Retour

imprimer l'article Imprimer

GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Le foie gras ne peut pas profiter du champagne

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°278 - septembre 2015 - page 68

La justice renforce la protection de l'appellation Champagne en estimant qu'un produit cuisiné avec ce prestigieux effervescent ne peut pas utiliser son nom dans sa dénomination commerciale, ni sur ses publicités ou emballages.

S'il est une appellation qui préserve sa notoriété, c'est bien la Champagne. Y faire allusion, c'est prendre le risque de froisser ses sourcilleux producteurs. Une société commercialisant des produits gastronomiques en a récemment fait l'amère expérience.

Tout est parti de divers produits cuisinés « au champagne ». La société AuBonPâté proposait en effet à la vente de la « pintade au champagne », de la « gigolette d'oie au champagne » et même du « foie gras de canard aux deux poivres en gelée au champagne ». L'emballage de ce dernier faisait même apparaître une flûte de champagne trônant à côté de tranches de foie gras.

C'en était trop pour le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC). Celui-ci a porté l'affaire devant les tribunaux pour détournement de notoriété sur la base de l'article L.643-1 du code rural. L'article invoqué précise en effet que « le nom qui constitue l'appellation d'origine ne peut être employé pour aucun établissement et aucun autre produit ou service, lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d'affaiblir la notoriété de l'appellation ».

Le juge d'instance ayant donné raison au CIVC et admis le détournement de notoriété, AuBonPâté a fait appel. Et là encore, dans un arrêt du 15 mars 2013, la cour a constaté que son utilisation du mot « champagne » pour vendre ses produits provoquait un risque de détournement et d'affaiblissement de notoriété. Elle a donc condamné le charcutier à des dommages et intérêts et prononcé des mesures d'interdiction et de destruction des produits. Mais celui-ci est allé en cassation. Il s'estimait dans son bon droit quand il a accolé à son foie gras le mot « champagne ». Il soutenait qu'il s'agissait d'une recette traditionnelle, que ses préparations culinaires contenaient bien le vin en question, ce que personne n'a contesté. Surtout, il considérait que sa communication relevait de l'information au consommateur. Mal lui en a pris.

Le juge suprême a estimé que la cour d'appel avait appliqué la loi. Celle-ci a bien expliqué pourquoi elle a vu dans les emballages et publicités du charcutier un moyen de « bénéficier de la valeur économique et de l'attractivité de l'appellation d'origine Champagne ». Les juges ont souligné que les préparations en question ne contenaient que 2 % de champagne. « Dès lors, le goût du vin de Champagne serait faiblement perçu par le consommateur et un autre vin de même acidité aurait pu produire les mêmes effets », notent-ils. Autre preuve de l'intention de bénéficier de la valeur du terme « champagne » : celui-ci apparaissait en lettres anglaises élégantes sur les emballages et publicités alors même que les autres ingrédients, comme les deux poivres, ne jouissaient pas d'un tel traitement de faveur graphique. Les juges en ont déduit qu'AuBonPâté avait bien l'intention de profiter du prestige de l'appellation Champagne pour mieux vendre ses produits. Informer le consommateur, oui. Mais faire apparaître en grand une appellation contrôlée dans la dénomination d'un produit différent, non. Une simple mention de la présence de champagne dans la liste des ingrédients suffit. D'autant plus quand, comme ici, il n'entrait qu'à 2 % dans la composition du foie gras. C'est ainsi que le « détournement de notoriété » est manifeste, au même titre que la banalisation de l'appellation, ce que les professionnels champenois ne pouvaient pas accepter ! La dénomination « Champagne » ne peut être détournée au profit d'un autre produit, fût-il aussi prestigieux que le foie gras.

En souhaitant aller au bout du litige, AuBonPâté a donné toutes les armes au CIVC. Ce dernier peut désormais faire opposition à l'utilisation du nom de son appellation pour la dénomination de produits qui utilisent pourtant du champagne dans leur composition. La prestigieuse appellation en sort donc encore renforcée.

Cour de cassation, 25 novembre 2014, n° 13 19870

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :