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VIN

Sauvignon Le bond qualitatif d'une coopérative

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°270 - décembre 2014 - page 54

La cave coopérative du Pouget (Hérault) a produit cette année 8 000 hl d'un sauvignon très typé qu'elle a valorisé bien au-dessus des cours du marché. Son secret : un parcours sans faute pour accroître et préserver les thiols variétaux.
BASTIEN THIBULT, l'oenologue, et PATRICK LABRI, le directeur de la cave du Pouget, dans l'Hérault. PHOTOS : M. TRÉVOUX

BASTIEN THIBULT, l'oenologue, et PATRICK LABRI, le directeur de la cave du Pouget, dans l'Hérault. PHOTOS : M. TRÉVOUX

Des notes intenses de pamplemousse, d'agrumes, de fruits de la passion et de buis... Le sauvignon 2014 de la cave du Pouget est un concentré d'arômes. « Cela fait plusieurs années que nous travaillons pour améliorer notre niveau qualitatif. Il nous est déjà arrivé d'obtenir une cuve ou deux d'une telle expression. Mais c'est la première année que toute notre production atteint ce niveau », constate Patrick Labri, le directeur de la cave.

Les metteurs en marché ne s'y sont pas trompés. Les Grands Chais de France, Jeanjean, Castel, Domaines des Marinous ont reconnu le progrès réalisé par la cave. Aucun n'a rechigné à payer plus que le prix du marché pour ce sauvignon explosif. Fin octobre, la totalité des 8 000 hl était vendue !

La coopérative a planté du sauvignon à partir de 1995. Aujourd'hui, ses adhérents en cultivent une centaine d'hectares qui produisent bon an mal an 8 000 à 9 000 hl. Depuis les années 2000, la coopérative a mis en place toute une série de mesures pour obtenir des thiols variétaux et les préserver tout au long de la vinification.

Elle a d'abord interdit les traitements cupriques car le cuivre détruit les thiols et diminue donc le potentiel aromatique du sauvignon. « La première année, on a fait des analyses. Nous avons déclassé certains lots. Depuis, la consigne est bien suivie », commente le directeur.

Les efforts ont ensuite porté sur la date de vendanges. « Nous nous sommes formés à la dégustation des baies pour déterminer la date de maturité. Auparavant, on avait tendance à ramasser trop mûr, ce qui diminuait la concentration en thiols. En dégustant les baies, nous pouvons vendanger au moment où leur concentration est à son maximum », explique Patrick Labri.

Le directeur et son oenologue, Bastien Thibult, ont aussi testé différentes levures révélatrices des thiols sans qu'une souche se distingue. Aujourd'hui, ils emploient six à sept levures différentes chaque année. « Les levures très technologiques, de type K1, sont à éviter car elles produisent des arômes qui masquent les thiols », concluent-ils.

Les thiols étant extrêmement sensibles à l'oxydation, la coopérative s'est donc attachée à traquer toutes les sources potentielles d'oxygénation des moûts et des vins. « Depuis 2010, nous sommes équipés d'un pressoir Inertys. Nous pressons sous gaz inerte. » Le temps que le pressoir se remplisse, la vendange macère 2 à 3 heures à la température de récolte, laquelle a lieu de nuit. 70 % des volumes passent par Inertys, le reste est envoyé vers une cuve Élite, également sous gaz inerte. « Nos clients ont noté une nette amélioration depuis que nous utilisons ces pressoirs, mais nous avions encore de gros écarts d'une cuve à une autre, souligne Patrick Labri. C'est avec la fertilisation foliaire, pratiquée pour la première fois cette année, que nous les avons réduits. »

S'appuyant sur les travaux de l'IFV Sud-Ouest, les dirigeants de la coopérative soumettent le projet au conseil d'administration qui l'adopte à l'unanimité. La cave achète l'engrais pour la totalité de ses sauvignons et le distribue à ses adhérents. « Nous avons écarté 2 % des surfaces où le sauvignon était implanté sur des terres trop sèches », précise le directeur.

