Installée dans la région parisienne comme fonctionnaire de l'enseignement, Ella Delachance hérite de son père une parcelle de 2 ha en appellation Champagne. Pour tirer parti de ce bien, elle donne la parcelle à bail à long terme de trente ans. Dans le contrat, elle précise les obligations du locataire en matière de replantation mais omet en revanche d'y inclure une disposition de tacite reconduction en fin de bail. Le code rural (article L. 416-3) prévoit que « si la durée du bail initial est d'au moins vingt-cinq ans, il peut être convenu que le bail à long terme se renouvelle à son expiration, sans limitation de durée, par tacite reconduction. Dans ce cas, chacune des parties peut décider d'y mettre fin chaque année (…). Le congé prend effet à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle il a été donné ».
En l'absence de la disposition de tacite reconduction dans le contrat, la jurisprudence (Cour de cassation du 12 juin 2003) nous apprend qu'à l'échéance du bail, soit le bailleur donne congé pour reprendre l'exploitation de son bien, soit le bail se renouvelle pour neuf ans.
En 2006, une ordonnance du 13 juillet change la donne : « En l'absence de clause de tacite reconduction, le bail [de vingt-cinq ans ou plus] prend fin au terme stipulé sans que le bailleur soit tenu de délivrer congé. » Le contrat entre Ella Delachance et le viticulteur est signé au début des années quatre-vingt. Au terme des trente années de bail, les héritiers d'Ella Delachance signifient congé au preneur. D'entrée de jeu, celui-ci en soulève la nullité. Pour cela, il s'appuie sur deux articles du code rural (L. 411-46 et 411-47). Le premier dispose que « le preneur a droit au renouvellement du bail, nonobstant toutes clauses, stipulations ou arrangements contraires, à moins que le bailleur ne justifie [de] motifs graves et légitimes [...] ou n'invoque le droit de reprise [pour l'exploitation de son bien]». Le second article précise les formalités à remplir par le propriétaire qui entend s'opposer au renouvellement du bail, comme la notification du congé au preneur dix-huit mois au moins avant l'expiration du bail.
La cour d'appel a rejeté l'action du locataire, donnant ainsi raison au bailleur. Selon les juges du second degré, le congé délivré n'était pas un congé pour reprise mais un congé pour éviter le renouvellement tacite du bail pour une période de neuf ans. Le propriétaire n'avait donc pas à justifier de motifs graves ou vouloir exploiter ses vignes pour mettre fin au bail. En jugeant ainsi, la cour a admis qu'à l'expiration des trente ans, le bailleur pouvait mettre fin à la tacite reconduction du contrat. Mais cette cour d'appel semblait ignorer que le bail ne comprenait aucune clause à ce sujet.
Sur pourvoi du preneur, la censure par la Cour de cassation ne se fera pas attendre. Selon elle, si le bail comprend la clause de tacite reconduction, le bailleur peut chaque année s'opposer à la continuation du bail en donnant congé quatre ans à l'avance. En revanche, si le bail ne comprend pas une telle clause, il se renouvelle pour neuf ans au terme de son échéance contractuelle. Ainsi, le congé donné par les héritiers d'Ella était nul pour n'avoir pas respecté les articles L. 411-46 et 411-47 du code rural. Ses ayant-droits ont alors fait état de l'ordonnance du 13 juillet 2006 supprimant la nécessité du congé à l'expiration du bail de vingt-cinq ans ou plus. Ils ont argumenté que le contrat expirait à son terme, sans autre formalité, sauf aux parties de décider le renouvellement du bail. C'est exact, mais cette disposition ne peut concerner que les baux conclus ou renouvelés après la date de l'ordonnance, à savoir le 13 décembre 2006. C'est le principe de non-rétroactivité de la loi !
Or, le contrat de bail passé par Ella Delachance avait été signé dans les années quatre-vingt. Ainsi, l'ultime argument de ses héritiers a été rejeté. Ils ont dû regretter qu'Ella n'ait pas fait référence à la clause de tacite reconduction.
Cour de cassation, 30 octobre 2012 n° 11 19573