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DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

COGNAC L'accalmie bienvenue

MYRIAM GUILLEMAUD - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 30

Contre toute attente, la baisse des achats asiatiques apporte de la sérénité à Cognac. Les producteurs restent confiants dans l'avenir, portés par les augmentations accordées par le négoce.

En 2013, le rendement à Cognac a tourné autour de 9 hl d'alcool pur (AP) par hectare. C'est bien en deçà des 11,71 hl/ha autorisés pour l'année et escomptés par la profession pour faire face à la demande du marché. Mais la situation n'est pas catastrophique pour autant, bien au contraire.

D'une part, la réserve climatique constituée ces dernières années, et qui représente actuellement 130 000 hl AP, va permettre d'atténuer les effets de cette petite vendange. « Cette année, la réserve montre tout son intérêt en permettant d'alimenter le marché et en assurant un revenu aux producteurs », se réjouit Christophe Forget, président de l'Union générale des viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC).

D'autre part, le négoce a annoncé des hausses de 6 à 10 % sur les prix des eaux-de-vie après l'augmentation déjà conséquente de l'an dernier. Les viticulteurs y voient le signe de sa confiance dans l'avenir. Cependant, ils sont conscients que la rareté de leurs eaux-de-vie sur un marché toujours porteur ne peut qu'exacerber les convoitises. « Cette sous-production a remotivé le marché », observe Patrick Béguin, président des courtiers.

Même les petits négociants finissent par s'aligner sur les quatre grandes maisons que sont Hennessy, Martell, Rémy Martin et Courvoisier. Ils sont entrés à leur tour dans une politique contractuelle. Aujourd'hui, 70 % de la production est sous contrat.

Selon Jean-Bernard de Larquier, représentant de la famille viticole au Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), certains petits négociants ont fait de véritables efforts et voient désormais les viticulteurs revenir vers eux. « Nous sommes contents que cette politique s'amplifie. Notre souhait, c'est de multiplier les opérateurs », confie-t-il. Mais la viticulture garde un clair souvenir des années noires et du marché à la casse. Elle se défie encore des petites maisons.

Cette sérénité cognaçaise est en totale contradiction avec les titres alarmistes de la presse économique de ces derniers mois. Les journaux ont fait part de « l'effondrement du marché chinois », des ventes qui « coulent à pic », du « coup de froid sur l'économie du cognac ». Christophe Forget reconnaît que « les sorties vers la Chine sont en net repli. Nous allons vers une période un peu plus difficile ».

Coup de frein en Chine. Entre 2012 et 2013, les expéditions vers la Chine ont accusé un recul de 12 % en un an, passant de 25,3 millions à 22,2 millions de bouteilles. « Mais nous venions de passer par deux années records, rappelle Patrick Béguin. Il n'était pas possible de continuer sur le même rythme. » Il faut en effet rappeler que les 25,3 millions de bouteilles de 2012 représentaient plus du double de ce qui avait été vendu en 2008, où les importations chinoises s'élevaient à 11,4 millions de bouteilles.

Sur l'ensemble de l'Asie, les ventes ont baissé de 9,8 %, pour redescendre à 58,9 millions de bouteilles. En Chine, le coup de frein est le plus marqué sur les vieilles eaux-de-vie. Pourtant, personne ne semble le regretter, dans la mesure où la très forte demande sur ce créneau mettait les stocks en péril. « Certes, cela nous fait perdre de la valeur ajoutée, admet Jean-Bernard de Larquier. Mais c'est rassurant pour l'avenir, parce que nous serons toujours capables de fournir des eaux-de-vie de 30 ou 40 ans sur un marché en progression raisonnable. Avec une croissance à deux chiffres, on ne pouvait plus suivre... »

De son côté, Patrick Béguin souligne la différence entre le très court terme, sur lequel la baisse des achats chinois est manifeste, et l'avenir. À moyen et long terme, les études réalisées pour le BNIC assurent que les ventes continueront de progresser.

