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DOSSIER - Vins de France : et pourtant ils en vivent !

Vins de France Et pourtant ils en vivent !

PAR MICHÈLE TRÉVOUXX - La vigne - n°290 - octobre 2016 - page 18

Faut-il créer un vignoble dédié aux vins d'entrée de gamme ? Le débat divise la filière. Pour y voir clair, nous avons rencontré des producteurs qui misent sur ce segment. Ils nous expliquent à quelles conditions ils s'en sortent.
LE VSIG, une niche qui intéresse certains viticulteurs, comme ici Michel Palacin, implanté dans le Gers, qui dédie 10 % de sa production au vin de France. © J.-B. LAFFITTE

LE VSIG, une niche qui intéresse certains viticulteurs, comme ici Michel Palacin, implanté dans le Gers, qui dédie 10 % de sa production au vin de France. © J.-B. LAFFITTE

C'est un sujet qui crispe et qui divise. Fin août, Stéphane Le Foll a pu s'en rendre compte. « Le déficit de vins sans indication géographique en France doit nous conduire à nous interroger sur la stratégie à suivre par la filière sur ce segment », a indiqué le ministre de l'Agriculture après les actes de vandalisme commis dans le Midi contre les importations de vins espagnols. Cette simple déclaration a suscité de vives réactions sur notre site Vitisphere. De nombreux adversaires et de rares partisans des VSIG se sont exprimés, illustrant bien le clivage et les rapports de force sur ce sujet au sein de notre filière.

« Se dire qu'il manque en France un vignoble pour concurrencer l'Espagne, revient à imaginer relancer la production de T-shirts pour rivaliser avec l'Asie du Sud-Est », a objecté Bernard Farges. Le président de la Cnaoc a également taclé le négoce. Il lui a reproché d'inciter à la création d'un vignoble de VSIG sans pour autant proposer de contrats aux producteurs pour leur assurer un débouché.

Un niveau record d'importations de VSIG

En 2016, les importations de vins étrangers en France devraient atteindre le chiffre record de 8 Mhl, dont 5,9 Mhl de VSIG. En grande distribution, le succès de ces vins est fulgurant : en douze mois arrêtés à fin avril 2016, les ventes de VSIG espagnols (481 000 hl) ont bondi de 39 %, celles des vins de l'UE (752 000 hl) s'accroissent de 23 %, alors que les vins de France (557 000 hl) ont chuté de 31 %.

En Languedoc, ces données laissent la production de marbre. Il n'est pas question de relancer une viticulture à haut rendement. Au contraire, cette perspective donne des boutons à bon nombre de professionnels. « Comment pourrions-nous être compétitifs ? Ces dernières années, nous avons péniblement atteint 65 hl/ha de rendement moyen au sein de notre cave. L'an dernier, nous sommes montés à 70 hl/ha. Nous étions contents. Avec le matériel végétal qu'on nous propose et la sécheresse qui s'intensifie, on ne peut pas passer à la vitesse supérieure. D'autant plus qu'on plante vigne sur vigne depuis des années. Les sols ne se renouvellent pas. On n'arrive plus à produire », témoigne Martial Bories, président des Vignerons de l'Occitanie, groupement coopératif basé à Servian (Hérault), qui vinifie 300 000 hl par an. Faute de trouver son bonheur chez les pépiniéristes, cette année, la coopérative a planté une vigne mère d'aramon. Elle compte y prélever des greffons pour relancer ce cépage productif et le vinifier en rosé.

Les sirènes recommencent à chanter

La crainte d'une chute des cours des IGP et AOP reste dans les esprits. « Les sirènes recommencent à chanter. Le commerce souhaite que nous plantions des vignobles produisant 200 hl/ha. Mais ces vins-là, il n'en veut pas car c'est de l'eau ! Le négoce veut juste tirer les prix vers le bas. Ne retombons pas dans ce piège », peste Gérard Bancillon, président de la cave de Bourdic et administrateur de l'ODG Pays d'Oc.

Un appel bien suivi. Dans tout le Languedoc-Roussillon, seulement 18 viticulteurs ont demandé 10 ha de plantations nouvelles en VSIG cette année alors que la région avait décidé de ne pas fixer de contingent sur ce segment. Pas de quoi relancer une filière !

Dans ce contexte, les rares viticulteurs « productivistes » ne s'en vantent pas, loin s'en faut. Beaucoup se font discrets et sont peu enclins à témoigner. Les uns craignent d'être montrés du doigt, les autres ne souhaitent sans doute pas que leurs confrères s'intéressent à une niche rentable depuis que les cours ont grimpé au-dessus de 60 €/hl le vin rouge.

