On ne s'improvise pas néovigneron. « Quand on veut s'installer en viticulture, il faut quelques hectares en propriété. Or, le prix du foncier n'est pas à la portée de tout le monde », fait remarquer Robert Levesque, directeur des études à la FNSafer. « Un million d'euros, c'est le seuil minimum d'installation. En dessous, nous déconseillons aux gens de se lancer », n'hésite pas à dire Michel Veyrier, gérant de Vignobles investissement et créateur de Vinéa transaction, un réseau d'agences spécialisées dans la vente de domaines.
Projet mûrement réfléchi
Beaucoup de nouveaux vignerons ont donc une première expérience professionnelle… et de l'argent. Ils ont déjà réussi dans leur ancien métier. « Très souvent, ce sont des personnes de 35 à 40 ans issues de grandes entreprises. Ils ont des économies, un réseau, un portefeuille de clients rencontrés tout au long de leur carrière », détaille Magali Fronzes, chargée d'étude à la Safer Aquitaine.
Leur projet doit être mûrement réfléchi car « les banques ne veulent prendre aucun risque », insiste Michel Verrier. « Leur apport doit être compris entre 30 et 50 % du prix du bien qu'ils veulent acheter. Mieux vaut avoir un an de trésorerie de côté afin de pouvoir vivre pendant un an sans vendre une seule bouteille », complète Daniel Carmagnat, le directeur d'A2Z Agency, une agence située au cœur de l'Entre-deux-Mers, dans le Bordelais.
Leurs motivations ? « Ils ont une vie stressante. Ils veulent se poser, retrouver leurs racines et assurer une meilleure qualité de vie à leur famille en s'installant à la campagne », constate Magali Fronzes. Cette dernière cite le cas de Stefan Paeffgen, un Allemand qui vivait avec sa femme et ses trois enfants en Belgique. Ingénieur agricole, il était cadre dans une entreprise finlandaise d'engrais. « Il passait sa vie dans les aéroports », rapporte Magali Fronzes. En 2010, à 46 ans, il décide de tout plaquer et s'installe à Bégadan, en Gironde, sur deux exploitations avec 52 ha de vignes en AOC Médoc. Les vignerons partaient à la retraite et n'avaient pas de repreneurs. Le projet de Stefan Paeffgen les a séduits.
Certains de ces néovignerons sont des chefs d'entreprise. « À 50-55 ans, ils se trouvent trop jeunes pour arrêter de travailler. Ils veulent s'offrir une préretraite dans un beau cadre de vie, note Michel Veyrier. Et puis le métier de viticulteur est très complet. On touche à la vigne, au vin, à la gestion et à la commercialisation. C'est une expérience très riche, très dense. »
Exigeants
De ce fait, ces investisseurs sont exigeants. Pour eux, le bâti a autant d'importance que les vignes. « Ils préfèrent avoir une belle maison avec un parc, des dépendances et des vignes en mauvais état plutôt que l'inverse », signale Daniel Carmagnat.
Leur point commun ? Ils aiment le vin et ont de solides connaissances en la matière. Leurs atouts ? « Ils ont une grande capacité à communiquer et à vendre », observe Michel Veyrier. « Ils ont l'habitude de calculer et de planifier les choses. D'ailleurs, ils s'installent généralement sur de grandes surfaces, car ils mesurent vite la taille critique pour que leur domaine soit rentable », ajoute Marine Dargery, d'Ampelio, une agence basée dans le Val de Loire. « Ils maîtrisent internet, le marketing et parlent plusieurs langues. Ils vont élaborer des vins dans la tendance du marché », détaille Daniel Carmagnat.
Forts de leur expérience, ils réorientent la stratégie commerciale des domaines qu'ils acquièrent pour développer le marché bouteilles. « Généralement, les propriétés qu'ils achètent vendaient 60 % de leur production en vrac », constate Daniel Carmagnat.
Cependant, bien que le ticket d'entrée dans la viticulture soit élevé, le métier reste accessible à des jeunes sans grandes ressources. À condition qu'ils fassent preuve d'imagination.
Magali Fronzes évoque ainsi le parcours de Yannick Ferrière, ex-responsable des achats d'un groupe d'électroménager. Originaire de Créon, en Gironde, il revient au pays à 33 ans. En 2008, il s'installe sur 5 ha dans l'Entre-deux-Mers. Il finance son achat en créant un groupement foncier agricole (GFA) avec des investisseurs amateurs de vin qu'il a rencontrés « dans son ancienne vie ». Une formule qui a le vent en poupe, car elle permet à ceux qui rêvent de devenir vignerons sans oser franchir le pas d'accompagner les audacieux entrepreneurs.
Les nouveaux vignerons : une majorité de français
Ces derniers temps, l'achat de prestigieux domaines par des étrangers a fait couler beaucoup d'encre. Mais les investisseurs étrangers restent des exceptions, car la majorité des néovignerons sont Français. « Parmi mes clients, 60 % sont français, 40 % sont des étrangers », note Daniel Carmagnat, le directeur d'A2Z Agency, une agence basée dans l'Entredeux-Mers. « Nous avons beaucoup de demandes d'étrangers mais peu de concrétisation. Pour 30 % de demandes d'étrangers, seules 5 % se réalisent », constate Marine Dargery, de l'agence Ampelio basée dans le Val de Loire. Ceux qui franchissent le pas viennent d'horizons très divers. « Il y a dix ans, il s'agissait à 80 % de Britanniques et de Belges. Maintenant, on voit une quinzaine de nationalités : des Américains, des Brésiliens, des Mexicains, des Russes, des Chinois, etc. », rapporte Michel Veyrier, du réseau Vinéa transaction.
Le Languedoc en recul, Bordeaux à la mode
Dans le Languedoc-Roussillon, la vague d'arrivées semble s'estomper. « Aujourd'hui, l'achat de vignes ou de domaine est plus le fait de professionnels de la viticulture que de néovignerons. Le mouvement des nouveaux arrivants date des années 2002 ou 2003 jusque 2007 à 2008 », constate Roland Traver, de la Safer Languedoc-Roussillon. Entre-temps, la crise est passée par là. En revanche, dans le Bordelais, les installations sont légion. « Cela fait huit ans que je vends des propriétés viticoles. Ma clientèle est constituée de 95 à 98 % de néovignerons. Et j'ai au minimum trois à cinq demandes par semaine. Je ne manque pas de clients. Mon principal souci est de trouver des biens à vendre », indique Daniel Carmagnat, d'A2Z Agency, une agence située dans l'Entre-deux-Mers.