Les demandes individuelles d'autorisations de plantation nouvelles pour 2016 s'élèvent à 7 900 hectares pour la France entière, soit plus de 1 % de la surface totale du vignoble et presque le triple du rythme qui prévalait jusqu'alors. La plupart des demandes ont été faites en prévision de la fin de la prime à la restructuration pour les plantations nouvelles, dès l'an prochain. Mais beaucoup de viticulteurs ont des projets nouveaux. Le conseil des vins de FranceAgriMer doit se prononcer sur ces demandes le 17 juin. Le point dans trois régions où elles sont fortes.
Cognac : Un engouement qui passe mal
Carton plein pour le lancement de la nouvelle filière de production de vins de base pour les mousseux en Charentes. Les viticulteurs intéressés pour planter de telles vignes dès l'an prochain avaient jusqu'au 30 avril pour déposer leur dossier auprès de FranceAgriMer. En mai, l'établissement a fait ses comptes : un peu plus de 1 000 ha enregistrés pour 270 demandes. Un engouement qui n'est pas du goût de tous.
Dans un communiqué du 21 mai, l'Union générale des viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC) s'insurge contre des prix d'achats « inacceptables » constatés dans les contrats qui accompagnent les demandes. Des prix « de 20 à 30 €/hl », selon l'UGVC qui s'interroge : « A-t-on fait miroiter aux viticulteurs d'affecter ces hectares au cognac dans quelques années ou, pire, de les utiliser comme vignes éponges si la situation économique du cognac se tendait ? »
De fait, pour obtenir des droits de plantations pour les vins de base, les demandeurs devaient présenter un contrat signé avec un négociant s'engageant à acheter au minimum leurs cinq premières récoltes, avec des indications sur le prix d'achat. Passé ce délai de cinq ans, rien n'empêche le viticulteur de basculer ces vignes en cognac.
Xavier Latreuille, président du syndicat des négociants du bassin charentais, veut calmer le jeu. Il concède que « un risque existe. Il peut y avoir un petit effet d'aubaine. » Mais il prévient les éventuels opportunistes qu'ils seront sous surveillance : « Le CIMVC, comité interprofessionnel, aura un regard très attentif sur les viticulteurs qui détourneraient l'esprit de ces plantations. Nous n'avons pas bâti ces contrats novateurs pour rien », indique-t-il. Le négociant concède aussi que les prix sont bas mais qu'il faut tenir compte du fait que les rendements seront très élevés.
Loin de ces batailles feutrées, David Baudry, producteur de cognac qui a déposé un dossier pour planter 15 ha de vignoble sans IG, reste sur ses positions : « Nous allons alimenter une nouvelle filière, qui nous permettra de nous diversifier et d'optimiser nos exploitations », assure-t-il.
Lui accordera-t-on ses 15 ha ? Le conseil des vins de France-AgriMer doit trancher mi-juin, sachant qu'en février le conseil de bassin Cognac avait demandé 400 ha pour cette nouvelle filière.
Sud-Ouest : Tout le monde est candidat
Les viticulteurs du bassin Sud-Ouest demandent près de 1 600 ha d'autorisations de plantations nouvelles pour 2016. Le conseil de bassin viticole du Sud-Ouest, qui s'est réuni le 21 mai, a donné un avis favorable unanime à leurs demandes.
Toutes les IGP du bassin (Côtes-de-Gascogne, Comté Tolosan, Tarn, Ariège...) sont candidates à la croissance. Les viticulteurs demandent 1 200 ha pour ces productions. Ils veulent aussi 250 ha pour les sans-IG. « Cela m'a beaucoup surpris. J'avais sous-évalué le phénomène », reconnaît Michel Defrancès, coprésident de l'interprofession des vins du Sud-Ouest. Une quarantaine d'adhérents de la coopérative des Vignerons de Gerland, dans le Gers, se sont positionnés pour 200 ha, pour moitié en IGP Côtes-de-Gascogne et pour moitié en vins sans IG, pour lesquels 100 ha de colombard seront plantés. « Ces plantations se feront de 2016 à 2019, précise Michel Desangles, le président de la coopérative. Elles vont nous permettre de renouveler nos vignes malades. »
Enfin, les AOP, s'en tiendront à 115 ha de plantations nouvelles, ce qui correspond au rythme habituel. La surface totale en vigne du bassin étant de 41 155 ha, les 1 600 ha demandés correspondent à bien plus de 1 % du vignoble, le taux de croissance qui sera autorisé à partir de l'an prochain. Mais les vignes ne seront pas toutes plantées en 2016. Beaucoup de producteurs veulent profiter des derniers instants de l'aide à la restructuration pour les plantations nouvelles.
Languedoc-Roussillon : Des céréaliers dans la vigne
La hausse des cours des vins redonne de l'intérêt à la viticulture. Dans l'Aude, de jeunes céréaliers veulent planter. « Le prix du foncier flambe, il n'est plus possible de s'agrandir. Pour améliorer la valeur ajoutée, je me suis déjà diversifié dans les semences. Je compte poursuivre en plantant cinq hectares de merlot et de colombard sur les terres les plus légères », explique Florent Vialette, qui cultive 175 ha de céréales avec son père, à Castelnaudary (Aude).
En déposant son dossier de demande de plantation, il a rencontré d'autres jeunes qui avaient la même idée. « À cinq, nous allons constituer un îlot de 20 ha, et nous envisageons d'acheter du matériel en commun », précise Florent Vialette. Il prévoit de conduire ses vignes en taille rase avec irrigation au goutte-à-goutte pour produire des vins IGP au sein d'une coopérative. Il se prépare à acheter des droits, autour de 300 €/ha, et compte bien planter dès 2016 si sa demande est acceptée.
Installé lui aussi à Castelnaudary, Benjamin Batigne mène un projet similaire. « Pour m'agrandir, j'ai acheté à plus de 6 000 €/ha des parcelles caillouteuses. En y cultivant des céréales, je couvre juste les frais. En y plantant de la vigne, je pourrais dégager une marge », détaille-t-il. Avec son frère Clément, installé comme lui sur une quarantaine d'hectares, ils veulent planter cinq hectares de merlot et de marselan en IGP. Ils ont déjà travaillé trois ans chez un vigneron avant de s'installer, et sont attirés par ce métier. « La vigne est une culture pérenne. On voit l'année suivante le résultat de ce qu'on a fait l'année d'avant, c'est intéressant », note Benjamin.
Les deux frères sont déjà équipés d'un tracteur et d'outils de travail du sol étroits pour les asperges. « Il nous faudra juste un pulvérisateur. Nous ferons appel à un entrepreneur pour les vendanges et nous porterons nos raisins dans une coopérative », précise Benjamin. Côté travail, il juge les deux cultures complémentaires. « L'hiver, les céréales nous laissent le temps de tailler la vigne. Et en juin, nous devrions arriver à faire les travaux en vert avant les moissons. »
Au total, les viticulteurs du Languedoc-Roussillon ont demandé 2 500 ha d'autorisations de plantation en IGP et 500 ha en AOP. Demande approuvée à l'unanimité par le conseil de bassin. Ces 3 000 ha représentent 1,3 % du vignoble en production.
En 2014, les demandes ne portaient que sur 1 060 ha. « L'embellie des cours a redonné confiance aux vignerons. Mais ils ont aussi voulu faire le plein de demandes pour les trois ans à venir avant le changement de réglementation qui ne permettra plus de bénéficier de la prime à la restructuration pour les plantations nouvelles », analyse Boris Calmette, président de Coop de France.