L'oenotourisme serait-il la poule aux oeufs d'or pour les vignerons français ? Certains ont pu le croire au début des années 2000, dans l'euphorie de l'essor de cette activité. L'exemple des pays du Nouveau Monde, notamment de la Californie, qui ont investi avec succès dans ce secteur, semblait tentant.
L'offre française s'est donc démultipliée, nombre de vignerons se lançant dans l'aventure en ouvrant les portes de leurs châteaux et domaines afin de doper leurs ventes directes. « Beaucoup ont tenté l'aventure sans trop de réflexion, juste pour essayer, en se disant qu'il y aurait toujours des retombées. Ils sont allés au casse-pipe », regrette André Deyrieux, journaliste et consultant.
L'oenotourisme consiste à aller au-delà du simple accueil de la clientèle dans son caveau de vente : il s'agit au minimum de proposer une visite et/ou des dégustations à thème ou commentées.
« Les professionnels du tourisme ont poussé les vignerons à s'investir sur ce créneau, car le vignoble est un bon moyen d'attirer du monde. Mais accueillir du public sur son exploitation est un autre métier que celui de cultiver la vigne. Certains viticulteurs font marche arrière, car ils ont mal estimé le temps ou les investissements à y consacrer », témoigne Michel Bernard, secrétaire général d'Inter-Rhône et président du cluster oenotourisme d'Atout France, regroupement des institutionnels et professionnels français du secteur.
« Se lancer dans l'oenotourisme a un coût : l'aménagement d'un espace de dégustation, la mobilisation d'une équipe dédiée, la promotion de son activité et, parfois, la rémunération d'intermédiaires, indique Christian Mantei, directeur général d'Atout France. Avant de réaliser ces investissements, il faut s'assurer qu'ils pourront être rétribués par l'activité touristique. »
Guides pratiques. Celle-ci étant complexe, les guides pratiques de conseil aux vignerons font florès. Les Vignerons indépendants en ont déjà publié deux (« Réussir son oenotourisme » et « Devenir un pro de l'oenotourisme »). Le CIVB, dans ses cahiers marketing du mois de mai 2014, donne également toutes les clés pour réussir. Et en janvier, Atout France a publié « Tourisme et vin, réussir la mise en marché ».
Idée-force de tous ces guides : l'oenotourisme ne s'improvise pas. « Pour rentabiliser l'activité, il faut une réflexion stratégique en amont et construire son offre à partir des forces et des atouts de son domaine. C'est à partir de là qu'on peut estimer les moyens financiers et humains à engager pour monter son business plan », plaide Jeanne Peron, en charge de l'oenotourisme chez Benson Marketing Group.
Reste à savoir s'il faut faire payer ses prestations. « Il n'y a pas de modèle unique. C'est au vigneron de décider comment il veut rentabiliser son activité oenotouristique, assure Benjamin Devaux, de CER France. S'il est bon vendeur et que ses prix de vente sont suffisants, il n'est pas obligé de faire payer les visites ou les dégustations. Un vigneron moins performant commercialement aura intérêt, en revanche, à tarifer ses prestations, qui devront alors être plus étoffées qu'une simple dégustation. »
Sur ce sujet, les esprits évoluent. « Quand j'ai démarré dans le conseil en 1999, il était impensable pour un vigneron de faire payer une visite de cave avec dégustation, se souvient François Perroy, d'Emotio Tourisme, agence de conseil spécialisée dans le tourisme. Depuis, les esprits ont évolué. Pour une prestation bien définie, avec des tarifs clairement annoncés, les clients sont prêts à payer. Ça ne veut pas dire qu'il faut impérativement tarifer l'accueil au domaine. Il faut simplement que le vigneron se pose la question, en ayant conscience du temps qu'il va consacrer à recevoir ses clients. À lui de décider si ce temps est offert ou doit être facturé. »
« Il n'y a qu'en France qu'on tergiverse sur la gratuité ou non de l'accueil vigneron, l'accueil qui va au-delà de la dégustation au caveau, observe André Deyrieux. À l'étranger, les opérateurs se demandent plutôt comment ils peuvent faire payer plus cher à leurs visiteurs. Chez nous, les vignerons se cherchent encore. Il faut qu'ils apprennent à construire des produits personnalisés, avec un nom qui fait rêver. C'est cette expérience que veulent vivre les visiteurs pour avoir une histoire à raconter à leur retour de vacances. Et ils sont prêts à payer pour. »
« Une valeur ajoutée. » « En France, la loi interdit de faire payer une simple dégustation en vue d'un achat (1), précise Christian Mantéi. En revanche, la visite commentée est considérée comme un produit touristique. Il est donc tout à fait possible de la tarifer, car elle constitue une valeur ajoutée. D'autant que la clientèle oenotouristique dispose d'un pouvoir d'achat important : 49 % des oenotouristes ont des revenus nets mensuels supérieurs à 3 000 euros, dont près de 40 % d'entre eux se situant au-delà de 5 000 euros. »
Selon bon nombre d'observateurs, l'oenotourisme offre encore de très belles perspectives de développement en France. À Bordeaux, en Gironde, par exemple, l'Office de tourisme, qui a vendu 28 000 visites en 2013, table sur une forte progression dans les prochaines années.
