BÉATRICE ET SÉBASTIEN FILLON, ici avec leur beau-frère Nicolas Mollard, ont fait un bon choix : l'appellation Terrasses du Larzac a gagné en notoriété depuis leur installation. PHOTOS : P. PARROT
DANS CETTE PARCELLE QU'IL VIENT DE COMPLANTER, Sébastien protège les ceps avec des piquets avant de passer l'intercep.
Installés depuis 2006 à Saint-Jean-de-la-Blaquière, dans l'Hérault, Sébastien et Béatrice Fillon sont devenus des militants de la nouvelle appellation Terrasses du Larzac. Dans une autre vie, ils étaient tous les deux salariés dans la région lyonnaise. En 2000, Sébastien quitte son poste d'informaticien et, en 2003, il décide de devenir vigneron. Il se forme dans le Beaujolais, puis met le cap sur le Languedoc. Avec Béatrice, ils visitent bon nombre d'exploitations avant d'être séduits par l'arrière-pays héraultais.
« J'avais envie de jouer collectif dans une appellation dynamique. La Safer m'a orienté vers les Terrasses du Larzac. Le foncier était encore accessible et j'aimais le style des vins, c'était un bon point », note Sébastien. C'est là qu'en 2006, il trouve Le Clos du Serres, un domaine de 15 ha à reprendre. Il se jette à l'eau et travaille un an avec le vigneron qui va lui passer le flambeau. Celui-ci lui transmet son expérience du terroir et lui présente ses clients. L'année suivante, Béatrice quitte son poste dans la distribution et le rejoint avec leurs deux filles.
« Nous avons fait le bon choix en venant ici », affirment aujourd'hui Sébastien et Béatrice. En huit ans, cette petite région, au pied du plateau du Larzac, a gagné en notoriété. En 2014, elle devient une appellation d'origine contrôlée à part entière, indépendante de l'appellation Languedoc. « Nous n'espérions pas une progression aussi rapide. Quand nous avons commencé à contacter des cavistes en 2007, ils ne s'intéressaient pas aux Terrasses du Larzac. Aujourd'hui, ils sont à l'écoute », note Béatrice.
Changer de vie est un vrai défi que les deux vignerons sont en passe de réussir. Lors de leur installation pourtant, tout n'était pas gagné. « Nous ne pouvions pas financer la reprise uniquement avec des emprunts. Nous avons dû puiser dans nos économies pour acheter la cave, le matériel et le stock de vins. Et pour les vignes, nous avons créé un groupement foncier agricole », détaille Sébastien.
Ils sollicitent d'abord la famille et les amis. Puis, par le bouche-à-oreille, le cercle s'élargit jusqu'à des amoureux du vin, prêts à soutenir un projet qui les fait rêver. À l'arrivée, 90 personnes s'engagent pour des sommes allant de 500 à 5 000 €. Le GFA rémunère leur capital 4 % par an grâce au fermage que lui verse le domaine. « Avec ce montage, la banque a accepté plus facilement le dossier de prêt. Et nous avons démarré avec des annuités plus légères, ce qui nous a aidés », ajoute Sébastien.
Dès 2007, Sébastien et Béatrice découvrent les aléas du climat. Le rendement chute à 25 hl/ha, alors qu'ils avaient tablé sur 35 hl. « Nous avons compris que pour nous en sortir avec de petits rendements, il était essentiel de bien valoriser les vins », relève Sébastien. Mais pour obtenir des prix intéressants, ils doivent aller chercher ailleurs. Dans l'Hérault, les places sont déjà prises, et dans le reste de la France, ce n'est pas plus facile. « Nous avons commencé par développer les ventes à l'exportation. C'est là qu'il y avait le moins de préjugés vis-à-vis du Languedoc », souligne Béatrice.
