LES INONDATIONS qui ont touché le Var en juin 2010 ont occasionné de nombreux dégâts dans les vignes, comme ci-dessus, à Puget-sur-Argens. © AFP/G. JULIEN
Gel de printemps dans le Muscadet en 2008, inondations dramatiques dans le Var en 2010 et en 2011, gel d'hiver dans les côtes du Rhône en 2012, orage de grêle sur une superficie inédite cet été dans le Bordelais : la viticulture souffre. Et de plus en plus, semble-t-il. Pour se protéger de ces catastrophes à répétition, certains plaident pour la généralisation du VCI, le volume complémentaire individuel. Ce système permet de récolter plus que le rendement annuel lors d'une bonne année afin de constituer des réserves pour les années déficitaires.
Alain Duc, président de la coopérative d'Espiet (Gironde) et vice-président de la MSA de Gironde, en est un fervent partisan. En 2003, une tempête a dévasté le tiers de son vignoble. Dans son témoignage (lire p. 23), il explique qu'il a surmonté cette épreuve grâce à l'élan de solidarité dont il a bénéficié. Aujourd'hui, il défend l'idée que tout viticulteur devrait pouvoir mettre une demi-récolte en réserve. Reste qu'il faut pouvoir constituer et contrôler ces réserves.
Pour tous les experts, l'assurance est une meilleure solution. C'est aussi l'avis de Denis Chilliet, un autre vigneron qui témoigne dans notre dossier. Installé en Beaujolais, il a dû se contenter du tiers d'une récolte normale en 2012. Selon lui, tout viticulteur devrait assurer sa récolte. On en est loin. La Fédération française des sociétés assurances estime qu'en 2011, à peine plus de 15 % du vignoble français était couvert par une assurance multirisque climatique. Un chiffre qui n'a guère progressé cette année.
Pas d'assurance obligatoire. Les raisons ? Les assurances sont jugées trop chères ou assorties de franchises trop élevées. Les contrats excluent la coulure et le millerandage. De plus, ils paraissent opaques et sont présentés différemment d'un assureur à l'autre. « La complexité des contrats les rend incomparables et parfois incompréhensibles », note Nicolas Faugère, conseiller d'entreprises à la chambre d'agriculture du Var.
En attendant, il y a urgence à trouver un système qui protège les exploitations. « Les domaines touchés par la grêle et la coulure cette année ne résisteront pas à une autre catastrophe », clame Bernard Farges, le président du CIVB, l'interprofession des vins de Bordeaux.
Certains estiment qu'il faudrait rendre l'assurance obligatoire. Mais fin août, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, en visite à Bordeaux (Gironde), a souligné que c'est impossible en l'état actuel du droit. « On ne peut rendre obligatoire que les assurances pour les dommages causés à des tiers, pas pour ceux que l'on subit soi-même », a-t-il précisé.
Rendre l'assurance plus attractive. Après la succession de catastrophes cette année, il a créé un groupe de travail national réunissant les syndicats, les chambres d'agriculture et les assureurs. Pour l'instant, aucune proposition concrète n'est sortie de ses réflexions. « Nous sommes convaincus de la nécessité de généraliser l'assurance, indique simplement Joël Limouzin, le vice-président de la FNSEA, qui a participé au groupe de travail. Il faut aller vers un socle obligatoire ou alors instaurer un système très fortement incitatif. C'est une révolution culturelle. »
Comment rendre l'assurance plus attractive ? En Gironde, un groupe de travail réunissant les assurances, l'interprofession et la chambre d'agriculture se pose la même question. Pour Philippe Abadie, responsable du service économique de la chambre d'agriculture, « les compagnies doivent mutualiser le risque sur un secteur géographique large et sur plusieurs filières ». Les réflexions se poursuivent.
Des contrats plus adaptés. Dans le Var, la chambre d'agriculture mise sur la pédagogie. « Nous allons monter une formation sur les assurances. Les compagnies viendront expliquer leurs contrats. Il faut qu'elles donnent confiance et qu'elles jouent la transparence », répète Nicolas Faugère.
