LES PORTES OUVERTES sont l'occasion pour Olivier Fargues, co-gérant du Château La Bouade, de rencontrer les clients fidèles autour d'un bon sauternes. PHOTOS : C. GOINÈRE
POUR L'ÉVÉNEMENT, les propriétaires ont pris soin d'annoncer sur une pancarte leur promo sur un vieux millésime.
LES MAÎTRES DES LIEUX, Stéphane Wagrez (au premier plan) et Olivier Fargues, accueillent les convives pour leur faire découvrir dans une ambiance conviviale leur gamme de sauternes : Coccinelle, Château La Bouade 2010, Clos Mercier 2003. Leur but ? Moderniser l'image de ce vin sucré, souvent considéré comme inaccessible.
Impossible de le rater ! Sur la route de Barsac, en Gironde, un grand panneau jaune vif planté aux bords des vignes attire le regard. En lettres noires, une promesse : « - 40 % sur Sauternes 2003 ». Une promotion qui flashe, identique à celle des grandes surfaces. Et ça marche ! Les voitures ralentissent et s'engagent dans le chemin qui mène au château. En ce début d'après midi du 8 novembre, le chai accueille déjà des petits groupes de visiteurs. Autour de tonneaux transformés en table, ceux-ci dégustent, verre à la main, les vins de Stéphane Wagrez et Olivier Fargues. Les deux hommes, arborant chemises et tennis orange, s'affairent. Pendant deux jours, 49 châteaux de Sauternes et de Barsac ouvrent leurs portes. La Bouade participe à l'opération.
Trois jeunes à l'approche de la trentaine, Aurélie, salariée d'une société de négoce bordelaise, accompagnée de Mike, jeune viticulteur de l'Entre-Deux-Mers, et Christophe, viticulteur en Alsace, dégustent la cuvée Coccinelle, un sauternes de 2010. « Les vins de ce château sont différents des sauternes traditionnels », affirme Aurélie. Sourire satisfait de Stéphane. « Quand nous avons repris la propriété en fermage avec Olivier, en 2009, d'emblée nous avons voulu faire des sauternes légers, accessibles, qui cassent l'image d'un vin trop sucré et cher. Nous voulons faire sauter les préjugés. Mais certains nous critiquent », indique-t-il. Et d'expliquer : « Sur la page Facebook d'Olivier, un viticulteur de Barsac a critiqué la promo de 40 % que nous faisons. Or, il écoule son vin chez Aldi à 4,49 € la bouteille. Nous, on est là pour vendre. Donc on met en place un produit d'appel. »
Vendre, c'est bien le maître mot. Du coup, Stéphane abandonne les trentenaires et accueille un petit groupe qui vient d'entrer : les parents, leurs deux enfants et la grand-mère. « Vous connaissez notre gamme ? Non ? Allez, c'est parti. Je vous propose de déguster nos trois sauternes : Coccinelle, puis Château La Bouade 2010, et enfin Clos Mercier 2003. »
Stéphane vante Coccinelle, son entrée de gamme. C'est 100 % sémillon, « liquoreux mais pas trop », idéal à l'apéritif. Il insiste sur son prix : 12 € la bouteille. Marie-Bégonia, la grand-mère, 56 ans, ne s'en laisse pas conter. Son verdict est sans appel : « D'abord, c'est sucré et ensuite je sens de l'acidité. » Sa fille n'est pas du même avis : « Moi, j'aime bien. » Le gendre, quant à lui, ne pipe pas mot.
Stéphane propose ensuite le Château La Bouade 2010. Il explique qu'il s'agit d'un assemblage 50 % sémillon, 50 % sauvignon. Marie-Bégonia apprécie : « Il est meilleur, plus doux et moins acide que le premier. » Mais c'est le troisième vin, Clos Mercier 2003, celui qui bénéficie de la remise de 40 % annoncée sur le bord de la route, qui la séduit. Marie-Bégonia semble aux anges. Puis elle déchante car elle découvre une affiche collée sur une barrique indiquant que la ristourne de 40 % ne fonctionne que si on prend six bouteilles. « Ce n'était pas écrit sur la pancarte », proteste-t-elle. Stéphane, lui, est déjà occupé à servir d'autres convives. Quelques minutes plus tard, Marie-Bégonia repart, sans aller dire sa déception au viticulteur et en piquant, au passage, une petite tartine de foie gras. Elle va dépenser ailleurs son budget de 100 € pour ses achats de sauternes !
