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DOSSIER - Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

PROVENCE Gérer la pénurie

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 52

Les viticulteurs de la région ont démarré la campagne 2013-2014 avec des disponibilités inférieures à ce qu'ils peuvent commercialiser. Les opérateurs, obligés d'arbitrer entre leurs clients, craignent des pertes de parts de marché.

Le côtes-de-provence rosé à 202 €/hl ! Enregistré à la fin du mois de novembre 2013, ce cours moyen de l'appellation correspond à un bond de 18 % par rapport à la dernière campagne. Inutile de dire que cette inflation contrarie les acheteurs. « Nous sommes prêts à payer le rosé un peu plus cher, annonce Jean-Jacques Bréban, PDG de la Maison Vins Bréban, à Brignoles (Var), et président du Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP). Mais pas au niveau actuel. »

À son avis, le côtes-de-provence rosé devrait se négocier aux alentours de 180 à 195 €/hl. Il espère que les cours tomberont à ce niveau lorsque le marché sera lancé, ce qui n'était pas le cas fin 2013. Les échanges entre production et négoce ont en effet pris du retard à cause de la récolte tardive.

Tous les rosés provençaux flambent. Roger Ravoire, à la tête de Ravoire & fils, confie lui aussi son embarras. « Nous sommes coincés entre les ambitions tarifaires de la production et celles de la grande distribution, qui ne veut pas entendre parler de hausses, au regard du pouvoir d'achat de ses consommateurs. »

En attendant, tous les rosés provençaux flambent : 160 €/hl le coteaux d'Aix-en-Provence, contre 130 à 135 €/hl l'an passé, et 150 €/hl le coteaux varois, contre 120 à 130 €/hl. À 100 €/hl, l'IGP Var a pris 12 %.

Une telle surchauffe en début de campagne s'explique par le contexte inédit que connaît la Provence. « Le volume disponible à la vente est inférieur à celui de l'an passé, lequel s'était déjà avéré insuffisant pour répondre à la demande », indique Philippe Brel, le directeur général d'Estandon, le principal groupe coopératif des coteaux varois.

Stock 2012 en cave au ras des pâquerettes. Avec une récolte estimée à 1,05 million d'hl, les trois appellations provençales ont produit légèrement plus de rosés qu'en 2012 (+ 3 %). Mais le stock du millésime 2012 en cave est au ras des pâquerettes : 6 000 hl seulement fin 2013. La campagne 2013-2014 s'ouvre donc avec un volume disponible à la vente de 1,06 million d'hl, inférieur aux ventes de l'an passé.

« Nous gérons la pénurie, poursuit Philippe Brel. Pour la première fois de notre histoire, nous avons dû embouteiller nos rosés 2013 fin novembre, au lieu de début janvier. » Pour faire la soudure entre les millésimes 2012 et 2013, les Provençaux ont obtenu l'autorisation de vendre leurs vins de 2013 aux consommateurs dès le 1er décembre et non le 15.

Cette situation de pénurie « nous oblige à renoncer à certains marchés », ajoute Philippe Brel. Cette année, le groupement de producteurs a tiré un trait sur la vente en vrac. Habituellement, 10 % de sa production emprunte ce canal.

Ailleurs aussi, les metteurs en marché procèdent à des arbitrages. À la coopérative de Pierrefeu (Alpes-Maritimes), qui vend 90 % de ses 37 000 hl en vrac, Christian Baccino, le président, annonce : « Nous allons privilégier la vingtaine de clients qui reconduit ses achats d'une année sur l'autre. La hausse des prix ne les réjouit pas, mais la demande est telle qu'ils l'acceptent. »

Dans les coteaux d'Aix-en-Provence, les choix sont plus radicaux. L'appellation a subi une perte de récolte de 10 %. Les Vignerons du Roy René accusent un déficit supérieur : 25 % de volume en moins, soit 32 000 hl. « Nous vendons les deux tiers en vrac, expose Didier Pauriol, le président de cette coopérative basée à Lambsec (Alpes-Maritimes). Nous allons augmenter cette proportion au détriment de la vente directe en bouteilles et en bibs. Nous pensons perdre des clients. Mais nous avons agi dans le but de préserver le chiffre d'affaires des exploitations de nos adhérents. »

