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FLAVESCENCE DORÉE Nouvelles poussées de fièvre

CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 8

Un vigneron bourguignon bénéficie d'un vaste soutien médiatique pour avoir refusé la lutte obligatoire. Dans les coteaux d'Aix-en-Provence, un de ses confrères est obligé d'arracher une grande partie de son vignoble.
EMMANUEL GIBOULOT a refusé de traiter ses vignes en bio contre la cicadelle vecteur de la flavescence dorée. Il doit comparaître au tribunal de grande instance de Beaune le 24 février prochain. © PHOTOPQR/JOURNAL SAÔNE-ET-LOIRE

EMMANUEL GIBOULOT a refusé de traiter ses vignes en bio contre la cicadelle vecteur de la flavescence dorée. Il doit comparaître au tribunal de grande instance de Beaune le 24 février prochain. © PHOTOPQR/JOURNAL SAÔNE-ET-LOIRE

Tête haute, Emmanuel Giboulot assume son choix. Début juillet dernier, ce viticulteur de Côte-d'Or aurait dû réaliser un traitement insecticide contre la cicadelle vecteur de la flavescence dorée. Sans foyer déclaré dans le département, ce traitement préventif visait à diminuer les populations de cicadelles jugées importantes. Emmanuel Giboulot a refusé de le faire.

Ce cultivateur de Combertault exploite 80 ha de céréales bios et 10 ha de vignes en biodynamie, principalement en appellations régionales. « Ce traitement ne me paraissait pas justifié techniquement, justifie l'ancien président des agrobiologistes de Côte-d'Or (Gab 21). Il ne réglait pas le souci du vecteur puisqu'on retrouve des cicadelles même après trois traitements. Il ne tenait surtout pas compte de l'impact environnemental des insecticides neurotoxiques non sélectifs, qu'ils soient bios ou conventionnels. C'est incohérent avec la lutte raisonnée en Bourgogne. » Dès 2012, il avait rejoint le groupement des Artisans vignerons pour porter ces messages auprès des autorités et de la profession.

Mais les autorités, comme la profession, ont vu les choses autrement. Touchée par un foyer conséquent de flavescence dorée en Saône-et-Loire et sentant la maladie remonter vers la Côte-d'Or, au nord, la Bourgogne a pris les devants. Elle a élargi son plan de lutte obligatoire à la Côte-d'Or en 2013, alors qu'aucun plant malade n'y avait encore été repéré. Les viticulteurs étaient alors tenus de traiter contre la cicadelle en vertu d'un arrêté préfectoral pris en juin dernier.

Jusqu'à six mois de prison. Durant l'été 2013, le Sral (Service régional de l'alimentation) a contrôlé 45 exploitations au total : 34 en Saône-et-Loire et 11 en Côte-d'Or. Le domaine Giboulot en fait partie. « J'ai dit simplement que je n'avais pas traité. Il était hors de question pour moi d'acheter le Pyrévert et de laisser ensuite le bidon dans un coin du hangar », glisse-t-il.

La procédure classique s'engage alors. Le vigneron reçoit un courrier du Sral constatant des faits « constituant un délit » et passibles d'une peine allant jusqu'à six mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

Le 5 octobre, Emmanuel Giboulot est convoqué au commissariat de police pour faire une déposition. Il doit ensuite se rendre le 12 novembre devant le substitut du procureur de la République du tribunal de grande instance de Beaune. Un report est demandé, puis un autre. Sa convocation au tribunal est désormais fixée au 24 février.

« Entretemps, un collectif d'associations (Confédération paysanne, Fédération nationale d'agriculture biologique, FNE, Génération future...) a pris le relais et c'est parti dans les médias comme une traînée de poudre », admet Emmanuel Giboulot. Ainsi médiatisée, l'affaire prend une dimension internationale. Le 2 janvier, le « New York Times » en fait l'un de ses éditos, dénonçant le fait que des vignerons bios bourguignons soient poursuivis pour avoir refusé d'utiliser des pesticides. « La loi qui impose [l'utilisation des insecticides en Bourgogne] n'est pas seulement une mauvaise politique, c'est une terrible contre-publicité pour le vin français », écrit le quotidien américain.

L'interprofession des vins de Bourgogne redoutait de telles dérives écorchant l'image et la notoriété de son vignoble. Fin décembre, alors qu'il était encore en poste, l'ex-président du BIVB, Michel Baldassini, s'évertuait à rappeler qu'Emmanuel Giboulot ne faisait que l'objet d'une information judiciaire. « Il n'a pas été condamné. Il était inutile de monter cette affaire en épingle et de s'en servir médiatiquement. » Mais c'était peine perdue.

Calmer le jeu. « Les internautes se sont emparés du sujet, regrette Bernard Martenot, président de l'ODG Saint-Romain, où Emmanuel Giboulot possède une parcelle. Je reçois des courriels de clients dénonçant "un pauvre viticulteur condamné à polluer". On ne sait pas quoi répondre. » Et d'ajouter : « Néanmoins, c'est anormal qu'il n'ait pas traité. En réunion, les vignerons - y compris bios - du village étaient tombés d'accord : la flavescence est à prendre au sérieux et il fallait traiter pour conserver notre patrimoine. Suite aux prospections 2013, la maladie a d'ailleurs été repérée à 7 km d'ici, à Saint-Aubin. »

À Pommard, Volnay et Meursault, des pieds atteints de flavescence dorée, mais isolés, ont également été repérés à l'automne 2013. Sans dogmatisme, Emmanuel Giboulot reconnaît « qu'il aurait eu une posture différente s'il avait été à côté d'un foyer ».