Pendant ce temps, Olivier explique à Gaëlle, Hélène et Esméralda, cinquantenaires, toutes trois dans le juridique, son combat : « On veut sortir des vins sucrés servis au dessert, faire des sauternes modernes. » Tout en servant le premier vin, il explique le choix du mot et de l'image de la coccinelle sur ses étiquettes. Il insiste sur ce liquoreux travaillé avec plus de fraîcheur et conseille de le servir en apéritif ou avec du poisson à la plancha. Esméralda apprécie ce vin : « Il est très frais. Le sucré ne reste pas. Il s'en va tout de suite. C'est vraiment très agréable. »
Les trois femmes sont partantes pour déguster le Château La Bouade 2010. « Avec cette cuvée, on monte en concentration, mais on garde la même fraîcheur », indique Olivier. Mais le vigneron ne s'appesantit pas à le décrire. Pour déclencher l'acte d'achat, il n'hésite pas à se mettre en scène : « Je cuisine beaucoup. Souvent je fais un poulet tandoori, avec pas mal d'épices. Je peux vous dire qu'avec notre sauternes, c'est extraordinaire. Et avec des sushis, c'est fabuleux. En fait, nos vins s'adaptent parfaitement à la cuisine asiatique. »
Le trio écoute avec attention. Olivier enfonce le clou : « Et le fromage de brebis, vous l'avez essayé avec notre sauternes ? Vous verrez, c'est magnifique. » Ce n'est pas tout. Sur le ton de la confidence, voix basse, buste penché en avant, Olivier leur livre une petite astuce : « Si vous avez mangé beaucoup trop épicé, buvez une gorgée de notre sauternes. Vous verrez, le vin arrêtera la sensation de feu dans la bouche. »
Place à la dégustation du troisième vin : le Clos Mercier 2003. Esméralda est la seule à goûter. Les deux autres déclarent forfait. « Clos Mercier peut se boire tout seul, sans être accompagné d'un plat. Il se suffit à lui-même. C'est un gros bonbon. » Esméralda n'est pas convaincue. Finalement, les trois consoeurs ne semblent pas prêtes à acheter. « Où peut-on trouver vos vins ? », interroge Gaëlle. Olivier répond que la propriété est ouverte tous les jours et qu'elle participe à nombre de salons. Il ajoute que ses vins sont distribués chez les cavistes. « Et en grandes surfaces ? », demande Esméralda. « Un peu. On produit au global 30 000 bouteilles dont 8 000 sont distribuées en grandes surfaces », précise-t-il.
« Vous nous racontez votre parcours, votre histoire, c'est vraiment intéressant », déclare, encourageante, Hélène. Déjà Gaëlle saisit la carte de visite du château : « Je connais un caviste. Je peux lui donner votre carte ? », interroge-t-elle. « Oui. Mais ne dites pas d'entrée de jeu le mot de sauternes, c'est un gros mot », lâche-t-il. Les trois femmes repartent, sans aucune bouteille.
Déçu, Olivier ? « J'ai senti très vite qu'elles n'achèteraient rien. Elles s'intéressent à l'histoire du viticulteur. Elles apprécient cette rencontre. Il aurait fallu que l'une d'elles se laisse tenter. Alors ses amies auraient peut-être suivi. »
Dans un coin, sur une petite table, trois enfants s'appliquent sagement à dessiner pendant que leurs parents dégustent. Sur des présentoirs, des bourriches d'huîtres ne semblent pas attirer le public. Idem pour les bocaux de lamproie au sauternes, également à la vente.
