En un éclair médiatique, Louis Ng Chi Sing est devenu une célébrité planétaire pour avoir acheté le château de Gevrey-Chambertin et ses 2,3 hectares de vignes. Pour cela, il a déboursé plus du double du prix évalué selon les critères locaux. Les experts du cru savaient la bâtisse et ses vignes bien mal entretenues. Ce richissime homme d'affaires a vu la valeur symbolique et la puissance évocatrice de ces mots accolés : « château de Gevrey-Chambertin ». De quoi faire rêver les amateurs de vin du monde entier. L'énorme retentissement qu'a eu son arrivée en Bourgogne prouve qu'il a vu juste.
Cependant, cette affaire nous rappelle d'abord que bien des industries et des activités commerciales sont plus rentables que la viticulture, fût-elle exercée dans les appellations les plus renommées. Car on voit régulièrement des financiers acheter des châteaux, jamais l'inverse. Elle nous rappelle aussi que chaque jour, la Chine et l'Asie se renforcent quand la France doute un peu plus d'elle-même. Dans ces conditions, on comprend le sentiment de dépossession éprouvé par de nombreux Bourguignons. Alertés par les cris de ceux qui se sont fait souffler l'affaire, ils ont vu un inconnu accaparer une part de la notoriété qu'ils ont mis des générations à construire. Faut-il pour autant empêcher que cela se reproduise ? Difficile à justifier lorsqu'on prétend vendre ses vins partout dans le monde. Faut-il redouter l'arrivée d'investisseurs étrangers dans nos vignobles ? Non, à condition qu'ils ne raflent pas tout.
Bordeaux, la Champagne et Cognac doivent une partie de leur essor et de leur renommée aux Irlandais, Anglais ou Allemands qui y ont investi. Il y a quelques années, le Languedoc s'était bruyamment opposé à la venue de l'Américain Robert Mondavi. Qui peut affirmer qu'il s'en porte mieux ? Reste la question de l'inflation du prix des terres dans le sillage de ces investissements hors norme. S'il est facile de pester contre ce problème, il est presque impossible d'agir. À ceux qui possèdent des vignes et qui veulent les transmettre à leurs enfants, l'arrivée d'un magnat chinois du jeu en Bourgogne rappelle que c'est une entreprise de très longue haleine.