Il faut tout apprendre en même temps. Heureusement, ils bénéficient de coups de main et d'informations données par les vignerons des alentours. « Ici, il y a une solidarité, une envie de partager », constate Sébastien, qui se sent bien intégré. L'un d'eux lui glisse le nom d'un importateur qu'il ne pouvait pas servir, étant déjà engagé avec un autre. « J'ai aussi trouvé un négociant grâce à un voisin qui m'a informé sur les prix qu'il pratiquait. »
Au vignoble, Sébastien apprend à tirer le meilleur parti de chaque parcelle. « Nous avons une mosaïque de sols, principalement des schistes, mais aussi des grès, des ruffes et des galets roulés. » Il arrache un carignan qui mûrissait mal près de la rivière, de même qu'une syrah et un grenache peu productifs. À la place, il plante 70 ares de vermentino et de roussanne, 20 ares de carignan blanc, 50 ares de mourvèdre et 50 ares d'oeillade, un ancien cépage qu'il fait multiplier par son pépiniériste.
Passage au bio. En 2011, ses pratiques étant déjà proches du bio, il décide de convertir le domaine. « J'ai juste dû abandonner le désherbage chimique et m'équiper d'un interceps », note-t-il. Il vinifie chaque parcelle séparément pour constituer une palette de vins à assembler. Il produit en moyenne 50 hl de rosé, 50 hl de blanc et 200 hl de rouge en appellation Languedoc, ainsi que 150 à 200 hl de rouges en Terrasses du Larzac. Ces derniers sont élevés durant un an dans des cuves en béton de forme tronconique qui concilient inertie thermique et micro-oxygénation. Pour l'AOC Languedoc, la durée d'élevage n'est que de sept mois.
En 2011, les ventes ont déjà bien progressé. De 15 000 cols en 2007, elles passent à 40 000. En France, des cavistes ont fini par donner leur chance à Sébastien et Béatrice. À l'export, après la Suisse, le Luxembourg et la Belgique, ils trouvent des importateurs aux USA, en Grande-Bretagne et au Japon. Leur situation économique s'améliore, il devient possible de quitter la petite cave dans le village. Au milieu des vignes, ils construisent un nouveau chai et un hangar, ainsi que leur maison. « Nous avons investi 250 000 € sans avoir à faire appel au GFA. Au vu de nos résultats, le banquier nous a fait confiance », remarque Sébastien. Dans la foulée, ils s'associent avec leur beau-frère, Nicolas Mollard, qui devient salarié du négoce et agent commercial de la propriété. « Nous avons d'abord envisagé de reprendre d'autres vignes. Puis, nous avons décidé de créer à trois le négoce vinificateur Mollard-Fillon », raconte Béatrice. À Vinisud, Béatrice rencontre un représentant du monopole d'État suédois (lire page 61) qui cherche 15 000 cols d'une même cuvée en Terrasses du Larzac. « Notre domaine était trop petit. Mais avec un négoce vinificateur, cela devenait possible », explique-t-elle.
En 2014, ils se fixent comme objectif d'améliorer leurs ventes en France. À Vinisud, ils prennent de nouveaux contacts. Nicolas vend les vins du négoce et de la propriété. « Il y a une bonne synergie entre les deux structures. Il nous a trouvé un agent à Reims, par exemple, qui nous a amené huit cavistes », explique Béatrice. Leur clientèle se développe aussi dans la région parisienne, la Bretagne et la Savoie, et enfin le Languedoc !
Pour se faire connaître, ils utilisent leurs réseaux. Ils intègrent les Outsiders, un groupe de vignerons installés dans le Languedoc et venant comme eux d'autres régions. Ensemble, ils organisent une soirée à La Panacée, un lieu culturel de Montpellier, juste avant l'édition 2015 du salon Millésime bio. Chacun y invite ses acheteurs. « C'est une bonne formule. Nous avons partagé les contacts et les frais. La soirée ne nous est revenue qu'à 150 € », détaille Béatrice.