Didier Pauriol table sur le fait que l'augmentation du cours du vrac compensera la baisse des rendements. « Nous n'aurions pas pu appliquer une hausse équivalente à celle du vrac sur nos bouteilles, considère-t-il. Nous les augmentons de 10 %. »

Tester l'export. Entre manque de vin et hausse des prix, les clients risquent de fuir. « À 4 ou 5 euros la bouteille de côtes-de-provence prix public, il y a encore de la demande, observe Guillaume de Chevron Villette, propriétaire du château Reillanne, au Cannet-des-Maures (Var). En 2013, nous avons constaté une baisse des ventes sur les produits au-delà de 6 à 7 euros. »

Cette année, il n'augmentera pas les prix de sa gamme de domaines et châteaux (5 à 6 millions de cols), vendue majoritairement en grande distribution entre 5 et 8 euros. Mais il va tester l'export. « En Grande Bretagne, on nous sollicite pour des volumes importants de vins de châteaux. »

Toutefois, l'export, qui représente actuellement 15 % des ventes du vignoble provençal, accepte mal les à-coups tarifaires. « Aux États-Unis, où nos ventes progressent, cette hausse risque de ralentir la croissance actuelle. »

Dans ce contexte, le président de l'interprofession des vins de Provence a lancé un conseil d'orientation en juin dernier. Ouvert à l'ensemble des adhérents, il doit jeter les bases du devenir du vignoble pour les dix années à venir. Il comprend trois groupes de travail : qualité, recherche et innovation, prospective et communication et économie. Aucune piste n'est pour le moment dégagée. Elles le seront le 31 janvier prochain, à l'issue d'une importante réunion.

3,75 EUROS

C'est le prix moyen d'une bouteille de rosé de Provence, toutes appellations confondues, en grande distribution en 2013, contre 3,50 euros en 2012. En dix ans, ce prix a bondi de 45 % ! Le consommateur suit, mais les AOC de Provence sont passées de 50 % à 40 % des ventes totales d'AOC Rosé en volume.

Le Point de vue de

Audrey Baccino, domaine des Peirecèdes, 45 ha à Cuers (Var), en AOC Côtes de Provence

« C'est très dur de faire attendre les restaurateurs »

Audrey Baccino © DOMAINE DE PEIRECEDES

Audrey Baccino © DOMAINE DE PEIRECEDES

« Je n'ai pas pu faire la soudure entre les récoltes 2012 et 2013. Fin août, je me suis retrouvée en rupture de stock, d'abord de blancs, puis de rosés, lesquels représentent 50 à 55 % de ma production de côtes-de-provence. La faiblesse des rendements en 2012, 37 hl par hectare au lieu de 45 hl par hectare, a causé cette situation. 2013 a été plus généreuse, avec 49 hl par hectare ! Mais coup du sort : j'ai vendangé avec un mois de retard. Début décembre, mes vins n'étaient toujours pas prêts. Or, les restaurateurs les attendaient avec impatience. C'est très dur de les faire attendre. Le particulier comprend plus facilement les aléas que nous subissons. En 2013, j'ai anticipé. En janvier, j'ai appelé les restaurateurs un par un pour les prévenir que j'aurai moins de volume à vendre. Dans la foulée, certains ont constitué leur stock pour toute l'année ! J'ai également arrêté les petits formats et conseillé à mes clients de favoriser la vente au verre plutôt qu'à la bouteille. Malgré cela, je pense en avoir perdu quelques-uns. Mais il est encore trop tôt pour dire combien. Cela ne devrait pas être trop préjudiciable car les rosés de Provence se vendent aisément. Il y a une réelle demande. Malgré cela, je ne revalorise pas mes prix de vente (7 à 12 euros au caveau). Je répercute seulement une hausse de 3 % qui correspond à celle que je subis sur les matières sèches. »

Cet article fait partie du dossier Tour des vignobles : gagnants et perdants d'une récolte compliquée

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