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« Des clients nous découvrent lors des foires aux vins »

CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°268 - octobre 2014 - page 59

SYLVAIN TATRAUX, jeune vigneron de Givry (Saône-et-Loire), a participé à l'ouverture de la foire aux vins à l'hypermarché Carrefour Chalon Sud. Bien qu'il affirme ne pas avoir l'âme d'un commercial, il a parfaitement rempli sa mission.
LORS DE LA FOIRE AUX VINS  à Carrefour, Sylvain Tatraux fait déguster les vins de son domaine.  PHOTOS : C. MICHELIN

LORS DE LA FOIRE AUX VINS à Carrefour, Sylvain Tatraux fait déguster les vins de son domaine. PHOTOS : C. MICHELIN

LES CLIENTS GUETTENT LES BONNES AFFAIRES DE LA FOIRE AUX VINS  mais la présence du viticulteur leur permet en plus de déguster les vins et de s'orienter dans le vaste choix qui leur est offert.

LES CLIENTS GUETTENT LES BONNES AFFAIRES DE LA FOIRE AUX VINS mais la présence du viticulteur leur permet en plus de déguster les vins et de s'orienter dans le vaste choix qui leur est offert.

Lundi 8 septembre, 20 heures précises : l'hôtesse de l'accueil de l'hypermarché Carrefour Chalon Sud annonce l'ouverture officielle des foires aux vins 2014. Une cinquantaine de clients qui commençaient visiblement à s'impatienter se détendent. Catalogues en main, ils vont pouvoir déguster les vins qu'ils ont repérés.

Arrivé trente minutes avant l'heure dite, Sylvain Tatraux, la quarantaine, est décontracté malgré l'approche des vendanges. Le viticulteur, à la tête du domaine Tatraux Jean et fils, à Givry, porte une légère chemise à manches courtes, un short et des chaussures ouvertes. Il prend tranquillement possession de son emplacement : une table qu'il partage avec son confrère du village voisin de Saint-Désert, Pierre-François Goubard. Tous deux savent que le chef de rayon, Hervé Roux, a bien organisé son événement. Des affiches flottent au-dessus de chaque domaine pour que les clients se repèrent facilement. Côté matériel : crachoirs et seaux de glace sont déjà en place... « Inutile d'aller au rayon poissonnerie pour chercher de la glace, ce qui m'est arrivé certaines années », rappelle Sylvain Tatraux.

Carrefour a placé la foire aux vins à l'entrée de son magasin, dès les portiques. Aucun client ne peut passer à côté. « Pour faire connaître notre sélection, nous avons distribué 40 000 catalogues localement, en plus des 100 000 exemplaires diffusés au niveau national », glisse le directeur de l'hypermarché, Cyril Goursaud. Pour accueillir les clients lors de l'ouverture de sa foire aux vins, il a convié une dizaine de viticulteurs ou leurs représentants.

Les amateurs arrivent. Sylvain dégaine son seul outil : son tire-bouchon. Il n'a pas apporté de bouteilles. Il se sert directement dans les cartons qu'il a livrés il y a deux semaines. Le premier couple vient spécialement pour « refaire son stock » de givry. Sylvain leur propose de commencer par déguster son appellation village. Mais ils ont déjà leur idée : ils sont venus pour son givry premier cru La Grande Berge 2013, qui s'avérera être la meilleure vente de la soirée. Pressés, ils ne posent pas de questions. Ils prennent un carton et poursuivent leur chemin.

Déjà, certains jouent des coudes pour faire une bonne affaire. Ils sont attirés par les stickers jaune fluo qui promettent « 5+1 gratuite et 1 € de remise immédiate en caisse », soit les six bouteilles de premier cru Les Grandes Berges à 49 €, alors qu'elles sont vendues 10,80 € à l'unité.

Les dégustations s'enchaînent. « On voit vite ceux qui veulent des explications et ceux qui sont là pour faire un tour et goûter. Alors, on s'adapte », explique Sylvain, tout en débouchant une autre bouteille. Les chariots se remplissent de cartons de six bouteilles. Vingt minutes après le début, l'allée est complètement bloquée par l'afflux de visiteurs. Du coup, les conversations s'engagent et se prolongent. Sylvain répond à toutes les questions, toujours avec le sourire. D'où vient cette note boisée ? « D'une fin d'élevage en fûts » ; avec quel plat se marie ce givry ? « Avec un filet mignon », explique-t-il inlassablement, avec toujours beaucoup de pédagogie.

Un confrère vigneron de la côte châlonnaise vient déguster incognito. La conversation devient plus technique. « Je suis des itinéraires de production raisonnés. Je pratique une vinification traditionnelle en démarrant par une macération à froid à 12°C pendant quatre à cinq jours. Durant la fermentation, je maintiens les températures autour de 30-32°C pour des cuvaisons entre douze et quinze jours. Je les décuve et les presse. Elles décantent pendant quatre à cinq jours avant de descendre en fûts. J'élève tous mes givrys en fûts pendant dix mois. Pour mes premiers crus, j'utilise un tiers de fûts neufs, un tiers de fûts d'un vin et un tiers de deux ou trois vins. Je les ai mis en bouteilles il y a trois semaines. Ils conservent encore une touche d'acidité. »

Le domaine a dû faire une mise en bouteilles spécialement pour la foire aux vins car il n'avait plus de premier cru La Grande Berge 2012. Le domaine produit bien deux autres premiers crus à Givry, mais il les réserve à des circuits de vente différents. De plus, ces vins seront eux aussi bientôt épuisés. Pourtant, depuis dix-sept ans que Sylvain Trataux a repris le domaine, la production est passée de 6 000 à 45 000 bouteilles par an. Il exploite 3,5 ha de givry rouge, 1 ha de givry blanc et 4 ha de givry premier cru (Le Médenchot, La Grande Berge et Clos Jus). Il vend 20 000 bouteilles par an via la grande distribution « dont 6 000 avec Carrefour ». Il exporte également 5 000 cols et en vend 5 000 de plus par internet (sur ventealapropriete.com), « en progression ». Il commercialise le reste directement dans son chai, au hameau de Poncey.

