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DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

CHAMPAGNE La production lève le pied sur la vente directe

AUDE LUTUN - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 32

Alléchés par des prix élevés, les vignerons sont de plus en plus tentés de vendre leurs raisins au négoce plutôt que de les vinifier et de commercialiser directement leurs effervescents. Leur syndicat s'inquiète : le rapport de force entre le vignoble et le négoce pourrait tourner à l'avantage de ce dernier.

En 2013, les ventes de champagne ont vraisemblablement dépassé le cap - psychologiquement important pour la région - des 300 millions de bouteilles pour atteindre 303 à 304 millions de cols. Toutefois, ce chiffre représente une baisse de 1,4 à 1,9 % par rapport à 2012, année exceptionnelle pour le vignoble.

« Comme le prix moyen est en augmentation de 1 %, notre chiffre d'affaires devrait demeurer équivalent à l'an passé, c'est-à-dire proche de la meilleure performance historique de la Champagne, a précisé Jean-Marie Barillère, directeur des activités champagne de Moët & Chandon et coprésident du Comité interprofessionnel de la Champagne (CIVC), lors d'un discours prononcé fin novembre à l'assemblée générale de l'Association viticole champenoise. Dans le contexte morose actuel, c'est un résultat satisfaisant, mais qui cache de fortes disparités entre les marchés et les opérateurs. »

La France, premier débouché avec près de 55 % des ventes, marque une nouvelle fois le pas. Le nombre de bouteilles vendues y a chuté de 5,7 % sur les douze mois arrêtés à fin octobre 2013 par rapport aux douze mois précédents. Sur la même période, les ventes en Europe ont baissé de 5,4 %, celles dans les pays tiers progressant de 1,5 %.

Face à ces chiffres, « nous ne sommes pas pessimistes, mais attentifs », résume Éric Potié, président de la Fédération des coopératives de Champagne. Cette attitude traduit l'état d'esprit général des professionnels. Pas de catastrophisme, mais de la vigilance.

En réalité, ce n'est pas le nombre total de bouteilles vendues qui inquiète les responsables de la production, mais la part que représentent les viticulteurs dans ces ventes. Depuis 2008, le pourcentage de cols vendus par le vignoble baisse de manière significative. Entre 2008 et 2013, les vignerons, hors coopératives, ont commercialisé 13 millions de bouteilles en moins. Ils ont réalisé 24 % des ventes, contre seulement 22 % en 2013. Sur la même période, les coopératives ont commercialisé 1,6 million de cols de moins, mais leur part de marché s'est stabilisée à 9 %.

Vignerons et coopératives vendent donc 31 % des bouteilles de champagne. L'idéal visé par le Syndicat général des vignerons (SGV) est que cette part grimpe à 33 % pour que les équilibres interprofessionnels perdurent. Or cet objectif a peu de chance de se réaliser dans les prochaines années, car une partie des vignerons se désengage partiellement ou totalement de la vente de bouteilles au profit de la vente de raisin. Avec un prix qui démarre à 5,30 €/kg pour grimper jusqu'à 6,25 €/kg dans les crus très recherchés, il est tentant de ne pas s'investir dans la vente en direct.

Lors de la vendange 2013, les vignerons ont vendu 57 % de leur récolte aux négociants. Ce chiffre, jamais atteint, devrait probablement monter à 60 % pour la vendange 2014.