Nathalie, 36 ans, en recherche d'emploi, et Yannick, 42 ans, dessinateur industriel, sont en terrain connu. « Nous avons découvert ce château dans un salon à Paris. Depuis, on vient très régulièrement à la propriété. On est très bien accueillis. Olivier et Stéphane ont envie de partager leur travail, leur terroir. Ça donne encore plus de valeur au vin », explique-t-elle. Le couple achète six bouteilles de Clos Mercier. Nathalie craque pour un paquet de pâtes de fruits à 7,50 €. C'est le boulanger de Barsac qui les élabore avec le Château La Bouade. « Avec un fromage de brebis, c'est un vrai délice », lance Nathalie. Une vingtaine de paquets sont à la vente sur un présentoir.
Il est 17 heures. C'est l'accalmie. Ingrid, 32 ans, assistante commerciale, a déjà arpenté cinq propriétés. La Bouade est la dernière. « Dans les précédents châteaux, on a été déçus par les sauternes. C'est vraiment trop sucré », lâche-t-elle. Coccinelle l'attire par « son côté festif. C'est un vin qui n'est pas trop sirupeux », proclame-t-elle. Et hop, elle sort le carnet de chèque pour trois bouteilles.
Un peu à l'écart, deux grands gaillards tiennent conciliabule, un verre à la main. Eugène, 29 ans, travaille dans un entrepôt logistique de Gironde. Pendant deux jours, il fait découvrir Sauternes et Barsac à son frère qui vit à Bucarest. Tous deux sont d'origine roumaine. Ils goûtent les trois vins, hésitent et, finalement, jettent leur dévolu sur une bouteille de Coccinelle. « Un bon rapport qualité-prix », apprécient-ils. Avant de reprendre la route, une question leur brûle les lèvres : « On veut aller au château Yquem. C'est loin d'ici ? »
BIEN ANNONCER L'ÉVÉNEMENT ET PRENDRE SOIN DE SES FIDÈLES CLIENTS
- « Pour attirer du monde, il ne faut pas hésiter à faire des promos, à utiliser les mêmes outils de communication que les grandes surfaces », expliquent Olivier Fargues et Stéphane Wagrez. C'est ainsi qu'ils ont posé une pancarte « - 40 % sur sauternes 2003 » sous le panneau signalant l'entrée du château.
- « Il ne faut pas délaisser les clients fidèles. Ils réalisent la moitié des achats lors de ces portes ouvertes », souligne Olivier. Partant de ce principe, il prend le temps de bavarder avec eux, même lorsqu'il y a du monde. Avec raison : certains fidèles engagent la conversation avec les visiteurs pour leur recommander certains vins.
- « Il faut savoir être simple et accueillant, avec le désir de faire partager ce qui nous anime », ajoute le viticulteur. C'est ainsi qu'il délivre ses trucs et recettes de cuisinier amateur plutôt que des explications très techniques sur ses vins.
- Pour renforcer la convivialité des portes ouvertes, l'an prochain les viticulteurs créeront un espace pique-nique devant leur propriété. « Cela permettra aux visiteurs de découvrir nos vins en prenant leur temps », commentent-ils.
- Pour dépoussiérer l'image du sauternes, ils ont créé un cocktail avec leur vin, de la vodka et du jus de citron.
Une opération rentable
Stéphane Wagrez se frotte les mains. Les deux journées de portes ouvertes, les 8 et 9 novembre, ont été rentables, avec un chiffre d'affaires de 10 000 € pour 670 bouteilles vendues et 200 factures. C'est 10 % de plus que pour les portes ouvertes de 2013. « Nous n'avons pas comptabilisé le nombre de visiteurs. Mais c'était noir de monde », souligne-t-il. Une opération très bénéfique au regard des frais engagés. Le vigneron a servi ainsi 24 bouteilles offertes sur les deux jours, payé 180 € au syndicat pour la participation à l'événement et dépensé 300 € en mailings envoyés à ses 500 clients en Gironde. À cela il faut ajouter l'organisation du chai pour les deux journées. C'est sûr, Olivier Fargues et Stéphane Wagrez ont bien l'intention de poursuivre cette expérience.