À quelques semaines des fêtes de Noël et du nouvel an, aucun professionnel du champagne ne se risque à prédire comment va se terminer l'année. Car le marché se tasse depuis plusieurs mois. En 2012, la région a vendu 309 millions de bouteilles, contre 323 millions en 2011. Et durant les douze mois arrêtés au 31 août 2013, les ventes sont tombées à 303,7 millions de bouteilles, contre 316 millions sur la même période en 2011-2012.
« Nos principaux débouchés se trouvent en Europe, touchée par la crise économique, constate Thibault Le Mailloux, directeur de la communication du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC). Heureusement, nous voyons des signes d'optimisme du côté des pays tiers, qui tirent les expéditions. Cette tendance se renforce, mois après mois, depuis le début de 2012. Au Japon, par exemple, nos ventes sont passées de 7,96 millions de bouteilles en 2011 à 9 millions en 2012. En 2013, nos ventes dans les pays tiers ont dépassé, en volume, celles de l'Europe, hormis la France, qui reste notre plus gros marché. »
De la qualité et du luxe. Durant les huit premiers mois de l'année, la Champagne a expédié 37,5 millions de bouteilles de 75 cl vers les pays tiers (+ 3 % par rapport aux huit premiers mois de 2012), 33,7 millions vers l'Union européenne (- 4 %) et 81,2 millions en France (- 5,3 %), où s'écoule 56 % de la production.
Les Vignerons indépendants, traditionnellement ancrés sur le marché français, reconnaissent que l'export améliore leur situation. « C'est une tendance très nette depuis 2012, notamment chez les jeunes vignerons, témoigne Michel Loriot, président des Vignerons indépendants de Champagne, qui réalise 35 % de son chiffre d'affaires à l'export. Nos principales destinations sont le Japon et les États-Unis. On parle beaucoup de la Chine, mais ça va être long. Il y a toute une éducation au champagne à y faire. »
Numéro deux des maisons de champagne, Lanson international diffusion (LID, champagnes Alfred Rothschild, Besserat de Bellefon, Chanoine, Lanson et Tsarine) accumule des performances encourageantes sur le Pacifique et aux États-Unis, où le groupe a créé une filiale il y a un an et demi. En Russie, LID a décroché un intéressant distributeur de produits de qualité. Lanson, qui est entré dans le top trois des marques internationales, enregistre 37 % de hausse en volume au premier semestre 2013 et réalise 75 % de son chiffre d'affaires à l'export.
Selon Thibault Le Mailloux, cette inversion du poids des destinations n'entraîne pas de baisse du chiffre d'affaires, bien au contraire, car les acheteurs lointains veulent de la qualité et du luxe, et ils y mettent le prix. « Les pays tiers absorbent une grande proportion de cuvées coûteuses (champagnes millésimés et rosés) qui sont mieux valorisées, confirme-t-il. Plus on s'éloigne de la France, plus le champagne est perçu comme un produit de luxe, ce qui rend naturel l'achat de cuvées millésimées. À l'autre bout du monde, il n'y a pas de prix d'appel ou de premier prix. »
« Innovation et internationalisation. » L'analyse de Dominique Pierre, directeur général du Centre vinicole champagne Nicolas Feuillatte, est différente. Pour lui, il n'y a rien d'automatique. « Les consommateurs étrangers sont comme les Français, très peu demandent des millésimes ou des cépages. 85 % achètent du champagne brut sans année. Il ne faut pas tous les assimiler à des spécialistes. Alors que nous sommes entrés dans une nouvelle aire de consommation, avec de nouvelles attentes des clients, certaines marques ne se sont pas renouvelées. Elles sont vieillissantes. Chez Nicolas Feuillatte, nous répondons à l'évolution du marché en adaptant notre communication et nos packagings. Notre marque est la plus vendue en France. Elle est devenue incontournable car son rapport qualité/prix fait gagner de l'argent aux distributeurs. Elle est jeune et continue à se développer. Aux États-Unis, nous vendions 120 000 bouteilles il y a trois ans et 700 000 aujourd'hui. »
En 2012, le Centre vinicole a vendu 9,1 millions de bouteilles et dégagé 15,6 millions d'euros de résultat net, le meilleur de son histoire, en hausse de 7,8 %. LID joue la même carte. « Notre stratégie repose sur l'innovation, la croissance du premium et l'internationalisation. Toutes nos marques prioritaires progressent en volumes, indique Jérôme Durand, directeur marketing et développement de LID. C'est très positif, même si nous sommes conscients que l'environnement économique et concurrentiel est très compliqué. Nous avons travaillé l'image de qualité de la maison Lanson, en lançant notre champagne Extra Age pour les cafés, hôtels et restaurants et la Lanson Vintage collection grâce à laquelle les amateurs peuvent acheter nos plus vieux millésimes. Ces efforts semblent porter leurs fruits. »
Patrimoine mondial de l'Unesco. « Le champagne doit continuer sa marche en avant en acceptant que le monde change et en se distinguant d'autres produits qui se sont développés aux quatre coins du monde, ajoute Dominique Pierre. Certains consommateurs pensent que le champagne n'est que le résultat d'un processus reproductible partout. Il faut absolument recommencer à communiquer dans le monde entier pour effacer cette idée fausse. La filière n'a mené aucune vraie campagne depuis 1973 ! »
« Notre appellation, qui représente 10 % des vins effervescents dans le monde, ne pourra pas lutter sur le long terme si elle fonde sa stratégie sur les volumes, souligne Thierry Le Mailloux. Son avenir est dans la valorisation. Vendre à un coût juste est fondamental pour les Champenois, notamment dans la grande distribution où s'opèrent 30 % des ventes. »
La demande d'inscription de l'ensemble de la zone AOC Champagne sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco est un nouveau pas pour rappeler que le terroir de Champagne détermine le caractère unique de son vin, notamment aux États-Unis, à la Russie, à l'Argentine et au Vietnam, où la dénomination est considérée comme générique. La filière saura en janvier. Si la France a choisi de présenter ce dossier à l'Unesco.