Prospection à Londres. En mai prochain, ils se rendront à Londres pour une mini-exposition avec les Outsiders. Ils y seront accueillis par la Maison du Languedoc-Roussillon. Louise Hurren, l'attachée de presse du groupe, se chargera d'inviter des prescripteurs, sommeliers et restaurateurs. Sébastien et Béatrice profiteront de leur séjour à Londres pour prendre des rendez-vous avec des acheteurs potentiels identifiés par Nicolas. « Nous leur avons déjà envoyé des échantillons. Mais il faut se rencontrer plusieurs fois avant de concrétiser un accord commercial », constate-t-elle. Le domaine pratique aussi des échanges avec des vignerons d'autres régions. Durant Vinexpo 2014, grâce à des amis ardéchois, Le Clos du Serres a été invité à une soirée off. « J'y ai rencontré un agent avec qui nous allons travailler dans cette région », précise-t-elle. En retour, elle recommande ses amis à son importateur des USA qui cherche des contacts dans la vallée du Rhône. « Plus on s'ouvre et plus on échange, mieux ça marche », constate Béatrice.
Avec le développement des ventes en France, des clients commencent à venir au domaine. « Nous improvisons alors une dégustation au pied des cuves ou à la maison. Mais ce n'est pas pratique. Nous allons construire un bureau et un caveau. » Après cet investissement de 100 000 €, prévu en 2015, leur outil de travail devrait être complément opérationnel. Les ventes en bouteille ont progressé de 5 000 cols en 2014. L'objectif est de poursuivre pour améliorer la trésorerie qui reste tendue. « Depuis 2007, nous avons enchaîné les investissements. Après cette dernière tranche, nous devrions souffler un peu », espèrent Sébastien et Béatrice.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Grâce au GFA, qui possède les vignes, ils se sont installés sans trop s'endetter. Ce cercle de proches, devenus des ambassadeurs de leurs vins, les a soutenus au démarrage.
La progression de l'appellation Terrasses du Larzac les a aidés à développer leurs ventes. Ils ont à coeur de la faire connaître.
En créant le négoce, ils ont amélioré leur organisation. Nicolas démarche pour le négoce et le domaine en même temps, ce qui réduit les coûts. Sébastien s'occupe des vignes et vinifie. Béatrice prend en charge le marketing, la communication, l'administratif et les expéditions. Chacun se concentre ainsi sur les secteurs où il est le plus compétent.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI LES A DÉÇUS
Le manque de curiosité des cavistes les a surpris. Puis ils ont compris qu'ils étaient très sollicités. Avant de les intéresser, il faut être sélectionné par les guides et faire parler de soi dans les médias.
Les heures nécessaires à la gestion des papiers réduisent le temps et l'énergie disponibles pour trouver des débouchés.
LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE Un négoce pour avoir une cuvée avec du volume
- Avec Nicolas Mollard, leur beau-frère, Sébastien et Béatrice Fillon ont créé le négoce vinificateur Mollard-Fillon. « Notre objectif est d'avoir plus de volume qu'au domaine et de mettre en avant l'appellation Terrasses du Larzac en créant une seule belle cuvée », précise Béatrice. Sébastien se charge des relations avec les vignerons qui vendent leurs raisins au négoce. Il sélectionne et suit les parcelles. C'est l'équipe de vendangeurs du domaine qui récolte les raisins qui sont ensuite vinifiés au domaine et dans une autre cave. Après assemblage, élevage et embouteillage, les vins sont stockés dans les entrepôts d'Épigone, à Béziers, d'où ils sont expédiés par ce logisticien.
- Le prix de vente moyen aux professionnels se situe entre 5 et 6 €/col HT. Les volumes ont progressé rapidement, passant de 1 000 cols en 2012 à 20 000 cols en 2014. La cuvée du négoce a été sélectionnée par la maison Richard, qui approvisionne les brasseries parisiennes. Elle est aussi présente à la table de l'Élysée, aux côtés de deux vins du domaine sélectionnés en 2014.