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Les réserves bienvenues face au petit millésime

La vigne - n°246 - octobre 2012 - page 10

Réserve individuelle en Champagne, VCI ailleurs : les dispositifs qui permettent de garder des vins pour les années déficitaires prouvent leur utilité en ce petit millésime. Les appellations qui en bénéficient s'en réjouissent. Les autres s'impatientent.
SANS LA RÉSERVE INDIVIDUELLE EN VIGUEUR EN CHAMPAGNE, François Pierson, viticulteur à Louvois (Marne), aurait été amené à puiser dans ses stocks. © J.-C.GUTNER

SANS LA RÉSERVE INDIVIDUELLE EN VIGUEUR EN CHAMPAGNE, François Pierson, viticulteur à Louvois (Marne), aurait été amené à puiser dans ses stocks. © J.-C.GUTNER

CHAMPAGNE : Mieux que l'assurance récolte

Cette année, la réserve individuelle (RI) jouera pleinement son rôle en Champagne, celui de pallier une récolte déficitaire. Chez la plupart des viticulteurs, cette réserve est pleine. Ils conservent 8 000 kg/ha sous forme de vins de base, comme ils y sont autorisés. Or, les vignes n'ont porté que 8 200 kg/ha en moyenne pour un rendement autorisé de 11 000 kg/ha. Les vignerons débloqueront donc 2 800 kg/ha pour combler le manque.

François Pierson en libèrera moins. Viticulteur à Louvois (Marne) et vice-président du Syndicat général des vignerons (SGV), il a récolté environ 9 500 kg/ha. « Le gel d'hiver et la coulure du printemps ont impacté le rendement », précise-t-il. Il exploite 12 ha et vend tout en bouteilles (environ 100 000 cols par an). Sans la RI, il serait amené à puiser dans ses stocks pour servir ses clients. En 2003, il avait fait une récolte encore plus petite, environ 4 000 kg/ha, à cause du gel. La RI lui avait été d'un grand secours. « C'est une mesure exceptionnelle et indispensable, assure-t-il. Elle sécurise notre trésorerie. Sans réserve, il y aurait un risque de surenchère du prix du raisin et, à terme, du prix de la bouteille. »

Tous ceux qui n'ont pas atteint le rendement autorisé seront obligés de débloquer de leur RI pour parvenir aux 11 000 kg/ha. Ce déblocage se fera en février 2013. Après cette date, les vendeurs au négoce devront céder leurs vins à leurs clients, en contrepartie de quoi ils seront payés en trois fois : 50 % le 5 mars 2013, 25 % le 5 juin et 25 % le 5 septembre. Quant aux récoltants manipulant, ils pourront tirer leurs vins en bouteille. L'interprofession - le CIVC - gère la RI. C'est elle qui décide de son déblocage et ses décisions s'appliquent à tous les producteurs. Elle peut libérer les réserves pour compenser une récolte déficitaire, mais également pour répondre à une surchauffe de la demande, comme ce fut le cas en 2008.

« La réserve individuelle est un outil extraordinaire », commente Éric Cossiez, président des courtiers de Champagne. Dans cette région, le principe est facilité par le fait que la plupart des vins sont vendus en brut sans année. Avec ce précieux outil, la souscription à une assurance récolte est pratiquement inexistante.

Aussi intéressante soit-elle, il a fallu beaucoup de temps pour mettre la RI en place. Dès 1938, une commission interprofessionnelle avait opté pour le principe de faire des réserves les bonnes années. Mais ce n'est qu'en 1990 qu'apparaît la réserve qualitative, remodelée en 2007 et rebaptisée réserve individuelle. Cette dernière a été validée par l'Inao en 2010, après cinq années d'expérimentation.

CHABLIS : Plus efficace que la lutte contre le gel

À Chablis, c'est l'ODG qui s'occupe du VCI (volume complémentaire individuel). Cette réserve ne vise qu'à compenser les petites récoltes. Elle ne peut pas être libérée pour répondre à une demande du marché, comme en Champagne.

« En moyenne, les vignerons disposent de 20 à 25 hl/ha de réserve, estime Frédéric Gueguen, président de la Fédération de défense de l'appellation Chablis (FDAC). Cette année, la récolte est estimée entre 50 et 55 hl/ha, pour un rendement autorisé de 60 hl/ha. Le VCI va donc de nouveau servir, comme en 2007, où une partie du vignoble avait grêlé, et en 2010, où nous avions eu du mauvais temps pendant la floraison. Le VCI est une belle invention. Il permet de tailler plus court et de mieux raisonner ses interventions. »

Le VCI a aussi permis de diminuer la lutte contre le gel de printemps, une menace importante à Chablis. « Il y a une dizaine d'années, 400 à 500 ha étaient chauffés, avec de grands dégagements de fumée. Maintenant, à peine 50 ha sont encore protégés de cette manière », détaille Frédéric Gueguen.

Créé en 2005, le VCI devait clore sa phase expérimentale lors du comité national de l'Inao. Mais il a été décidé de poursuivre l'expérimentation pendant deux ans, en faisant baisser le niveau de réserve autorisé de 30 hl/ha à 25 hl/ha. De son côté, la FDAC aimerait que les vins en réserve puissent être mis en bouteilles, ce qui « serait préférable, sur le plan qualitatif ».

