À TROIS JOURS DES VENDANGES, Jean-Paul (à gauche) et Nicolas Roumagnac visitent ensemble les parcelles et contrôlent la maturité. Jean-Paul vendange à l'aide d'une machine Pellenc équipée d'une table de tri et d'un égreneur de manière à obtenir des vins gourmands. PHOTOS F. BAL
Jean-Paul et Nicolas Roumagnac portent le même nom sans être de la même famille. Lorsqu'en 2010, le second propose au premier de vendre ses vins en bouteilles, ils scellent le début d'une belle histoire. À l'époque, Nicolas, 33 ans, est commercial en reconversion. Jean-Paul, lui, a 50 ans et exploite les 15 ha du domaine Roumagnac à Villematier, au nord de Toulouse (Haute-Garonne). Il vend pratiquement tout en vrac.
Nicolas se donne alors trois ans pour commercialiser les deux tiers de la récolte en AOP Fronton et en bouteilles. Un objectif qui revient à passer de 7 000 à 70 000 cols, chiffre atteint au bout de dix-huit mois. Un vrai succès. Le prix de vente entre les deux compères reste « top secret », mais Jean-Paul affirme « gagner à nouveau sa vie grâce à la vigne, ce qui n'était plus le cas. Sans repreneur, j'attendais ma retraite. Je m'apprêtais à arracher une dizaine d'hectares pour faire du maïs semence. Finalement, j'en ai replanté 2, de syrah et de négrette ».
« Les clients demandent un vin léger, fruité et gourmand »
Leur partenariat tient en un contrat d'achatrevente en exclusivité des vins du domaine. « La frontière, c'est le tuyau. Dès que le vin en AOP sort des cuves, il change de propriétaire », disent-ils.
Nicolas a créé une EURL. Il assume la mise en bouteilles, le stockage, la commercialisation et la communication. Jean-Paul vend encore 270 hl d'IGP au négoce, un volume qui devrait diminuer à 60 hl pour le millésime 2012, puis disparaître.
Le secret de ce développement fulgurant ? « Une adaptation au marché et une intense présence commerciale sur le terrain », répond Nicolas. Il réalise en premier lieu une étude de marché sur l'identité du vin de Fronton auprès de deux cents personnes. « Les clients demandent un vin fruité, gourmand et léger, ni structuré, ni boisé. Un vin accessible en termes de prix », souligne-t-il. Dans la foulée, il crée deux gammes de trois vins (deux rouges et un rosé) en AOP Fronton vendus entre 5 et 7 euros le col. L'une est destinée à la restauration (CHR) et aux particuliers (90 % des ventes), l'autre cible les grandes surfaces avec des noms et des étiquettes différents. Le rosé, de couleur claire, passe de 10 à 25 % de la production et devrait atteindre un tiers en 2013. Nicolas travaille l'habillage et le packaging. Il édite des affiches, des flyers et crée un site internet.
Jean-Paul, lui, adapte le profil de ses vins. « Depuis 2009, ma Cuma dispose d'une machine à vendanger Pellenc avec trieur et égreneur embarqués, ce qui ôte toute verdeur, indique-t-il. Nous avons ensuite beaucoup travaillé les assemblages, en conservant la typicité de la négrette, tout de même exclusivité mondiale de Fronton. Mais nous avons baissé sa part à 50 % au lieu de 70 %. » Tous les vins sont élevés sur lies (trois ou quatre mois pour les rosés, six à huit mois pour les rouges) afin d'obtenir de la rondeur.
Le millésime 2010 décroche alors deux médailles au concours des vins du Sud-Ouest, des mentions au guide Hachette et dans « La Revue du vin de France ». C'est une aide précieuse pour Nicolas qui prend son bâton de pèlerin et démarre une prospection intense du réseau CHR, sa priorité. Il cible d'abord la région de Toulouse. « Après tout, Fronton, c'est le vignoble toulousain », justifie-t-il. Puis il élargit son démarchage de Montpellier, dans l'Hérault, à Bordeaux, en Gironde, en visitant de huit à dix clients ou prospects par jour et en actionnant ses réseaux. « Je cible les grossistes car sinon, sur le plan logistique, je ne peux pas suivre pour les livraisons », confie Nicolas.
Deux jours par semaine, il anime les forces de vente des grossistes. « Le client demande à voir le vigneron. Il faut être présent. C'est la clef du succès, sans oublier les tarifs compétitifs et les services », explique-t-il. Autre adaptation au marché, le millésime 2011 est décliné en formats fillette de 50 cl et en magnum.
En 2012, Nicolas a lancé un deuxième rosé : Salsa. « Le nom a énormément accroché », se réjouit-il. Il s'attaque maintenant à l'export et vient de décrocher son premier marché au Canada. En 2013, il participera à Vinexpo, Vinisud et ProWein. Il est en train de regrouper des vignerons du Sud-Ouest pour proposer à ses clients une offre globale, des facilités de panachage et un seul point d'enlèvement et de facturation.
Pour le millésime 2012, il compte lancer un vin plus haut de gamme : un assemblage de négrette et syrah commercialisé 12 euros TTC. Et dès 2014, il prévoit de vendre 130 000 bouteilles en AOP Fronton issues de la totalité des 17 hectares du domaine, à la plus grande satisfaction de Jean-Paul, qui a retrouvé toute sa motivation.
Et si c'était à refaire ? « Nous investirions tout de suite dans de nouveaux bâtiments »
« Nous avons prévu une extension de chai de 200 m2 qui abritera toutes les cuves, notamment les petites nouvelles de 30 à 50 hl. Nous allons aussi construire un local de 180 m2 pour tout le matériel viticole. Pour l'EURL, un bâtiment de 400 m2 comprenant une pièce de conditionnement, une salle de stockage et un showroom verra le jour. L'extension et ces deux nouveaux bâtiments représentent 150 000 euros d'investissement. Ils seront achevés d'ici deux ans. Si c'était à refaire, nous les construirions tout de suite. Mais d'un autre côté, travailler avec les moyens du bord et avancer prudemment a aussi été le gage de notre succès », indique Nicolas. « Nous aurions également dû faire des participations croisées dans nos deux sociétés, qui sont totalement distinctes et indépendantes. Nicolas aurait alors bénéficié du statut d'exploitant et il aurait pu, à ce titre, prétendre à des aides », complète Jean-Paul.