Qui l'eût cru ? Quatre ans après leur apparition dans les rayons des grandes surfaces, les boissons aromatisées à base de vin (BABV) sont devenues un segment de marché à part entière. « Aujourd'hui, c'est un univers structuré et pérenne. Il regroupe des marques nationales, des marques de distributeur (MDD) et des signatures d'opérateurs locaux », souligne Nelly Sancho, chef de groupe chez Castel, négociant qui intervient sur le créneau avec sa gamme Very.
En 2014, les ventes en GMS de rosés pamplemousse, blancs pêche et autres vins aux arômes de fruits ont atteint la bagatelle de 24,7 millions de litres, selon le paneliste Iri, soit 2,5 % des ventes de vins tranquilles sur ce même circuit. La valeur de ce marché s'est élevée à 87 millions d'euros, l'équivalent de 2,1 % des ventes de vins tranquilles. Et il progresse : + 11,4 % en volume et + 10 % en valeur par rapport à l'année précédente. Au total, près de 4 millions de foyers ont acheté ces boissons en 2014, soit 700 000 de plus qu'en 2013, selon Kantar. Ces acheteurs ont en moyenne entre 35 et 49 ans.
« Ces boissons surfent sur la mode des rosés et de la consommation des vins à l'apéritif, observe Stanislas Ronteix, directeur marketing de Belvédère, propriétaire de la marque Fruits & Wine. Leur goût fruité et leur faible degré d'alcool - aux alentours de 7-8° - séduisent les consommateurs. » Tout comme leur prix - 3,37 €/col en moyenne en hyper et supermarchés -, et les opérations de promotion régulièrement pratiquées dans les grandes surfaces. Un tiers des ventes de BABV en volume est, en effet, réalisé lors d'une promotion avec des offres proposant, par exemple, une troisième bouteille gratuite pour l'achat de deux bouteilles.
Le dynamisme du marché est également soutenu par l'imagination des fabricants qui ne cessent de lancer des nouveautés. Les producteurs proposent plus d'une dizaine de recettes différentes à ce jour. Castel a concocté ainsi quatre nouvelles recettes de Very cette année, dont un blanc pamplemousse et un rouge cassis. En face, Belvédère lance quatre références de Fruits & Wine labellisées AB. Quant au négociant Yvon Mau, il vient tout juste de se jeter dans la bataille avec sa gamme Fruity Touch, des produits aux parfums assez originaux : rosé fraise des bois, blanc pêche de vigne et melon !
« Ces extensions de gamme contribuent à la croissance du marché, observe Viviane Cornieux, responsable marketing d'Arômes et Vin. On peut encore inventer de nouvelles recettes, mais dans une moindre mesure. Ces dernières risqueraient de cannibaliser les offres déjà existantes. »
Du côté des acteurs, Fruits & Wine de Belvédère (Marie Brizard, Éclat du Rhône, Moncigale...) détient le leadership avec 32,6 % de parts de marché en volume. Castel arrive en seconde place avec Very, qui s'octroie 22 % des parts de marché. Arôme et Vins, de la Compagnie Vinicole de Bourgogne, se positionne en challenger avec un peu moins de 8 % de parts de marché.
Récemment, les enseignes de la grande distribution sont aussi entrées dans la compétition. Toutes ont lancé leurs propres produits, excepté Auchan. Résultat, les marques de distributeur (MDD) pèsent 20 % des ventes en volume, contre 18 % en 2013. Et elles obtiennent de jolis scores de progression : + 23 %.
À chaque marque, sa recette. Pour Castel, le goût du vin doit ressortir dans Very. Avec Arômes et Vin, la Compagnie vinicole de Bourgogne veut privilégier l'expression des fruits. Tous deux utilisent des arômes naturels et des sirops de fruit qu'ils ajoutent à du vin. Quant à Belvédère, il fait appel à des jus et/ou des infusions de fruit suivant les parfums.
Au début, les opérateurs se sont approvisionnés en vin en France, principalement dans le Languedoc. Les fluctuations de récolte de ces dernières années et la hausse des cours des vins sans IG en vrac les ont conduits à se tourner vers l'Espagne et l'Afrique du Sud. « Notre sourcing varie en fonction de la quantité et de la qualité des récoltes, explique Stanislas Ronteix, dont la marque Fruits & Wine repose sur des vins d'origine française et ibérique. Nous avons défini des cahiers des charges très précis auxquels les vins doivent correspondre. »
Castel, de son côté, pratique un mélange entre les deux hémisphères Nord et Sud, pour conserver « une stabilité dans la couleur et de la fraîcheur dans les arômes. »
À quel prix les négociants achètent-ils ces vins ? Ils sont peu diserts sur le sujet. Les vins de France rouges et rosés ont atteint 76 €/hl à la mi-campagne 2014-2015 d'après FranceAgriMer. Selon nos informations, les rosés espagnols et sud-africains seraient 40 % moins chers environ.
Quel avenir pour ce marché ? Les principaux opérateurs sont optimistes. Selon eux, la demande ne devrait pas fléchir. « Il existe encore des poches de croissance pour les BABV, souligne Nelly Sancho. Il y a encore des cibles de consommateurs à conquérir : les couples d'âge moyen et les seniors. » Le concept commence, en outre, à s'exporter. « Nous obtenons des bons scores en Belgique et au Canada », se félicite Viviane Cornieux. Quant à l'Asie, la consommation s'y développe avec des parfums tels que le litchi et le pamplemousse.
CHRISTIAN VIGNE, PRÉSIDENT DES VIGNERONS DE LA PORTE DES CÉVENNES, 40 000 HL/AN. « Nous attirons un public différent »
« Il y a quatre ans, nous avons lancé un rosé pamplemousse. L'année suivante, un blanc pêche, puis un blanc châtaigne et un blanc passion. Désormais, les ventes sont stables, avec 25 000 cols au cours des neuf derniers mois dont la moitié de rosé pamplemousse, suivi par le blanc châtaigne qui fait 7 000 cols. Les touristes l'apprécient car il a une connotation « produit du terroir ». Nous commercialisons ces vins aromatisés au caveau au prix unique de 3,60 euros. Nous les élaborons avec des vins de notre cave auxquels nous ajoutons du sirop. Au départ, nos adhérents n'étaient pas emballés. Mais ces vins aromatisés attirent un public différent de l'amateur de vin. Pour dynamiser nos ventes, il nous faudrait développer une nouvelle recette chaque année. Or, nous sommes une petite équipe, et le temps manque pour nous y consacrer. »