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BOURGOGNE, CHAMPAGNE, AUDE... Dans la rue avec les viticulteurs

CÉDRIC MICHELIN, ÉMILIE-ANNE JODIER, FRÉDÉRIQUE EHRHARD, INGRID PROUST - La vigne - n°269 - novembre 2014 - page 12

Mercredi 5 novembre, agriculteurs et vignerons se sont retrouvés pour battre le pavé et dénoncer des contraintes réglementaires et fiscales de plus en plus lourdes. « La Vigne » les a suivis.
À CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE, le 5 novembre, la bonne humeur n'empêche pas le SGV d'afficher un message explicite. © E.-A. JODIER

À CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE, le 5 novembre, la bonne humeur n'empêche pas le SGV d'afficher un message explicite. © E.-A. JODIER

À CARCASSONNE, les Vignerons de l'Aude partagent le ras-le-bol des autres agriculteurs vis-à-vis de l'accumulation de charges et de contraintes administratives. © L. LECARPENTIER

À CARCASSONNE, les Vignerons de l'Aude partagent le ras-le-bol des autres agriculteurs vis-à-vis de l'accumulation de charges et de contraintes administratives. © L. LECARPENTIER

Lundi 3 novembre, les vignerons de Saône-et-Loire ont déversé des pieds de vigne morts d'esca devant la permanence du député Christophe Sirugue.  © C. MICHELIN

Lundi 3 novembre, les vignerons de Saône-et-Loire ont déversé des pieds de vigne morts d'esca devant la permanence du député Christophe Sirugue. © C. MICHELIN

À BLOIS, les vignerons sont allés à la rencontre du public et ont proposé une dégustation de leurs vins. © I. PROUST

À BLOIS, les vignerons sont allés à la rencontre du public et ont proposé une dégustation de leurs vins. © I. PROUST

LES AGRICULTEURS ont réalisé des actions coup-de-poing . À Châlons-en-Champagne, ils ont notamment brûlé des pneus et des palettes. Plus calmes, les viticulteurs sont restés en retrait. © E.-A. JODIER

LES AGRICULTEURS ont réalisé des actions coup-de-poing . À Châlons-en-Champagne, ils ont notamment brûlé des pneus et des palettes. Plus calmes, les viticulteurs sont restés en retrait. © E.-A. JODIER

À GAUCHE, PASCAL FÉRAT, président du SGV de Champagne : « Nous sommes traités comme des dealers qui ne peuvent pas faire la promotion de leur produit. » © E.-A. JODIER

À GAUCHE, PASCAL FÉRAT, président du SGV de Champagne : « Nous sommes traités comme des dealers qui ne peuvent pas faire la promotion de leur produit. » © E.-A. JODIER

Saône-et-Loire : Un avant-goût de la révolte

Lundi 3 novembre, de façon coordonnée par l'Union viticole, une centaine de viticulteurs sont venus déposer des ceps morts d'esca à Louhans chez Cécile Untermaïer, au Creusot chez Philippe Baumel et à Chalon-sur-Saône chez Christophe Sirugue. Puis ils ont demandé à être reçus par ces trois députés.

Vigneron à Saint-Désert, Pierre-François Goubard s'est rendu chez Christophe Sirugue, vice-président socialiste de l'Assemblée nationale. Il a tout d'abord expliqué ses difficultés pour recruter des vendangeurs, lesquelles seront aggravées par la suppression de l'exonération des charges salariales dont bénéficie le contrat vendanges.

Christophe Sirugue a affirmé à ses visiteurs qu'il avait « bien la problématique en tête ». Mais il a calmé leurs ardeurs. « On [les députés] doit faire la balance entre le contrat vendanges et le CICE (Contrat d'impôt pour la compétitivité et l'emploi). » Les vignerons ont aussi déploré que « la famille ou les amis qui veulent donner un coup de main bénévolement ne puissent plus le faire », sous risque, pour le chef d'exploitation, d'être verbalisé.

