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VENDRE - Observatoire des marchés

Exportations françaises : Plus fragiles qu'il y paraît

Mathilde Hulot - La vigne - n°251 - mars 2013 - page 68

En 2012, les exportations françaises de vins et spiritueux ont battu un nouveau record en valeur. Mais les volumes de vins vendus hors de nos frontières ont tendance à régresser.
 © C. GUTNER

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La valeur progresse, les volumes de vin stagnent 4 régions représentent 70 % de la valeur mais seulement 29 % du volume et captent l'essentiel de la hausse du marché

La valeur progresse, les volumes de vin stagnent 4 régions représentent 70 % de la valeur mais seulement 29 % du volume et captent l'essentiel de la hausse du marché

Un nouveau record. Mi-février, la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS) a annoncé d'excellents chiffres pour l'année 2012. En valeur, les exportations françaises de vins et spiritueux ont atteint 11,2 milliards d'euros, soit 10 % de mieux qu'en 2011. Pour les seuls vins, le chiffre d'affaires s'élève à 7,6 milliards d'euros, en hausse de 8,5 % en un an.

Comme la France importe peu de vins et spiritueux, cette branche est excédentaire de 9,5 milliards d'euros. C'est le deuxième secteur positif de la balance commerciale française derrière l'aéronautique (20 milliards d'euros) et devant les parfums et les cosmétiques (7,6 milliards d'euros). Les vins et spiritueux pèsent également 83 % de l'excédent de l'agroalimentaire français. En outre, 40 % des 825 000 hectares du vignoble français sont dédiés à l'exportation.

Pas question de perdre la bataille des volumes !

Mais lorsqu'on regarde les volumes, les choses sont bien moins reluisantes. En 2012, les entreprises françaises ont expédié l'équivalent de 2,5 milliards de bouteilles de vins et spiritueux à travers le monde. Seulement 1,5 % de plus que l'année d'avant.

Cette stagnation touche surtout les vins. Pour eux, les volumes exportés ont même tendance à régresser. Au total, durant les cinq premières années de la décennie 2000, les vignobles français ont expédié près de 9,8 milliards de bouteilles de vin à travers le monde. Or, durant les années 2008 à 2012, ce chiffre est tombé à 8,7 milliards. Certes, il y a eu 2009, l'année noire où toutes les régions ont pâti des conséquences mondiales de la crise financière aux États-Unis. Mais malgré cet accident de parcours, la courbe des volumes de vins exportés par la France tend à baisser ces quinze dernières années.

Cette perte de volume se traduit par une place de plus en plus réduite de la France dans les échanges mondiaux : sa part a diminué de moitié quand le gâteau mondial a doublé en l'espace de trente ans. C'est là que le bât blesse.

« Avec une capacité de 60 millions d'hl par an et l'un des plus grands vignobles au monde, arrêtons de dire que la France n'est bonne à produire que des vins de terroir pour des marchés de niche », pestait Bruno Kessler… en 2005 déjà, alors qu'il était directeur des achats du groupe Grands chais de France.

Huit ans ont passé et le constat reste le même : la France est à la peine sur les marchés de masse. Or, « il n'est pas question de perdre la bataille des volumes », insiste Louis-Fabrice Latour, président de la maison Louis Latour, à Beaune (Côte-d'Or), et de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux.

Haute couture et grands volumes sont-ils compatibles ? Cette fameuse « France à deux vitesses », offrant vins haut de gamme d'un côté et volume de qualité de l'autre, verra-t-elle enfin le jour ?