Le cahier des charges est cadré : appliquer deux fois 9 kg/ha d'azote (U), sous forme d'urée, avec 6 kg/ha de soufre mouillable et dans 200 l/ha de bouillie, au minimum. Le traitement doit être effectué deux fois à dix jours d'intervalle, après le début de la véraison, de nuit ou au petit matin pour éviter la chaleur et les brûlures du feuillage. Le coût (produit + travail) s'élève à 4 €/hl. Il est largement compensé par la plus-value sur le prix de vente.

La récolte a eu lieu aux alentours de 11,5% vol. potentiels après enrichissement. Les raisins sont ramassés en légère sous maturité, à environ 10% vol. Les moûts étaient un peu plus riches en azote : 180 à 200 mg/l d'azote assimilable, contre 150 à 180 mg/l les années précédentes. « Les résultats sont spectaculaires. Nous n'avons pas fait d'analyse de la teneur en thiols, mais la réaction de nos clients nous pousse à croire que cet apport d'azote et de soufre est un point clé pour obtenir des sauvignons expressifs. Nous allons renouveler l'expérience pour vérifier si nous obtenons les mêmes résultats. Il est possible que les rendements plus faibles de cette année aient contribué à cette concentration aromatique », indique Patrick Labri. « C'est une avancée pour le Languedoc, souligne un acheteur. La région s'est forgé une très belle réputation pour ses chardonnays. Il pourrait en être de même pour ses sauvignons. » Reste aux dégustateurs des jurys de labellisation à se préparer à cette évolution. L'exubérance du sauvignon de la cave du Pouget en a dérouté certains en Pays d'Oc, peu rôdés à ce type de profil.

JOËL GUIEYSSE, VITICULTEUR SUR 24 HA, ADHÉRENT DE LA COOPÉRATIVE DU POUGET (HÉRAULT) « Nous savons qu'il faut s'adapter pour coller à la demande du marché »

Exploitant 24 ha dont 1 ha de sauvignon, Joël Guieysse s'est plié volontiers à cette nouvelle directive de la coopérative. « Nous avons déjà une bonne réputation pour nos sauvignons. Mais si on peut encore s'améliorer, on est preneur. D'autant que ce nouveau traitement ne représente pas une surcharge énorme de travail. La cave nous a convoqués pour distribuer le produit. Chacun a reçu la dose correspondant à sa surface, ainsi qu'une feuille de route avec les consignes à respecter : réaliser le traitement de nuit, en deux applications à 10 jours d'intervalle, à raison d'au moins 200 l/ha. Nous avons ensuite été informés par mail ou par téléphone de la date du premier traitement. J'ai traité à 4 heures du matin, ce qui n'a pas impacté ma journée de travail. La seule complication a été l'obligation d'appliquer un minimum de 200 l/ha. J'ai dû modifier le réglage de mon pulvérisateur pneumatique en augmentant la pression et j'ai traité tous les rangs pour respecter cette consigne. Nous savons qu'il faut s'adapter pour coller à la demande du marché. Cela fait partie du métier. Résultat : cette année, nous avons des sauvignons qui déchirent ! »

De bons résultats également chez les Vignerons du Narbonnais

À 70 km au sud-ouest du Pouget, la cave des vignerons du Narbonnais (à Ouveillan) teste également les pulvérisations foliaires d'azote à la véraison. « Nous avons commencé en 2012 sur 17 ha, témoigne Bernard Pitié, le directeur de la cave. Depuis, chaque année, nous augmentons les surfaces traitées. Cette année, nous sommes passés à 50 ha, ce qui représente 75 % de nos sauvignons. » Le traitement s'effectue sur la base du volontariat. La technicienne viticole de la coop sélectionne les parcelles qui peuvent y prétendre et fixe la date de la première application. Elle accompagne les adhérents. « Sur ces trois années, nous constatons un gain significatif de puissance aromatique. Les cuves traitées sont toujours mieux notées que les autres, constate Bernard Pitié. Ce traitement ne suffit pas, à lui seul, à accroître le potentiel aromatique des sauvignons. Mais il optimise les résultats des autres mesures que nous prenons. Nous réalisons une stabulation des moûts au froid de quinze jours à trois semaines, et nous utilisons des levures révélatrices des thiols. » Le plus souvent, les cuves les plus expressives sont assemblées avec le reste de la production pour élever le niveau qualitatif de l'ensemble des 5 000 hl produits annuellement par la cave. « C'est généralement ainsi qu'on obtient la meilleure valorisation. »

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