Emmanuel Giboulot est sorti du tribunal visiblement satisfait le 24 février. Seulement 1 000 euros d'amende, dont la moitié en sursis, ont été requis contre ce viticulteur poursuivi pour avoir refusé d'appliquer un traitement obligatoire contre la cicadelle de la flavescence dorée. Ce jour-là, environ 500 personnes étaient venues le soutenir. PHOTOS AFP IMAGEFORUM
Vendredi 21 février, à trois jours de la convocation au tribunal d'Emmanuel Giboulot, l'interprofession (BIVB) et la confédération des syndicats d'AOC de Bourgogne (CAVB) annoncent une conférence de presse d'urgence. Devant les médias, le ton est dur à l'égard de ce viticulteur bio de Beaune (Côte-d'Or). En juillet dernier, il a refusé d'appliquer le traitement insecticide obligatoire contre la cicadelle de la flavescence dorée. Il est poursuivi en justice pour cela. L'affaire a pris des proportions énormes.
Depuis le lundi 17 février, la pétition « En prison pour avoir refusé de polluer » circule sur internet en soutien à Emmanuel Giboulot. 500 000 personnes l'ont signée en une semaine et 120 000 se sont exprimées sur Facebook pour féliciter le vigneron de son initiative. Cette ébullition irrite les responsables professionnels.
Réquisitions clémentes
Le président de l'interprofession des vins de Bourgogne (BIVB), Claude Chevalier, ne cache pas son « ras-le-bol des professionnels qui propagent des infos erronées » et des « contre-vérités » sur la flavescence dorée. Il sous-entend qu'Emmanuel Giboulot est « soit aidé, soit manipulé par d'autres », visant la dizaine d'organisations qui ont lancé et relayé la pétition.
Même le Sedarb, l'institut technique de la viticulture biologique en Bourgogne, le rejoint. Pascal Lambert, son directeur, reconnaît que la vidéo postée sur les réseaux sociaux pour défendre Emmanuel Giboulot « raconte un peu n'importe quoi » et « vend des poudres de perlimpinpin ! »
Devant la presse, la CAVB demande à la justice de faire respecter la loi. Mais ni elle ni le BIVB ne se sont portés partie civile au procès, pour ne pas faire du vigneron un martyr.
Lundi 24 février, à la sortie du tribunal, Emmanuel Giboulot n'en a pas le visage. L'avocat général a requis 1 000 euros d'amende contre lui, dont la moitié en sursis, alors que le prévenu encourait jusqu'à six mois de prison et 30 000 euros d'amende. Le jugement sera rendu le 7 avril. Les 500 personnes venues soutenir le vigneron se réjouissent de cette clémence. Immédiatement, un appel aux dons se met en place.
Pression médiatique
Dans la profession, les dents grincent. Beaucoup font un calcul rapide : si les juges suivent les réquisitions, l'amende coûtera moins cher au vigneron que le traitement qu'il a refusé d'effectuer. Parlant à mots couverts, des vignerons s'expriment : « Pourquoi avoir mis notre linge sale sur la place publique ? » « Emmanuel Giboulot s'est fait sa pub gratuite. » D'autres continuent à le soutenir, estimant que le traitement préventif en Côte-d'Or n'était pas justifié l'an passé.
Une chose est sûre : la profession a été rattrapée par l'actualité. Elle comptait prendre le temps d'écouter toutes les sensibilités avant de faire ses propositions à l'administration pour le plan 2014 de lutte obligatoire. Elle se retrouve sous la pression médiatique. À l'heure du web social, voilà la Bourgogne contrainte de gérer son « e-réputation ». Dans ce but, l'interprofession va mesurer l'impact de toute cette affaire sur l'image et la notoriété du vignoble dans quelques mois.
Un collectif veut faire entendre sa voix
Jeudi 20 février, l'amphithéâtre du lycée viticole de Beaune (Côte-d'Or) est bondé. Plus de 200 vignerons sont venus écouter les propositions du Collectif de vignerons contre la flavescence dorée. Cette association compte 220 domaines adhérents. Elle a été fondée fin 2013 pour faire entendre sa voix dans la lutte obligatoire contre ce fléau. Son président, Alec Seysse, vigneron à Morey-Saint-Denis (Côte-d'Or), clarifie d'emblée son positionnement : « Nous ne sommes pas des écolos intégristes antitraitements. Nous ne sommes pas une force d'opposition mais voulons être une force de proposition. » D'autres membres du collectif s'expriment. Nicolas Maillet, viticulteur bio à Verzé (Saône-et-Loire), demande que la prospection soit « rendue collectivement obligatoire » pour « aménager la lutte chimique à partir de là ». Sébastien Boisseau, installé à Bray (Saône-et-Loire), réclame une « qualité et une traçabilité » des plants. Il invite ses collègues à exercer une « pression constructive » sur les pépiniéristes pour l'obtenir. Enfin, Jean-Philippe Bret, vigneron bio à Vinzelles (Saône-et-Loire), présente la position du collectif. Il explique qu'il faut prendre quatre critères en compte pour déterminer le plan de lutte obligatoire sur une commune donnée : la présence de la flavescence dorée, la réalisation d'une prospection, la réalisation de traitements insecticides et la proximité d'une commune contaminée.
Il distingue ainsi seize situations et quatre niveaux de lutte avec la prospection comme « pilier » et le nombre de traitements insecticides comme variable. « C'est une solution intermédiaire, plus consensuelle » que d'appliquer le même plan de lutte partout.