Puis l'esca. « Cela fait treize ans que les pouvoirs publics nous laissent seuls face à ce fléau », s'est indigné Joël Pierre, de Saint-Gengoux-le-National, en référence à l'interdiction d'utiliser l'arsénite de soude. Rien qu'en Saône-et-Loire, les complantations représentent 550 ha chaque année (sur 13 000 ha au total) pour un coût de 13 millions d'euros. « Notre principal outil de travail est sur votre trottoir », a conclu Ludovic Cottenceau, jeune viticulteur à Buxy.

Le 6 novembre, en première lecture, les députés ont voté la suppression du contrat vendanges.

CÉDRIC MICHELIN

Champagne : Une mobilisation « sans précédent »

Sur la banderole déroulée par le Syndicat général des vignerons (SGV) dans les rues de Châlons-en-Champagne (Marne), le message est bien lisible : « Lâchez-nous la grappe ! ». « Trop c'est trop », peut-on lire ailleurs, « L'État vendange nos vignes », dit encore un panneau distribué par le syndicat.

Pour porter ces messages, le SGV attendait 1 500 vignerons. Les renseignements généraux en ont finalement dénombré 1 800. Un rassemblement « sans précédent » de mémoire de Pascal Férat, président du SGV.

Pour amener ses membres à Châlons, le syndicat a affrété 22 bus. Au petit matin, on distribue des bonnets verts. Ils seront le signe de ralliement des vignerons. Pendant le trajet, le syndicat rappelle les consignes par peur des débordements : rester groupés, éviter les provocations et bannir toute dégradation. Pour s'exprimer, les viticulteurs disposent d'un sifflet, vert lui aussi, dont ils useront allègrement une fois sur place.

Les revendications (voir encadré ci-contre) sont sur toutes les lèvres. La multiplication des contraintes administratives en énerve plus d'un. Thierry, un vigneron d'Ambonnay qui exploite 3,5 ha de vignes, donne un exemple : « Depuis peu, les exploitations de plus de 3 ha doivent réaliser des analyses de sol ! Ça ne va pas forcément coûter grand-chose, mais cela rajoute un étage à la montagne de paperasse à laquelle nous sommes confrontés. »

À 10 h 30, à la descente des bus, les vignerons se mettent en ordre de marche. C'est alors une ruée verte qui s'avance vers Châlons. Au loin, les tracteurs des agriculteurs forment une colonne colorée. Jean, un viticulteur retraité, assure : « Voir les viticulteurs manifester aux côtés des agriculteurs, c'est très rare ! Ça veut dire que les problèmes dépassent les filières, que c'est à l'échelle de l'économie française ! » Autour de lui, on acquiesce.

Céline, Maximilien et Aurélien, tous trois de Troissy, défilent gaiement sans pour autant mettre de côté leur exaspération. « Nous sommes aussi là pour les saisonniers, pour leur assurer une bonne paie. Ce sont eux qui y perdent si le contrat vendanges tel que nous le connaissons disparaît. » « On nous taxe de toutes parts, regrette de son côté la présidente de la cave coopérative de Cuchery. Et il est devenu impossible de transmettre à nos enfants. »

Et pourtant, tous ont conscience d'être des privilégiés. « De tous les viticulteurs, les Champenois sont sans doute ceux qui s'en sortent le mieux, confirme Pascal Férat. Mais nous ne voulons pas attendre d'avoir la tête sous l'eau pour nous exprimer. »

À la tribune, le président du syndicat se lance dans un discours enflammé. Il défend le modèle champenois, créateur de richesse, et exige qu'on laisse aux vignerons la possibilité de poursuivre leurs efforts. « Il ne faut pas que les Italiens ou d'autres prennent la place. L'Espagne lance une campagne de communication qui dit : "Qui sait boire sait vivre" ! Pendant ce temps, nous sommes traités comme des dealers qui ne peuvent faire la promotion de leur produit ! » Ovation dans les rangs à la seule évocation de la loi Évin.