Entendant calmer le jeu, le Syndicat des appellations et vignerons de Bourgogne débute les discussions pour définir le plan de lutte 2014. « Il nous faut discuter davantage pour éviter des déchirements inutiles entre bios et non bios, reconnaît Jean-Michel Aubinel, président de la CAVB. C'était la première année. Il nous faut mieux communiquer. Ce qui est important à l'avenir, c'est de fédérer. Même s'il y aura des aménagements de la lutte en 2014, les arrêtés préfectoraux s'appliqueront à tous. Il n'y aura pas de laxisme. »

Une ampleur terrible dans un domaine des Bouches-du-Rhône

Fin septembre, un gros foyer de flavescence dorée de plusieurs milliers de ceps atteints a été découvert dans les Bouches-du-Rhône, à Orgon et Eygalières, un secteur où 80 % des vignes sont conduites en bio. Les Vignobles Benoît, à Orgon, un domaine de 41 ha de vignes dans les coteaux d'Aix-en-Provence, sont les plus concernés. « Nous devons arracher 17 ha d'ici fin mars, car les parcelles sont touchées à plus de 20 %, déplore André Benoît, le propriétaire. C'est un chantier énorme auquel nous nous attelons depuis début octobre. Nous devons enlever 220 km de fil, 17 000 à 20 000 piquets métalliques et 20 000 à 30 000 tuteurs dans les jeunes vignes. » Pour le domaine, en bio depuis quatorze ans, c'est une catastrophe. « J'avais quatre salariés permanents. J'ai dû en licencier un. Un autre part à la retraite et je ne vais pas le remplacer. Sans compter que cela va impacter mes ventes. » Le foyer a pris cette terrible ampleur à cause d'une erreur de diagnostic. Dès 2011, André Benoît avait observé des symptômes dont il ne connaissait pas l'origine après la véraison. Il en parle alors au technicien qui le suit à l'époque. Celui-ci diagnostique une carence en potasse et lui conseille des apports correctifs. Mais les années suivantes, les symptômes progressent. Cette année, André Benoît a eu recours à la chambre d'agriculture. Celle-ci fait des analyses. Le couperet tombe : les ceps sont atteints de flavescence dorée. En septembre, les prospections révèlent l'ampleur des dégâts. « Il faut sensibiliser l'ensemble de la profession aux conséquences de la maladie », insiste le viticulteur. Pour l'instant, ce dernier ne va pas replanter les parcelles qu'il arrache. « Il y a beaucoup de petites parcelles abandonnées autour de nos vignes. Elles constituent des réservoirs de la maladie. Mais tant que ce problème ne sera pas résolu, nous ne renouvellerons pas notre vignoble », assure André Benoît.

La prospection sera obligatoire

Un nouvel arrêté de lutte contre la flavescence dorée et son vecteur devrait paraître prochainement au Journal officiel. Il remplacera celui de 2003 et devrait rentrer en vigueur en 2014. Il devrait instaurer plusieurs changements.

- Au sein des périmètres de lutte, les propriétaires de vignes auront pour obligation de prospecter ou de faire prospecter leurs parcelles par ou sous le contrôle d'un organisme à vocation sanitaire. Si le risque sanitaire le justifie, les préfets pourront étendre cette obligation de surveillance à des zones situées hors du périmètre de lutte.

- Autre changement : si le risque le justifie, les préfets pourront exiger le traitement à l'eau chaude des plants non porteurs du passeport phytosanitaire permettant la circulation dans les zones protégées contre la flavescence dorée et destinés à être plantés dans un périmètre de lutte.

- Hors des périmètres de lutte obligatoire, les pépiniéristes auront la possibilité de ne plus faire les trois traitements insecticides obligatoires dans les vigne mères de greffons, à condition qu'ils traitent ensuite le matériel végétal à l'eau chaude.

- De même, dans les vigne mères de porte-greffes situées hors des zones de lutte obligatoire, ils pourront réaliser les trois traitements insecticides avec du Pyrévert, là aussi sous réserve de traiter ensuite le matériel végétal à l'eau chaude. Cela leur ouvre la possibilité de mettre en place une filière de production de plants bios.

De nouvelles contaminations dans plusieurs vignobles

PROSPECTION CET AUTOMNE dans les vignes de Santenay (Côte-d'Or) avec les élèves du lycée viticole de Beaune. ©  C. MICHELIN

PROSPECTION CET AUTOMNE dans les vignes de Santenay (Côte-d'Or) avec les élèves du lycée viticole de Beaune. © C. MICHELIN

La flavescence dorée progresse en Paca. Un foyer de plusieurs milliers de ceps a été découvert dans les Bouches-du-Rhône sur les communes d'Orgon et d'Eygalières (voir encadré ci-contre). Un autre a été détecté dans le Vaucluse, en dehors du périmètre de lutte obligatoire de Courthézon, à une trentaine de kilomètres des foyers existants. La maladie s'étend aussi dans le Gard, où deux nouveaux foyers, dont l'un de 400 pieds, ont été observés dans des parcelles de raisins de table. Dans le Beaujolais, des ceps contaminés ont été découverts au sud, à Lachassagne (Rhône), et au nord du vignoble, à Fleurie et Émeringes. En Côte-d'Or, un département jusqu'à présent indemne, des pieds flavescents isolés ont aussi été découverts à Meursault, Pommard, Saint-Aubin et Volnay. À Cognac, en Charente, la situation semble se stabiliser. Cette année, 2,8 ha devront être arrachés, contre 3 ha l'an passé. Mais des pieds isolés infectés par la maladie ont été observés dans ce département dans le secteur de Sigogne, sur dix communes où la lutte n'était pas encore obligatoire.

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