Alexandre de Mayol de Lupé naît le 11 octobre 1864 à Nuits-Saint-Georges, en Côte-d'Or. Sa mère appartient à une illustre famille napolitaine. Son père, le comte Henri de Mayol de Lupé, est un aristocrate qui a servi le roi de Naples et le pape. Royaliste convaincu, il est actionnaire de la banque de l'Union générale, catholique et monarchiste, dont la faillite retentissante en 1882 aura des conséquences sur son activité.
À Nuits-Saint-Georges, la famille est propriétaire « d'un domaine de plus de 10 ha de vignes plantés en pinot fins, (…) notamment le château gris (..) et le clos de Lupé, à proximité des caves, du magasin et du château familial, relève l'universitaire Christophe Lucand dans son ouvrage « Les négociants en vins de Bourgogne ». L'essentiel du domaine est classé parmi les meilleurs terroirs (…) selon les hiérarchies alors en vigueur. (…) La production est totalement vendue au négoce local ».
Une politique ambitieuse d'expansion commerciale
« Éprouvant le besoin de reconstituer sa fortune engloutie par la faillite de l'Union générale, le comte Henri de Mayol de Lupé fonde en 1900 une maison de négoce de vins », affirme le journaliste et homme politique bourguignon Jean-François Bazin dans son livre sur la côte de Nuits.
Alexandre reprend l'affaire à parts égales avec son beau-frère et ami, le vicomte de Cholet. Ensemble, ils créent la maison Lupé-Cholet le 28 novembre 1903. André Fromageot, le comptable (ou le fondé de pouvoir selon les sources), assumera le développement de l'entreprise.
Les associés partent à la conquête du marché chinois. On ne sait quand ni comment l'idée leur est venue, mais leur décision « s'inscrit dans la poursuite d'une politique ambitieuse d'expansion commerciale. (…) Il s'agit d'intégrer des micromarchés semi-captifs, sur lesquels il est possible d'écouler des quantités limitées de vins de luxe à des prix élevés », analyse Christophe Lucand.
La maison recrute Maurice Menier, un agent commercial, pour piloter la prospection en Extrême-Orient. Alexandre de Mayol de Lupé entretiendra avec lui une correspondance commerciale régulière. Dès 1908, Maurice Menier précise au comte qu'outre la riche clientèle européenne, il existe des Chinois « qui vivent en grands seigneurs et ne se refusent rien », une clientèle « perçue comme peu regardante sur les prix et totalement ignorante des qualités ». Il ajoute : « L'usage de l'opium étant combattu à outrance par le gouvernement chinois, il est certain que ce vice devra être remplacé par quelque chose d'autre… » Une occasion à saisir !
En 2010, Maurice Menier suggère au comte de s'allier avec une firme de Shanghai. Il lui donne des conseils très précis pour s'adapter à la culture du pays : « Remplacer le tigre doré de votre étiquette par quelque chose de résolument chinois. Le dragon est une bonne solution. C'est ici un symbole courant pour la prospérité et les affaires, qui est lié au pouvoir. Vous devrez le représenter avec des pattes de tigre et couvert d'écailles d'or. » Le comte n'est toutefois pas convaincu : « Je ne comprends pas pourquoi il nous faudrait changer nos habitudes, alors que la clientèle du monde entier envie nos vins », répond-il.
De 1910 à 1930, la maison commercialise en moyenne 100 000 bouteilles par an en Chine. En 1914, elle atteint un pic à 350 000 bouteilles. Puis les affaires chutent lors de la Première Guerre mondiale. Elles reprennent dès la fin du conflit, puique 300 000 bouteilles sont produites en 1920. C'est l'apogée. À compter de cette date, les ventes déclinent inexorablement. « Il faut bien que vous compreniez que pour les Chinois, vos appellations ne signifient rien et qu'il faut pour votre bourgogne une étiquette qui dise quelque chose à la clientèle », assène Maurice Menier en 1922.
Victime de la concurrence des alcools anglo-saxons
Alexandre de Mayol de Lupé décède en 1924. Son fils Jacques reprend le flambeau avec l'aide de ses deux tantes. Sur le marché chinois, les difficultés vont croissant : les taxes augmentent, la contrefaçon se développe, le pays est en guerre avec le Japon et les Anglo-Saxons font une concurrence sévère au vin avec leurs alcools.
En 1932, Maurice Menier prévient : « De puissants organismes américains et anglais font pour leurs produits (brandies, whiskies, bières) une très grosse propagande qui se chiffre annuellement par millions. (…) Si nous n'y prenons garde, (…) nous nous trouverons évincés de ce marché. » Cet avertissement est prémonitoire. Le 30 janvier 1934, la société enregistre sa dernière facture sur le marché chinois.
En 1978, la famille Bichot (Albert Bichot) reprend la maison Lupé-Cholet. Depuis 2010, elle s'est lancée dans la reconquête du marché chinois.