« Nous ne nous laisserons pas faire, prévient, en guise de conclusion, Pascal Férat. Nous ne voulons pas du compte pénibilité et nous tenons au contrat vendanges. Si jamais nous ne sommes pas entendus, la prochaine fois, les bonnets ne seront plus verts comme aujourd'hui, mais rouges ! »

ÉMILIE-ANNE JODIER

Aude : « Laissez-nous reconstruire une viticulture forte »

13 heures. Le square André-Chénier, à Carcassonne, se remplit. Les vignerons arrivent en nombre. Le Syndicat des vignerons de l'Aude a choisi de mobiliser ses troupes le même jour que la FDSEA et les Jeunes agriculteurs. Mais, voulant un signe distinctif pour ses adhérents, il leur distribue des casquettes vertes, pour affirmer que les écologistes n'ont pas le monopole du vert.

Pour une fois, ce n'est pas la crise économique qui le motive. Certes, les victimes du violent orage de grêle du 6 juillet sont en difficulté. « Les aides promises n'arrivent pas. L'inquiétude monte, et derrière elle le désespoir et la colère. Nous attendons des réponses rapides ! », rappelle Frédéric Rouanet, le président du syndicat, alors que la foule grossit.

Mais ce 5 novembre, les vignerons partagent surtout le ras-le-bol des autres agriculteurs vis-à-vis de l'accumulation de charges et de contraintes administratives. « Nous sommes au forfait et nous tenons à y rester ! », détaille une vigneronne en Gaec venue avec son fils. Avec le régime de micro-entreprise que le gouvernement veut mettre en place, ses cotisations sociales augmenteraient. Elle ne l'accepte pas. « Sur 40 ha, avec nos petits rendements, inférieurs à 60 hl/ha cette année à cause de la sécheresse, il y a juste du revenu pour deux », souligne-t-elle. Même constat pour cet autre vigneron. « Avec les cours actuels, je m'en sors en serrant tous les boulons. Si les charges augmentent, cela ne passera plus », s'inquiète-t-il.

Beaucoup de jeunes sont là. Certains, pas encore installés, se revendiquent déjà vignerons. « Mon père a dû tout arracher. Pour l'instant, je suis ouvrier agricole sur une autre exploitation, mais je compte bien reprendre ses terres et replanter peu à peu. Ce métier, c'est ma passion », affirme l'un d'eux. Son voisin travaille aussi comme salarié en attendant de reprendre l'exploitation familiale. Les contraintes qui s'accroissent le font hésiter, les aléas climatiques aussi. « En deux ans, mon père a payé 4 000 € pour l'assurance récolte, et cette année, alors qu'il est touché par la grêle, il n'a droit à rien car il ne rentre pas dans les critères d'indemnisation. »

Après avoir fait le tour d'une partie de la ville, le cortège de viticulteurs rejoint les autres manifestants. Sur les allées, une centaine de gros tracteurs sont garés. Dans la matinée, ils ont mené une opération escargot avant de rejoindre Carcassonne.

Il est 14 h 30 heures. Frédéric Rouanet prend la parole. « C'est nous qui construisons l'écologie au quotidien, pas ceux qui sont dans des bureaux à Paris. La nouvelle délimitation des zones vulnérables nous a été imposée sans concertation », dénonce-t-il à la tribune.

Il revient aussi sur le PV pour travail illégal dressé en février 2013 contre deux vignerons qui recevaient un coup de main de leur beau-père. « Comment pourrons-nous transmettre nos exploitations familiales à nos enfants, si nous ne pouvons pas les aider ? La situation s'est améliorée. Pour les jeunes, le métier redevient attractif économiquement, mais pas administrativement. Ce n'est pas le moment de nous compliquer la vie avec de nouvelles contraintes, alors que nous avons les cartes en main pour reconstruire une filière viticole forte ! »

FRÉDÉRIQUE EHRHARD

Val de Loire : « La réglementation nous assomme »

À Blois, le mouvement national de la FNSEA s'est décliné de façon pacifique. FDSEA et JA du Loir-et-Cher avaient appelé leurs membres à manifester de manière paisible. Une poignée de vignerons adhérant au syndicat se sont rassemblés devant la préfecture vers 11 h 30, avec des agriculteurs.