Si tout le monde fait des gorges chaudes sur les vicissitudes du marché chinois, on oublie que les deux autres grands marchés du cognac, l'Amérique du Nord et la Russie, se portent très bien. Ainsi, Hennessy a enregistré cette année une progression de ses ventes de 6 % en Amérique du Nord. Et de nouveaux marchés un peu inattendus se développent également en Afrique subsaharienne, notamment en Afrique du Sud et au Nigeria.

Confiance en l'avenir. Durant les dix premiers mois de 2013, les exportations de cognac, toutes destinations confondues, n'ont reculé que de 1,8 % en volume et de 0,4 % en valeur par rapport aux dix premiers mois de 2012, selon Ubifrance. Autant dire que ces exportations sont restées pratiquement stables, environ 163 millions de bouteilles par an pour des expéditions totales (France incluse) qui tournent autour de 166 millions de cols.

La confiance en l'avenir est aussi grande chez les producteurs que chez leurs représentants professionnels. « Nous sommes sans doute montés un peu trop vite, convient Christophe Brandy, de Saint-Saturnin, en Charente. Il y a bien un fléchissement, chez Rémy Martin et Martell surtout, mais tout ne va pas s'écrouler comme on l'a vu dans le passé. »

Ce viticulteur livre toute sa production à Hennessy. Le négociant lui a promis une augmentation de 6,5 % cette année sur le prix offert pour ses eaux-de-vie qui fait suite à celle de 10 % l'an dernier. Ces deux hausses successives lui permettent d'envisager l'avenir avec sérénité.

Son fils vient de s'installer. Il a repris quelques vignes en fermage et a acheté 10,5 ha. « Il y a sept ou huit ans, aucune banque n'aurait aidé à financer cet achat », commente Christophe Brandy, qui se préoccupe bien plus des rendements et des maladies du bois que des aléas des marchés. « C'est le vrai problème. Si les marchés sont trop demandeurs, nous ne pourrons pas produire suffisamment », avertit-il.

- 12 %

C'est la baisse enregistrée sur le marché chinois au premier semestre. La première cause est le sur-stockage par les réseaux chinois pendant les deux dernières années d'euphorie, de crainte de manquer. Au cours des derniers mois, il leur a bien fallu déstocker. Et donc réduire leurs achats.

Le Point de vue de

Stéphane Denis, viticulteur à Saint-Preuil, en Charente, et propriétaire de la Cognathèque, à Cognac, qui vend 450 cognacs et 50 pineaux

« Les choses sont devenues plus sereines »

Stéphane Denis © M. GUILLEMAUD

Stéphane Denis © M. GUILLEMAUD

« En tant que producteur, je ne suis pas très inquiet. Le marché asiatique est freiné, mais je pense que des solutions seront trouvées et qu'il va vite reprendre. Le marché américain se porte bien. Et de nouveaux pays deviennent acheteurs. Pour moi, le fléchissement du marché asiatique a de bons côtés, car nous ne pouvions plus suivre. C'était n'importe quoi. On nous demandait de sortir des rendements élevés. Mais sur les coteaux, quand il n'y a pas de terre, il est impossible d'atteindre les 12 hl d'alcool pur par hectare. Nous revenons maintenant à quelque chose de plus serein. Les ambitions affichées par les grandes maisons me donnent également confiance dans l'avenir. Martell compte toujours doubler ses ventes d'ici dix ans. Hennessy veut franchir la barre des 10 millions de caisses dans les cinq ans. Dans mon magasin situé en plein coeur de Cognac, les ventes continuent leur progression. Mes clients sont essentiellement des touristes, français pour la plupart, mais aussi originaires d'une trentaine de pays. Le site internet de la Cognathèque est en pleine expansion. Les clients sont étrangers à 70 %. Là non plus, la crise ne semble pas avoir de prise. »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

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