Pour la foire aux vins, il a livré 550 cols de premier cru, 250 de givry rouge et 360 de givry blanc. « Si le rayon se vide, je réapprovisionnerai. Ce n'est pas une mauvaise chose d'être en GMS. Surtout sur le plan local : des clients découvrent nos vins dans le magasin et reviennent à la propriété nous en acheter en plus grande quantité. » Inversement, de nombreux clients locaux viennent aussi le rencontrer personnellement ce soir. Les bises claquent et les poignées de main sont sincères. Le tutoiement est de rigueur. Des voisins passent aussi : « Ils n'osent pas me déranger chez moi. Ils viennent acheter mes vins ici. »

Il est 21 heures, les grilles du magasin se ferment. Les lumières s'éteignent dans les rayons. Seule la foire aux vins reste éclairée. Des clients reviennent du fond du magasin. Ils se mettent à déguster après avoir fait le tour des vignerons présents. Les rires se font plus forts. Les crachoirs ne se remplissent plus. Certains avinés ont désormais l'humour graveleux. Ils rigolent bêtement du nom « La Grande Berge ». Mais, Sylvain ne se laisse pas déstabiliser et feint de ne pas entendre. D'autres essayent de négocier les prix, trouvant que 10 € la bouteille, c'est trop cher. Toujours gentiment, il explique que c'est Carrefour qui fixe le prix ici. D'ailleurs, l'année dernière, il avait dû noter les prix de ses vins sur sa main pour s'en souvenir, puisqu'il n'était pas à proximité immédiate de sa palette. Cette année, il apprécie d'être à côté de ses vins pour une autre raison : cela lui permet de conclure les dégustations en aidant les clients à charger leur chariot dans la foulée.

Le directeur et le chef de rayon vérifient que tout se passe bien. « Le Bourguignon est chauvin. Il achète surtout du vin de sa région, souvent sans même goûter. À Paris, les clients sont plus axés sur les Bordeaux », souligne Cyril Goursaud, qui a géré d'autres magasins Carrefour à Paris. Il ajoute que la foire aux vins de septembre représente 5 % des ventes annuelles de vins en volume de son magasin.

21 h 40, le rayon se vide. Sylvain salue ses derniers clients. En moins de deux heures, il a permis à Carrefour de vendre une vingtaine de cartons de six bouteilles, principalement du premier cru. Sept bouteilles de dégustation auront été nécessaires pour cela. Petite ombre au tableau : une bouteille de blanc n'a pas eu le temps de refroidir dans le seau à glace. Sylvain s'en est sorti avec une pirouette : « Il faut l'imaginer plus frais », conseillait-il en servant son vin.

« Je suis plutôt cool, car je ne suis pas un commercial », reconnaît le viticulteur, toujours naturel. Sans doute est-ce pour cela qu'il ne fait qu'une foire dans l'année : celle de Carrefour.

Ravi de la soirée, le chef de rayon a récupéré les premières données des caisses. « Environ 350 clients sont venus spécialement pour acheter », savoure-t-il. Tout en débarrassant, il invite les vignerons à venir « casser la croûte ». Une façon conviviale de finir cette soirée, en entretenant son réseau...

À chacun son métier

Sylvain Tatraux n'est pas commercial dans l'âme. Alors, il s'appuie sur une association de vignerons qui négocie pour lui en grande distribution. « Domaines et châteaux de Bourgogne réunis » comprend quinze vignerons. Sylvain y est entré grâce au bouche-à-oreille. La responsable commerciale, Juliette Charles, était d'ailleurs présente à la foire aux vins. Elle s'est occupée de fournir les photos et renseignements nécessaires à la réalisation du catalogue et des bannières pour l'événement. C'est elle également qui a négocié la vente avec Carrefour.

RESPECTER LES FRONTIÈRES COMMERCIALES

- « Je n'ai pas distribué de cartes de visite ni de plaquettes ce soir, à part à un représentant de Martini qui m'a dit vouloir venir avec des amis à mon caveau. Il faut être réglo avec son distributeur. Idem, lors de la foire aux vins, je ne cherche pas à enrichir mon fichier clients en demandant leurs coordonnées aux clients de l'hypermarché. »

- Il réserve le premier cru La Grande Berge à Carrefour « pour ne pas faire de tort » à ses autres canaux de ventes, comme la Maison des vins de la Côte Chalonnaise, située à moins d'un kilomètre, afin aussi que « les clients ne puissent pas comparer les prix et être éventuellement déçus ».

- Sylvain garde toujours la main sur ce canal puisqu'il a déjà refusé une commande de 1 200 cols par mois pour le groupe Auchan. « Je n'ai pas souhaité faire cette opération car, vu mes volumes, je risque de ne pas pouvoir suivre la demande, puis d'être déréférencé et de me retrouver avec ces bouteilles sur le dos. »

- Autre enseignement : le Domaine Tatraux avait fait réaliser une étiquette spécifique pour les bouteilles destinées à Carrefour. « Les clients n'ont pas compris. Ils ne reconnaissaient pas le domaine. Les bouteilles sont restées en rayon alors que celles avec les anciennes étiquettes sont toutes parties. »

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