BORDEAUX : Pas de risque d'accumuler des stocks

Avec une récolte de 5 à 15 % inférieure à la normale, le VCI tombe à pic à Bordeaux. Lancé à titre expérimental en 2010, il permet à dix-sept AOC rouges de compenser les aléas climatiques en Gironde. Ainsi, en 2011, tout viticulteur pouvait conserver 3 hl/ha de bordeaux rouge en plus des 55 hl/ha du rendement annuel. Neuf cents viticulteurs en Bordeaux et Bordeaux supérieur se sont lancés. Depuis 2010, ils ont constitué 66 000 hl de réserve.

« C'est une assurance qui ne coûte rien à personne, un des meilleurs systèmes créé depuis lontemps, se réjouit Bernard Farges, à la tête de l'ODG Bordeaux et Bordeaux Supérieur. Auparavant, on surévaluait le rendement annuel au cas où la récolte de l'année suivante serait déficitaire. Au risque d'accumuler des stocks. »

Même son de cloche à la Fédération des grands vins de Bordeaux. « Avec le déficit de récolte attendu cette année, le VCI montre toute son utilité, relève Yann Le Goaster, le directeur. C'est un système vraiment adapté à la gestion du risque climatique. »

Le Val de Loire veut sécuriser ses volumes avec le VCI (volume complémentaire individuel)

Muscadet, Touraine et quatre autres appellations de vins blancs du Val de Loire demandent à bénéficier d'un VCI dès que possible. Pour cela, il faut un décret. « Sans doute pour 2013 », prévoit le centre Inao d'Angers (Maine-et-Loire). L'Anjou s'intéresse aussi au VCI. Dans ce vignoble, les rosés n'ont généralement que quelques mois de stocks. Pas de quoi faire face aux aléas climatiques. Après le printemps 2008, les sorties de chai de cabernet d'Anjou ont ainsi chuté de 30 000 hl, faute de récolte, passant de 265 000 hl en 2007-2008 à 235 000 en 2008-2009. Autant de marchés perdus. Depuis, l'appellation a équilibré sa récolte et sa commercialisation à 290 000 hl. « Nous souhaitons sécuriser notre volume », souligne Yves Matignon, président des rosés de l'Anjou. L'appellation veut donc expérimenter le VCI en récoltant 6 hl/ha de plus que le rendement annuel. Une exploitation pourrait constituer 18 hl/ha de réserve au maximum. Le comité régional de l'Inao a validé sa requête. Elle attend la réponse du comité national pour novembre.

Monbazillac et Sauternes furieux d'être sur la touche

À Monbazillac (Dordogne), la pilule passe mal. L'appellation (2 000 ha en production, 160 viticulteurs, 50 000 hectolitres) n'a pas obtenu l'autorisation d'expérimenter le VCI cette année alors qu'elle a déposé sa demande en été 2011. « Nous sommes très déçus, lâche Daniel Duperret, responsable de la section Monbazillac à la Fédération des vins du Bergeracois. Nous avons travaillé notre dossier pendant un an et demi. Une commission d'enquête est venue nous voir. On nous a baladés d'une réunion à l'autre. Au final, le comité national de l'Inao nous a dit en septembre que c'était trop tard pour que le texte soit publié cette année. » Même déception à Sauternes (Gironde), qui se voit refuser le VCI pour les mêmes raisons. « Je regrette que l'on nous refuse ce dispositif qui va dans le sens de la qualité. Mais je préfère ne pas faire de commentaire sur les lourdeurs administratives », confie Philippe Dejean, président de Sweet Bordeaux.

Un sujet de friction entre la production et le négoce

Pour la production comme pour le négoce, les choses sont simples… mais opposées. La Cnaoc voit le VCI (volume complémentaire individuel) comme une assurance récolte permettant aux producteurs de faire face à une petite vendange. Dans cette logique, le producteur doit pouvoir décider librement de débloquer sa réserve lorsqu'il n'atteint pas le rendement autorisé. Et il est du ressort de l'Inao d'autoriser ou non la constitution de réserves une année donnée. Le négoce réfute cette analyse. Il estime que l'on ne peut pas voir les choses uniquement du point de vue des exploitations. Il faut les voir à l'échelle de la filière. Le VCI est un outil de régulation des volumes mis en marché. À ce titre, c'est aux interprofessions de décider quand et dans quelles proportions les réserves doivent être libérées. Et leurs décisions doivent s'appliquer à tous, comme en Champagne, pour que les marchés soient correctement approvisionnés.

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REPÈRE À l'essai

Le volume complémentaire individuel (VCI) consiste à faire des réserves les bonnes années en récoltant des hectolitres au-delà du rendement annuel pour les libérer les années déficitaires. Pour l'instant, ce système n'est qu'expérimental. En blanc, seul Chablis en bénéficie et, en rouge, dix-sept appellations du Bordelais sont concernées. L'Inao prépare un décret pour autoriser le VCI dans toutes les appellations de vins blancs tranquilles dès la récolte 2013. Les liquoreux et les rosés devront aussi passer par une phase d'essai. Actuellement, seule la Champagne bénéficie d'un système définitivement validé dénommé réserve individuelle (RI).

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