« Il faut un électrochoc ! tonne François Pierson, vice-président du SGV. Il faut absolument que le vignoble vende des bouteilles. Sinon, la situation ne sera plus équilibrée entre le négoce et les viticulteurs. Le salut ne viendra que de nous. Il y a une pépinière de jeunes, bien formés, qui en ont envie. Le vignoble et les coopératives ont de très bons outils. Il faut que l'on se montre, que l'on soit présent dans les concours internationaux. Internet permet à nos clients éloignés d'être en contact avec nous. Sachons l'utiliser ! »

L'atomisation du vignoble lors des successions est aussi une source d'inquiétude. « Elle favorise la baisse du nombre de bouteilles vendues par les vignerons », poursuit François Pierson. Le prix des raisins étant intéressant, il est fréquent qu'un domaine soit divisée entre les enfants de l'exploitant. Certains de ces enfants, voire tous parfois, exercent un autre métier tout en continuant d'exploiter. Le SGV aimerait que la reprise de vignes soit corrélée avec l'obtention d'un diplôme, de façon à professionnaliser le métier. « Il en faut bien un pour être coiffeur ou pharmacien, observe François Pierson. Pourquoi pas pour être viticulteur ? »

Comment se dessine l'année 2014 dans ce contexte ? « Nous devons revenir aux fondamentaux de la Champagne, estime Éric Potié. À savoir fixer la quantité produite selon le nombre de bouteilles vendues et non selon les besoins en trésorerie des vignerons ou des négociants. »

Ces dernières années, il n'en a pas été ainsi. La Champagne a donc vu ses stocks au 31 juillet passer de 1,2 milliard de bouteilles en 2009 à 1,4 milliard en 2012, réserve incluse, soit l'équivalent de quatre années et trois trimestres de ventes au rythme actuel. Pour mettre fin à cette accumulation de stock, il faudrait dont baisser significativement le rendement pendant une année ou le maintenir autour de 10 000 kg/ha pendant plusieurs années.

La baisse du prix du raisin figure également parmi les scénarios envisageables à moyen terme, le négoce étant suffisamment provisionné. Des négociants ont annoncé qu'en 2014, ils ne renouvelleraient pas une partie de leurs contrats pluriannuels. Ces contrats devraient trouver preneurs d'ici la fin du premier semestre. Mais cette annonce est révélatrice d'un changement d'ère, voyant l'offre en raisin devenir supérieure aux besoins des acheteurs.

- 2,3 %

C'est la baisse de la part de marché des vignerons dans la vente des bouteilles de champagne entre fin 2008 et fin 2013. Cette diminution va s'accentuer, car la part de raisin vendue au négoce n'a jamais été si élevée qu'en 2013.

Le Point de vue de

Sébastien Mouzon, viticulteur à Verzy (Marne), sur 10 ha

« En 2013, mes ventes sont restées stables »

Sébastien Mouzon

Sébastien Mouzon

« Je vends environ 100 000 bouteilles par an et j'ai maintenu ce volume en 2013. Je commercialise 90 % de ma production à des particuliers français, auprès desquels nos ventes sont restées stables. Nous gagnons des clients et nous en perdons, cela s'équilibre. Je livre moi-même 30 % de ma production, uniquement aux personnes qui regroupent au minimum 500 bouteilles. Sur les 10 % de bouteilles vendues à l'export, la plupart sont destinés à la Belgique. Depuis deux ans, j'exporte aux États-Unis mais aussi au Japon. Je suis parvenu à entrer sur ce dernier marché grâce à un journaliste japonais qui était venu déguster mes vins il y a deux ans. Après la parution de son article, des importateurs m'ont contacté. Je suis dans une démarche de conversion de mon exploitation, qui est certifiée en biodynamie depuis 2011. Cette attitude plaît aux Japonais et aux Américains, mais mon objectif est de vendre le plus possible en France. C'est dommage de faire du bio et d'expédier ses bouteilles au bout du monde. Pour 2014 et les années suivantes, je suis un peu inquiet. La Champagne vend 70 % de ses bouteilles en Europe et l'économie européenne n'est pas florissante. Je pense que nous avons des niveaux d'appellation trop importants. La Champagne produit plus qu'elle ne vend, et cela depuis plusieurs années. Si notre production était en phase avec nos ventes, nous n'aurions pas de champagnes à petit prix en grande distribution. Ce qui est également inquiétant, c'est que des vignerons vendent de moins en moins en bouteilles et privilégient la vente de raisin. »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

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