« La Cité des civilisations du vin, qui doit ouvrir en 2016, va attirer 400 000 visiteurs par an, estime Sophie Gaillard, en charge de l'oenotourisme à l'Office de tourisme de Bordeaux. La plateforme oenotouristique qui est prévue sur le site va forcément capter une partie de ce public. » Aux producteurs de structurer leur offre, insiste Atout France. Et le succès devrait être au rendez-vous.
(1) L'article 1587 du code civil dispose que « à l'égard du vin, de l'huile et des autres choses que l'on est dans l'usage de goûter avant d'en faire l'achat, il n'y a point de vente tant que l'acheteur ne les a pas goûtées et agréées ».
Business plan pour des nuits en tonneaux
La Fédération des vignerons indépendants des Pays de la Loire a imaginé un concept : Nuits en tonneaux, la vigne au clair de lune. Une offre dans l'air du temps, au même titre que le bio ou les circuits courts. Il s'agit de passer la nuit dans des foudres, installés dans les vignes, pouvant recevoir jusqu'à quatre personnes. L'intérieur est sommaire : lits, table, chaises et toilettes sèches. Ni eau, ni électricité, l'éclairage se fait à la bougie et les douches sont au domaine. La fédération a évalué la rentabilité de son projet, ce qui est la règle dans le monde des affaires, mais rare dans l'oenotourisme. « Nous avons étudié des produits similaires, comme les cabanes dans les arbres. Les tarifs vont jusqu'à 150 euros la nuit. C'est une expérience inédite pour laquelle les touristes sont prêts à payer et qu'ils ont plaisir à raconter à leur retour de vacances. Dormir dans un tonneau, au milieu des vignes, en est une. Nous pensons qu'ils sont prêts à mettre le prix », argumente David Destoc, directeur des Vignerons indépendants des Pays de la Loire. Partant de là, il a fait ses comptes. Les tonneaux sont fournis par Maisons Hietala, au prix de 10 000 ou 11 500 euros HT l'unité, selon la taille. Le syndicat impose, dans une charte, que la prestation inclue le petit-déjeuner et une demi-journée de découverte du domaine, avec une dégustation. « En tablant sur un amortissement en quatre ans et sur cinquante nuitées par an vendues au prix de 140 euros HT, plus 15 euros par enfant, le vigneron peut dégager 7 à 10 euros de résultat net, toutes charges déduites, sauf son temps de travail. Ce résultat peut grimper à 50 euros avec soixante nuitées par an », calcule David Destoc. Le concept est en cours de lancement. Une vingtaine de vignerons des Pays de la Loire et de l'Hérault ont manifesté leur intérêt pour ce produit. Les premiers tonneaux devraient être opérationnels pour la saison 2015.
Les chiffres de l'oenotourisme en France
En 2010, Atout France a recensé plus de 10 000 caves touristiques dans les huit principaux vignobles (1) de France. Celles-ci ont reçu plus de 12 millions de visites (et non de visiteurs). Dans ces mêmes régions, Atout France a dénombré trente et un musées et sites liés au vin recensés dans l'étude, lesquels reçoivent à eux seuls un million de curieux par an en moyenne. Le public français représente 61 % des visiteurs de ces caves et musées, contre 39 % pour les touristes étrangers. La dépense moyenne est de 203 euros par visiteur : 104 euros pour l'achat de vins, 70 euros de consommation en restauration et bars à vin, 15 euros de stage et 14 euros de produits dérivés. Concernant la fréquentation des caves (2), l'Aquitaine est la région la plus fréquentée, avec 5 millions de visites par an (dont 3,6 millions pour le Bordelais) selon les chiffres du CRT Aquitaine. La Bourgogne arrive en deuxième position, avec 2,5 millions, suivie par l'Alsace (1,4 million).
(1) Aquitaine, Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Languedoc-Roussillon, Paca, Rhône-Alpes et Val de Loire selon l'étude « Tourisme et vin » d'Atout France.
(2) Ce classement n'inclut pas les régions Paca et Rhône-Alpes.