En mars 2006, les époux Dupont, propriétaires d'une exploitation située dans l'est de la France, signent un compromis de vente avec Yves Durand. Ce compromis prévoit la cession d'un corps de ferme, d'une maison d'habitation, de deux granges, d'un hangar et de 2,38 ha pour un montant de 349 000 euros. De plus, la réalisation de cette transaction est conditionnée à la cession de la totalité des parts de deux groupements fonciers agricoles (GFA). Le notaire rédige l'acte en respectant la loi et les volontés des parties. Comme il se doit, il notifie la vente à la Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) en précisant la condition relative à la cession des parts de GFA.
En juin, la Safer décide d'exercer son droit de préemption : sur les immeubles, mais également sur les parts de GFA. Elle rétrocède le tout à un tiers. Yves conteste et agit en justice. Malheureusement pour lui, il va perdre.
La question posée aux juges est de savoir si la Safer avait le droit ou non de préempter ces parts de GFA… Juridiquement, pour qu'il y ait possibilité de préemption de la Safer, il faut que la vente porte sur un bien immeuble. En l'espèce, c'est le cas. Mais le code rural ne prévoit pas que la Safer puisse exercer un droit de préemption sur des parts de société. Certes, depuis une loi de juillet 1999, la Safer peut acquérir les parts d'une société, mais elle ne peut pas les préempter. On notera encore, accessoirement, que depuis la loi du 5 janvier 2006, la Safer peut aussi préempter des biens mobiliers à la condition que ceux-ci soient attachés à l'exploitation.
Malgré ces restrictions les juges du tribunal de première instance, comme ceux de la cour d'appel, vont estimer que l'action de la Safer est légitime. Yves n'en démord pas et tente un pourvoi en cassation.
Dans un arrêt rendu en décembre dernier, la cour suprême a rejeté son action. Les juges constatent d'abord que « le compromis [de vente], objet de la notification [à la Safer], portait sur des biens immobiliers et que le formulaire de notification mentionnait au titre des conditions particulières de cette vente, la cession des parts du GFA ». La Cour de cassation poursuit en considérant que « la cession de ces parts sociales résultait de la réalisation des conditions de la vente initiale imposées à l'acquéreur auquel la Safer s'était substituée ». En conséquence, elle rejette l'action d'Yves Durand.
On ne peut s'empêcher d'évoquer l'article L 143-1 du code rural qui définit le droit de préemption des Safer. Le texte précise que ce droit s'exerce « en cas d'aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à utilisation agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains à vocation agricole ». En aucun cas, il n'est question d'exercer ce droit sur des parts de société.
L'arrêt de la Cour de cassation n° 93-11898 du 28 juin 1995 a affirmé que la Safer ne peut préempter les parts de société. L'arrêt du 18 décembre 2012 semble indiquer le contraire… On notera cependant que ce dernier étant un arrêt de rejet, il n'a pas techniquement valeur d'enseignement jurisprudentiel.
Cette décision est également surprenante du point de vue du droit applicable au groupement foncier agricole. On ne sait même pas ce que disaient les statuts du GFA en ce qui concerne les cessions de parts… Prévoyaient-ils une décision à l'unanimité des associés ou une simple majorité ? Le GFA est une société civile soumise à l'article 1 861 du code civil selon lequel les parts sociales ne peuvent être cédées qu'avec l'accord de tous les associés. Or, dans cette affaire, aucun associé des GFA n'a eu à s'exprimer sur la cession de ses parts à la Safer.