À Bergerac, après une très petite récolte 2013, le millésime 2014 devrait remplir ses promesses, à savoir fournir les volumes pour répondre à la demande et offrir une rémunération satisfaisante. Une situation qui convient à la production, bien que, pour elle, il est encore trop tôt pour parler de croissance du vignoble.
« Même si le négoce veut du vin en pagaille, les vignerons n'iront pas vers des plantations nouvelles car cela amènerait des volumes et donc une baisse des cours », souligne Francis Borderie, du Château Poulvère (104 ha en AOC Monbazillac, Bergerac et Pécharmant). Les vignerons ont trop longtemps souffert de la surproduction pour prendre le risque de revivre une telle situation. « Aujourd'hui, le tonneau (900 l) de bergerac rouge est à 1 100 euros. On arrive à un équilibre. Il s'agit de ne pas le mettre en péril », insiste Francis Borderie. Éric Chadourne, président de Couleurs d'Aquitaine, structure commerciale des caves de Dordogne, va plus loin : « Nous devons tenir coûte que coûte les cours du vrac. »
Daniel Duperret, du Domaine de Combet, 30 ha en AOC Monbazillac et Bergerac rouge, le rejoint. Il a restructuré son vignoble en vingt ans. Il a arraché un hectare par an qu'il a replanté en augmentant la densité. Pour lui, le cap à suivre est clair : « Il faut organiser la rareté pour maintenir les cours et sécuriser les rendements pour couvrir les charges. »
Avant d'envisager des plantations nouvelles, la priorité, pour beaucoup, est d'accroître les rendements. « Notre vignoble n'est pas assez productif, déplore Éric Chadourne. En bergerac rouge on atteint péniblement 52 hl/ha alors que le rendement de l'AOC est à 62 hl/ha. Nous payons quinze ans de crise viticole durant lesquels le vignoble a manqué de renouvellement. »
« Viser les rendements de l'AOC, cela passe par des replantations à des densités de 4 000 pieds/ha, ce qui est loin d'être le cas partout, détaille Michel Le Naour, vice-président de la coopérative de Sigoulès (860 ha, 99 adhérents), en Dordogne. Nombre de parcelles sont encore à 3 000 ou 3 300 pieds/ha, quand ce n'est pas 2 200 pieds/ha. Nous avons encore un important travail de restructuration à mener. Et la hausse des rendements passe également par un meilleur entretien des vignes. »
Ceci dit, la filière sent bien que la donne va changer avec la réglementation sur les plantations qui entrera en vigueur en 2016. Quelle orientation le vignoble doit-il prendre ? Le négoce s'interroge. « Comment exploiter au mieux nos terroirs ? Y a-t-il un intérêt à développer les IGP et les VSIG ? Pour le savoir, on doit avoir une vue globale du potentiel viticole et des marchés », plaide Didier Grandeau, président de la Fédération du négoce des vins de Bergerac et de Duras.
Son discours a été entendu. L'interprofession vient de confier une étude à un cabinet. Objectif ? Dresser un état des lieux du vignoble et du potentiel tout en dégageant des pistes de développement pour les différents segments. Les résultats de l'étude sont attendus dans six mois.
« Nous avons besoin de piloter notre production et de tracer des objectifs, admet Éric Chadourne. Nous constatons que, avec l'IGP Périgord, nous avons des marges de progression, sur le créneau des BIB notamment, car nos quatre points de vente manquent tous les ans de 2 000 à 3 000 hl d'IGP Périgord. Pour autant, il ne s'agit pas de déséquilibrer les marchés. Nous étions l'AOC la moins chère de France. Avec la montée des cours et des prix, nous sommes dans un processus de repositionnement. Il faut voir où cela nous mène. »
À Saint-Nexans, Claude Paviot, adhérent de la cave coopérative Alliance Aquitaine, qui exploite 30 ha, a un autre scénario en tête. Il souhaite s'agrandir en plantant de nouvelles vignes. Mais, attention, il ne se lancera pas dans de l'AOC, ce qui l'intéresse, c'est du VSIG. « Je ne veux plus faire d'AOC Bergerac. Le cours est trop faible. Je souhaite aller vers les VSIG car je ne serai pas limité au point de vue des rendements. Et c'est beaucoup plus rémunérateur », confie-t-il.
Une position qui ne sera certainement pas du goût de tout le monde. Paul-André Barriat, président de l'Interprofession des vins de Bergerac et de Duras, affirme : « Nous sommes d'accord avec Bordeaux. Nous cherchons à préserver l'étanchéité entre les divers segments. Nous ne voulons pas de plantations de VSIG dans les zones AOC. » Quant au pourcentage de plantations nouvelles, il estime qu'il devrait se situer entre 0,3 % et 0,5 % pour les AOC et les IGP.
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Patrick Barde, Château Le Raz, 60 ha, St-Méard-de-Gurçon (Dordogne)
« Ce qui m'interroge, c'est la façon dont va être géré ce taux de croissance annuel de plantation de 1 % pour le vignoble français. Si les demandes sont supérieures à ce pourcentage, comment se feront les arbitrages ? Sur quels critères ? Les petites régions viticoles auront-elles du poids ? Entre un propriétaire de Champagne et celui d'une AOC bien moins connue, la priorité sera-t-elle donnée au développement d'une petite région ou au renforcement de la puissance économique d'une région viticole plus importante ? »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
David Fourtout, Château Les Tours des Verdots, 45 ha, Conne-de-Labarde (Dordogne)
« Pour planter de nouvelles vignes, il faut avoir un marché. Quand je me suis installé il y a vingt ans, nous avions une dizaine d'hectares contre quarante-cinq actuellement. Nous écoulons l'essentiel de notre production en bouteilles. Les clients sont là. Aujourd'hui, plutôt que d'envisager de nouvelles plantations, j'arrache de vieilles vignes que je replante. Il n'y a pas qu'une seule vérité. À chacun sa stratégie. Pour certains, c'est de valoriser en bouteilles avec moins de rendement. Pour d'autres, c'est de vendre moins cher, ce qui nécessite des rendements plus élevés. »
Le Point de vue de
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?
Christophe Geneste, Château Les Marnières, 24 ha, Saint-Nexans (Dordogne)
« Ma stratégie, ce n'est pas de m'agrandir en plantant de nouvelles vignes, mais de conserver mes marchés et d'augmenter le prix de vente de mes bouteilles (soit deux tiers de ma production) pour dégager un revenu suffisant. Il y a un an et demi, j'ai vendu huit hectares car je n'arrivais pas à valoriser le vrac. Compte tenu du prix du tonneau, je perdais 3 000 €/ha sur ces parcelles. Je ne pouvais pas continuer. Mais chacun a sa stratégie : le vracqueur peut avoir besoin d'un nombre d'hectares croissant, ne serait-ce que pour amortir le matériel qui est particulièrement coûteux. »