Au programme : des discours, des échanges avec les élus et le préfet et, surtout, la volonté d'aller à la rencontre du public invité à déguster des produits locaux. Jusqu'à 14 h 30, les vignerons ont servi des vins AOC Touraine tirés de BIB et ont dialogué avec les passants. « Les réglementations s'accumulent dans tous les domaines : les phytos, l'embauche de personnel, et maintenant la gestion des marcs. Pour les épandre sur nos parcelles, on nous impose de nouvelles contraintes », explique Denis Bourdin, vigneron à Couddes et président de la coopérative des Coteaux romanais.

« On se met aux normes et le lendemain elles changent, la réglementation nous assomme, se plaint André Cellier, vigneron à Mont-près-Chambord. Et pour l'embauche de personnel, c'est aussi compliqué. Même pour employer un saisonnier quelques heures, son Tesa doit être signé par le salarié puis envoyé à la MSA avant son embauche. » Vigneron à Villiers-sur-Loir, Charles Jumert en a lui aussi assez : « À 57 ans, je veux continuer à travailler. Mais je voudrais être à la retraite administrative ! Il m'arrive de me réveiller la nuit au sujet d'un formulaire. » INGRID PROUST

Des conseils avant de passer à l'action

Dans les bus, le syndicat des vignerons de Champagne fait une dernière mise au point avant l'arrivée. « Les manifestations de Toulouse et de Châlons vont être les plus importantes, prévient, au micro, Rémi Durand, secrétaire général du SGV. Les médias seront présents et viendront peut-être vous solliciter. Voici ce qu'il faut leur dire pour faire passer notre message. » Première revendication : le soutien à l'action des agriculteurs. Mais viennent ensuite des mots d'ordre qui résonnent aussi bien aux oreilles des agriculteurs que des viticulteurs : pression fiscale excessive, charges sociales trop élevées, réglementation complexe et déconnectée de la réalité. Enfin, les vignerons ont leurs propres exigences : conserver le contrat vendanges et lutter contre le compte pénibilité.

Trois revendications dans l'Aude

Respecter la promesse faite aux vignerons grêlés. La grêle du 6 juillet a frappé 800 vignerons qui ont perdu 900 000 hl. « En juillet, le ministre de l'Agriculture avait annoncé 2,5 millions d'euros pour la prise en charge des cotisations sociales. Mais rien ne vient ! », dénonce Frédéric Rouanet, président du Syndicat des vignerons de l'Aude.

Maintenir le forfait. 70 % des vignerons audois bénéficient du forfait agricole. Avec le changement que le gouvernement veut faire voter dans la loi de finances 2015, leurs cotisations sociales augmenteraient en moyenne de 1 500 €/an.

Réintroduire l'aide aux moûts concentrés rectifiés. Le gouvernement n'a toujours rien fait. « Dans notre cave, le surcoût lié à l'utilisation des MCR a été de 35 000 € en 2014, alors que nous avons dû économiser sur tout pour ne pas augmenter les frais de vinification face à la petite récolte », note Vincent Tixier, le directeur des Celliers du Nouveau Monde, à Puichéric.

Une mobilisation agricole nationale

Viticulteurs et agriculteurs étaient unis pour cette journée qui a mobilisé plus de 35 000 personnes en France à l'appel de la FNSEA. « Du jamais vu depuis des années », selon le syndicat majoritaire.

À Paris, Nantes, Toulouse ou Amiens, les agriculteurs ont réalisé des actions « coup-de-poing », déversant du fumier, distribuant des pommes de terre ou bloquant des accès autoroutiers. Huit revendications étaient à l'ordre du jour, parmi lesquelles le droit à un patriotisme alimentaire et la dénonciation de réglementations jugées abusives, en particulier sur la question des nitrates.

Mercredi 5 novembre, Stéphane Le Foll a rappelé que deux des huit revendications avaient déjà été réglées (la fin de l'écotaxe et l'avance accordée sur les aides Pac) et que les travaux sont engagés sur les autres « points durs » listés par le syndicat majoritaire.

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