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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Le marketing viral jugé contraire à la loi Évin

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°263 - avril 2014 - page 76

La Cour de cassation a jugé contraire à la loi Évin une campagne de communication de la société Ricard qui misait beaucoup sur le principe de viralité des réseaux sociaux.

La Cour de cassation (arrêt du 3 juillet 2013) s'est penchée sur une publicité, lancée en juin 2011, vantant les produits de la marque Ricard autour de ce slogan : « Un Ricard, des rencontres ». Pour l'Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (Anpaa), cette campagne était contraire au code de la santé publique.

Les visuels de la campagne diffusés sur internet, dans la presse et par voie d'affichage montraient à chaque fois une bouteille de Ricard accompagnée des courts messages suivants, selon le cas : « Rencontre #1 Ricard/eau », « Rencontre #3 Ricard/glace » ou encore « Rencontre #34 Ricard/grenadine ».

Outre ces visuels, Ricard avait lancé une application mobile gratuite, Ricard Mix Codes, nécessitant un compte Facebook, pour regarder le film publicitaire correspondant à sa fameuse campagne. Cette application permettait aussi de collecter des codes donnant accès à des recettes de cocktails à base de Ricard que l'utilisateur pouvait ensuite partager sur son mur Facebook avec ce message : « J'ai découvert la rencontre #92 Ricard/mango. Vous aussi, récupérez les Ricard Mix avec l'application Ricard Mix Codes, sur l'Appstore ».

En juillet 2011, l'Anpaa a saisi le juge des référés pour obtenir l'interdiction de ces moyens publicitaires utilisés pour vanter les qualités du Ricard. Elle a obtenu satisfaction en référé comme en appel. Ricard s'est défendu en saisissant la Cour de cassation. Mais celle-ci a rejeté son pourvoi.

Dans cette affaire, les juges vont particulièrement s'attacher à l'utilisation de ces nouveaux moyens de communication que sont les réseaux sociaux, et notamment Facebook. Ils ont donné raison à la cour d'appel, qui a relevé la manière « intempestive, inopinée et systématique » avec laquelle Ricard diffusait ses messages. En effet, une fois qu'un internaute avait utilisé l'application Ricard Mix Codes, par exemple pour découvrir le cocktail Ricard/mango, et s'il acceptait de partager cette recette, le message : « J'ai découvert la rencontre #92 Ricard/mango. Vous aussi, récupérez les Ricard Mix, etc. » s'affichait automatiquement sur sa page Facebook.

Pour les juges, « le fait que ce message soit relayé par l'intervention d'un internaute à l'intention de son réseau d'amis ne lui faisait pas perdre son caractère publicitaire ». On a envie d'ajouter : bien au contraire, tellement les juges semblent critiques dans l'usage que la société Ricard a fait des nouvelles technologies et que les spécialistes de la communication numérique appellent la viralité.

Dans l'arrêt du 3 juillet 2013 de la Cour de cassation, c'est bien l'usage des nouveaux moyens de communication qui est au centre de l'attention des juges. Ainsi, il est intéressant de relever l'analyse du slogan « Un Ricard, des rencontres ». Pour les magistrats, ce slogan « ne saurait s'attacher au simple mélange formé par l'anis et l'eau, l'anis et la glace, l'anis et la grenadine et l'anis et la menthe », mais au rapprochement entre personnes, associant la boisson alcoolique « avec la possibilité de nouer des relations inattendues et fortuites ». Et d'en conclure que ce slogan « constituait une incitation directe à consommer du Ricard dans le but de vivre des moments de convivialité ».

Enfin, les juges ont relevé que « le sigle #, qui signifie dièse dans l'esprit du consommateur français, [...] n'avait d'autre objet que d'appeler son attention et plus particulièrement celle d'un consommateur jeune sensible aux nouvelles technologies ». En effet, comme le savent bien les juges, # signifie hashtag sur internet, où il permet d'identifier un mot-clé et le contenu qui lui est associé pour le partager, notamment sur le réseau Twitter.

Sans le dire explicitement, les juges ont considéré que l'universalité de communication résultant d'internet et des réseaux sociaux multipliait la portée de la publicité.

Cour de cassation, 3 juillet 2013, n° 12 22633.

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