« Il faut être présent sur tous les segments »

En dehors du Languedoc, quelques voix commencent à s'élever au sein de la production contre l'orientation tout AOP et IGP du vignoble français. Dans le Gers, le secteur coopératif s'est résolument engagé dans la structuration d'une filière Vin de France. En Dordogne, Alliance Aquitaine projette de planter un vignoble sans IG. « On a voulu faire de la viticulture une culture d'élite en se focalisant sur le segment des milieux et hauts de gamme. C'est une bêtise, il faut être présent sur tous les segments. Pour produire des vins de qualité, il faut aussi faire des entrées de gamme », assène Éric Chadourne, le président de l'Union vinicole Bergerac-Le Fleix, une des coopératives membres d'Alliance Aquitaine.

Ce dernier rejoint le négoce, qui depuis plusieurs années, plaide pour la création d'un vignoble spécifiquement dédié aux entrées de gamme. « Aujourd'hui, les vins de France sont produits par défaut. Ils proviennent essentiellement des replis d'AOP et d'IGP. On ne peut pas être compétitif en produisant des entrées de gamme à partir de vignes dédiées aux indications géographiques dont les coûts de production sont élevés. Et on ne peut rien construire dans la durée avec des volumes aussi fluctuants d'une année sur l'autre », soutient Bruno Kessler, négociant et vice-président de l'Anivin, qui ose lancer l'idée d'une interdiction des replis.

Son confrère Michel Chapoutier déplore, lui aussi, la pauvreté de la production française en vins d'entrée de gamme. Il suggère aux jeunes viticulteurs de produire des vins de France sur une partie de leur vignoble. « Cela leur assurerait de la trésorerie pour financer leurs hauts de gamme », argumente-t-il.

L'objectif est de récupérer 2 millions d'hl

La France est-elle en mesure de regagner des parts de marché sur ces entrées de gamme ? L'Anivin en est persuadé. « L'objectif n'est pas de reconquérir les 5 Mhl fournis désormais par les Espagnols, mais d'en récupérer 2 Mhl en visant le haut de gamme de ce segment. On peut y arriver avec la création d'un vignoble de 20 000 ha, capable d'atteindre un rendement de 200 hl/ha », affirme Bruno Kessler.

L'Anivin a fait ses calculs. Elle évalue à 6 860 €/ha le coût de production sur un vignoble conduit en taille mécanique et en fertirrigation. Avec un rendement de 150 hl/ha et des vins valorisés à 50 €/hl, ce modèle assurerait un chiffre d'affaires de 7 500 €/ha. Pour une exploitation de 30 ha, la marge minimale serait de 19 170 €, après rémunération du viticulteur de 23 460 €/an inclus dans les coûts de production.

Sur le papier, cela semble convaincant. Reste à voir si, sur le terrain, les producteurs récoltent bien 150 hl/ha tous les ans et s'ils abaissent les coûts au seuil prévu dans ces calculs. Parmi les témoignages que nous avons pu recueillir, rares sont ceux qui atteignent les 150 hl/ha, la moyenne se situant entre 120 et 130 hl/ha. Mais il est vrai qu'aucun n'a recours à la fertirrigation. Seuls les viticulteurs charentais semblent assurés d'atteindre, voire de dépasser ce rendement.

Quoi qu'il en soit, le problème est bel et bien posé. En France, la consommation de VSIG toutes origines confondues s'élève à 5,4 Mhl, dont seulement 1,7 Mhl en vin de France. La production peut-elle se désintéresser d'un segment qui représente près du tiers de son marché domestique ? Poser la question, c'est déjà y répondre.

Qui consomme du vin de France ?

Mine de rien, les vins à moins de 2 euros la bouteille remportent un certain succès puisqu'ils représentent près d'un tiers des vins consommés en France. L'étude des panels de consommation montre qu'ils sont achetés par une clientèle plutôt âgée : 44 % des consommateurs ont entre 50 et 64 ans, 37 % ont plus de 64 ans. Sans surprise, on observe également que ce sont les catégories socioprofessionnelles les plus modestes qui achètent ces vins premiers prix : 48 % des consommateurs ont des revenus moyens inférieurs et 16 % se situent dans la tranche des revenus modestes. Seuls 9 % des amateurs des vins d'entrée de gamme se trouvent dans la tranche des revenus aisés.

Quatre départements producteurs

Le Languedoc est la plus grosse région de production de vins de France. En 2015, les trois départements (Aude, Hérault et Gard) en ont revendiqué 1,1 million d'hectolitres dont 750 000 hl de rouge, 225 000 hl de blanc et 140 000 hl de rosé. Ces revendications sont en net recul par rapport à 2013, date de la dernière grosse récolte qui avait conduit les producteurs languedociens à revendiquer 400 000 hl de plus. Le Gers est, lui, le premier producteur de vins de France blancs avec des volumes en hausse constante au cours des trois dernières années : 358 000 hl revendiqués en 2015, soit 35 % des volumes nationaux, contre 125 000 hl en 2013. Ces chiffres ne tiennent pas compte des volumes d'AOP et d'IGP qui sont repliés et viennent gonfler les disponibilités du marché.

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