Travailler main dans la main avec le négoce

Plus facile à dire qu'à faire. « Dans le cœur du marché, qui se situe entre 2 et 3 euros, la France n'est pas crédible, constate Michel-Laurent Pinat, secrétaire général de l'Afed, une branche du négoce. Car elle est synonyme de haute couture. Nous n'arrivons pas à convaincre car nos produits ne correspondent pas au goût mondial de cette génération qui consomme des sodas, du Ketchup et des Kinder Bueno. Nous avons construit un vignoble orienté vers la production et non pas vers le commerce. Nos vins sont tanniques, ils manquent de rondeur, même si on progresse. »

Pour lui, haute couture et volume peuvent aller de pair ! « Dans le secteur de la mode, les parfums et les produits dérivés font vivre la haute couture, poursuit Michel-Laurent Pinat. On peut tout à fait répondre à tous les besoins ! Les vignerons pourraient produire le nec plus ultra sur telle parcelle et utiliser telle autre en IGP et encore telle autre en vin de France en poussant les rendements à 130 hl/ha. Plutôt que de miser tout le temps le haut du panier et de déclasser quand ils n'ont pas d'autre choix. »

« Nous avons laissé passer notre chance en Amérique du Nord alors que nous étions très bien placés il y a un quart de siècle, reconnaît Philippe Castéja, PDG du négoce bordelais Borie Manoux. Les Américains sont des consommateurs ouverts. Je suis optimiste. On a les produits. Il faut s'accrocher. En Asie du Sud-Est, nous avons la chance d'être une référence. À nous de confirmer que nous pouvons tenir. » En Chine, il y a urgence. Ce marché se développe à toute vitesse. « Avec un milliard de consommateurs, on ne peut pas se permettre de ne faire que des vins de niche. Il faut du volume », souligne Philippe Castéja. La politique d'arrachage n'a pas arrangé les choses. 3 % du vignoble français a disparu durant les trois années du programme européen d'arrachage définitif. « Le plus bel exemple de mauvaise anticipation, c'est l'arrachage à tour de bras du cinsault dans le Languedoc, alors que le rosé montre des croissances à deux chiffres. Et on continue d'en arracher », déplore Michel-Laurent Pinat.

Alors comment faire ? « Nous attendons du vignoble des vins de bon rapport qualité prix et des approvisionnements qui s'inscrivent dans le temps », insiste Philippe Castéja. Production et négoce doivent entreprendre une réflexion générale pour réaliser les vins que le monde entier demande. « Il faut faire en sorte que les décisions concernant les produits soient prises par le négoce en même temps que la production. Ce qui ne nous empêche pas de faire des icônes», estime Ghislain de Montgolfier, président de l'Agev, le syndicat des négociants en vins, et de l'Union des maisons de Champagne.

Des contrats solides

Pour beaucoup de négociants, il n'est pas indispensable d'avoir d'énormes entreprises pour attaquer les marchés de masse. L'important, c'est le réseau qui relie production et négoce. Il doit être bien organisé et bâti sur des contrats solides et équilibrés où les décisions sont partagées. « Les vignerons doivent comprendre que le négociant qui vend dans cent pays différents ne peut se permettre d'avoir un approvisionnement qui fait le yo-yo », conclut Philippe Castéja.

Dans l'immédiat, avec la petite récolte 2012, le volume de l'offre française a peu de chances de progresser. Si la filière veut infléchir sa stratégie, cela se fera dans la durée. Elle devra aussi aborder la question des coûts de production et de la productivité du vignoble. Car « si nous avions comme objectif de ne faire que du volume, notre viticulture ne tiendrait pas longtemps face à la concurrence », prévient Ghislain de Montgolfier. On le voit, le chantier est considérable.

Cognac : l'Asie tire plus que jamais

Les exportations de cognac en 2012 ont progressé de 17 % en valeur par rapport à 2011 pour atteindre 2,4 milliards d'euros. En volume, la progression est moindre : + 3,2 % avec 168 millions de bouteilles exportées. L'Asie crée clairement la valeur avec Singapour, la Chine, Hong Kong, la Malaisie et Taiwan qui, à eux seuls, enregistrent + 23 % en valeur et + 7,5 % en volume. « Ces chiffres traduisent l'intérêt des Chinois pour les qualités vieilles », précise Agnès Aubin, du Bureau national interprofessionnel du cognac. Le début d'année confirme cet engouement avec deux premiers mois très actifs (+ 12 % en volume par rapport à la même période en 2012 pour la zone Asie). Les États-Unis, deuxième marché des cognacs, totalise + 2,9 % en volume et + 14 % en valeur en 2012. Rappelons que le cognac réalise 98 % de ses ventes à l'export.

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