En pays nantais, 20 % des exploitations viticoles sont assurées multirisque climatique. Dans cette région, le syndicat des Vignerons indépendants incite ses adhérents à aller vers l'assurance qui est « un bon outil », selon David Destoc, son directeur. Une concertation est en cours avec Groupama et Pacifica, dans le but d'établir un contrat plus adapté et avec des tarifs négociés. « Ce contrat apportera un cadre. Les vignerons choisiront leur capital assuré et leur franchise. En mutualisant, les tarifs seront meilleurs. »
David Destoc prévient qu'il faudra faire avec la baisse des subventions. L'assurance multirisque climatique bénéficie d'une aide à hauteur de 65 % de la cotisation (un taux calculé pour une franchise de 30 %), cofinancée par l'Union européenne (75 % de la subvention) et par la France. En 2014, l'Union européenne ne financera plus que 50 % de la subvention.
Des primes en hausse. Dans le Beaujolais, où 40 % des surfaces sont assurées, les primes sont déjà en hausse. Avec le gel de l'hiver 2012, qui a anéanti la moitié des récoltes, les cotisations ont augmenté de 30 à 50 % en 2013. « Nous réfléchissons à un système plus attractif et qui couvre un chiffre d'affaires à l'hectare ainsi que les charges fixes », rapporte Pascal Hardi, de la chambre d'agriculture du Rhône.
Reste que l'on ne surmonte pas une catastrophe uniquement avec de l'argent. La MSA de Gironde en sait quelque chose. « Il faut un accompagnement psychologique et social pour ne pas laisser les gens seuls face à leur désarroiNous avons eu plus de 140 contacts. Cela nous a permis de mesurer la détresse des viticulteurs. Au-delà des plans d'étalement des cotisations sociales que nous pouvons leur proposer, les sinistrés ont surtout besoin d'être écoutés. »
L'assurance revenu, une autre piste
Dès 2010, Les Vignerons indépendants de France ont mené une étude sur les résultats courants avant impôts des exploitations viticoles de 2002 à 2009. Ce travail montre que chaque année, 35 % des exploitations enregistrent une baisse de résultats de plus de 30 %. Sur la période observée, les revenus varient de 20 à 40 % autour du revenu courant moyen. D'où l'idée, relancée par les Vignerons indépendants cette année, d'instaurer une assurance pour stabiliser les revenus. Fatigué d'essuyer des catastrophes à répétition, Claude Rivier, le président de la cave coopérative de Laudun, dans le Gard, y est très favorable. « Cette année, la coulure aura une incidence plus dure que le gel de février 2012. Chez nous, sur les six dernières récoltes de 2008 à 2013, seule celle de 2011 était d'un rendement conforme aux besoins économiques d'une exploitation », confie-t-il.
Météo France prévoit les catastrophes, mais ne les mesure pas
Pour beaucoup d'entre nous, il ne fait pas de doute que les précipitations, les tempêtes et les vagues de chaleur ou de froid sont de plus en plus fréquentes et violentes. Mais Météo France reste extrêmement prudent. L'agence confirme que le Sud-Ouest, le Sud-Est, la vallée du Rhône et les massifs montagneux figurent parmi les plus exposés à la grêle. Ces régions sont-elles de plus en plus touchées par ce fléau ? Météo France est incapable de répondre. « Nous n'avons pas de moyens pour mesurer l'intensité de la grêle », indique Grégoire Pigeon, responsable de la division agrométéorologie. Les catastrophes climatiques sont-elles de plus en plus fréquentes ? Même prudence : « Il est difficile de donner des statistiques. Cependant, nos travaux devraient permettre d'améliorer la prévision de la grêle. Et le modèle Arome, conçu pour anticiper les phénomènes dangereux tels que les orages violents et les fortes pluies, va être amélioré. » Selon le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), ce modèle va beaucoup servir à l'avenir. Dans leur dernier rapport datant du 27 septembre, les experts internationaux du climat annoncent que les précipitations extrêmes seront très certainement plus intenses et plus fréquentes sur la majeure partie des terres émergées à la fin du siècle du fait du réchauffement climatique.