentes. » À la Cave des vignerons réunis de Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse), Jean-Marc Pradinas, l'œnologue responsable des ventes, reste vissé à son téléphone. « On s'appelait entre collègues. On n'a pas lâché. On n'avait plus rien à perdre », se souvient-il.
La trentaine de négociants avec lesquels cette coopérative travaille s'est positionnée mi-janvier. Résultat, elle a vendu ses 80 000 hl de vrac du millésime 2010 au prix moyen de 109 €/hl. Le 2009 lui avait été payé 98 €/hl. À l'échelle du vignoble, le cours moyen du côtes-du-Rhône s'est établi à 108,80 €/hl pour le millésime 2010. « Il n'y a quasiment eu aucune transaction en dessous de 90 €/hl, se félicite Philippe Pellaton. Jusque-là, un bon tiers de la production, 500 000 hl environ, s'échangeait entre 75 et 90 €/hl. » La manœuvre a recommencé en 2011.
« On a de nouveau fourni aux vignerons un dossier techni-coéconomique argumenté », indique le président du syndicat. « Le vigneron des Côtes du Rhône », dans son édition du 29 septembre, s'en fait l'écho. Consigne est donnée de parvenir à un prix moyen de 115 €/hl le CDR régional rouge.
Pour chaque segment (entrée, cœur et haut de gamme), le syndicat conseille une hausse de 5 €/hl par rapport au millésime 2010. Mais le millésime 2011 étant plus abondant et de moindre qualité, la production n'est pas parvenue à ses fins, sauf pour l'entrée de gamme qui est passée de 90 à 95 €/hl. Le cours moyen du côtes-du-Rhône rouge est resté stable à 110 €/hl.
Rien n'est prévu pour la campagne à venir. Philippe Pellaton attend de récolter les informations de conjoncture pour agir.
Parade réglementaire
Pour couper court aux attaques, le syndicat général a fait valoir l'article L 420-4 du code de commerce. Selon ce texte, cité par Laurent Jeanneteau, le directeur du SGV : « Les recommandations de prix ne sont pas prohibées dès lors que les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique (y compris par la création ou le maintien de l'emploi) et qu'elles réservent aux utilisateurs, en l'occurrence les vignerons, une partie équitable du profit qui en résulte. » Le syndicat ajoute également que les vignerons ne sont pas obligés de respecter les consignes de prix.