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« Il faut laisser le visiteur s'imprégner des lieux »

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 75

DANS LA BOUTIQUE DE LA CAVE DE RAUZAN (Gironde), le mot d'ordre de Monique Chaignolleau est clair : laisser le client s'approprier le lieu pour mieux l'amener à déguster.
MONIQUE CHAIGNOLLEAU, à la tête de la boutique de la Cave de Rauzan, en Gironde, prend soin des clients. P. ROY

MONIQUE CHAIGNOLLEAU, à la tête de la boutique de la Cave de Rauzan, en Gironde, prend soin des clients. P. ROY

SYLVIE ET GÉRARD dégustent un Grangeneuve, un bordeaux supérieur conseillé par Monique.  P. ROY

SYLVIE ET GÉRARD dégustent un Grangeneuve, un bordeaux supérieur conseillé par Monique. P. ROY

PIERRETTE, une habituée, se fie à l'expertise de Monique. P. ROY

PIERRETTE, une habituée, se fie à l'expertise de Monique. P. ROY

CHANTAL ET CHRISTIAN goûtent un Fort de Rauzan, mais jetteront leur dévolu sur un Château Haut-Cluzet. P. ROY

CHANTAL ET CHRISTIAN goûtent un Fort de Rauzan, mais jetteront leur dévolu sur un Château Haut-Cluzet. P. ROY

À peine entré dans la boutique, ils vous sautent aux yeux : des cartons rose bonbon ornés de fleurs, empilés sur des palettes de bois. Ici, pas question d'adopter les traditionnelles lumières tamisées qui servent d'écrin aux bouteilles. Qu'on se le dise, la boutique de la cave coopérative de Rauzan, en Gironde, surfe sur un esprit de modernité. Avec un parti pris affiché : vous faire acheter les produits de ses trois cents vignerons adhérents.

Il est 10 heures, ce samedi 17 octobre à Rauzan, dans l'Entre-deux-Mers. Un couple, la soixantaine sportive, entre dans le magasin, marque un temps d'arrêt devant le stock de cartons roses. Surpris ? En tout cas, ils s'attardent sur les prix affichés : l'entre-deux-mers, Comte de Rudel, millésime 2014 est à 25,20 € le carton de six bouteilles, soit 4,20 € l'unité. Même prix pour le bordeaux rouge Grangeneuve 2014. À gauche, près de la caisse, les certifications accrochées au mur (Agri Confiance, AB, Ecocert, Iso 9001) n'impressionnent pas le couple qui préfère prendre l'allée de droite. Là, le long du mur, toute la gamme des produits permanents de la cave est présentée : vingt-sept bouteilles, chacune dans une alvéole. Il y a des rouges, des blancs moelleux, des blancs secs, des rosés, sans oublier les crémants. Au-dessus, des photos de fleurs rappellent que la cave est engagée dans le développement durable. Au fond de la boutique, les crémants de Bordeaux attirent le couple. Il remarque la grande affiche pour Fort de Rauzan (43,50 € le carton). « Je ne savais pas qu'on produisait du crémant dans cette région », s'étonne la femme.

C'est le moment que choisit Monique Chaignolleau pour intervenir. L'air de rien, la responsable du magasin, petit bout de femme blonde au sourire chaleureux, veillait au grain. De simples mots de bienvenue à leur arrivée : « Je vous laisse faire un petit tour ? » Le couple, sourire timide, n'a pas répondu. Pas de quoi perturber Monique : « Il ne faut jamais brusquer un client et se diriger vers lui dès qu'il entre. Il faut le laisser s'approprier le lieu, s'en imprégner avec plaisir. À aucun moment, il ne doit se sentir contraint. »

Mais là, elle sent qu'il ne faut plus attendre. Elle se plante devant eux et leur présente Fort de Rauzan, un crémant brut, en les informant qu'il est cité au Guide Hachette 2015 puis enchaîne avec Fleur de Rauzan, un crémant rosé brut qui, lui, a obtenu une étoile dans le même guide. Le couple ne cille pas. Le contact est plutôt froid. Monique ne se formalise pas et propose de leur faire déguster l'un des crémants. Refus poli. Elle change alors de tactique : sont-ils de la région ? En vacances ? Le couple se dévoile quelque peu : originaires de la Sarthe, Christian et Chantal, retraités de la banque, passent quelques jours à Saint-Émilion, attirés par les Montgolfiades, une attraction qui propose un survol en ballon au-dessus de la cité médiévale. La conversation s'engage autour de la ville, inscrite au patrimoine de l'Unesco. On est loin des crémants. Le ton est badin. Monique repart alors à l'attaque : « Allez, je vous invite à découvrir le crémant ? » Les résistances de Chantal et Christian tombent. « D'accord pour déguster, mais juste une goutte. » « L'effet Monique », à la tête du magasin depuis 1989, vient d'opérer.

Direction le comptoir de dégustation. Monique s'empresse de leur indiquer qu'ils peuvent utiliser le crachoir. Au passage, elle donne une petite leçon à Pierre, le jeune stagiaire qui fait passer les bouteilles et essuie les verres. « On ne pose jamais un verre à l'envers sur un torchon », avertit-elle. Le couple a apprécié la remarque. Mais il n'est pas franchement séduit par le Fort de Rauzan, qui « n'a pas beaucoup de bulles ». Très vite, Monique propose les blancs de l'Entre-deux-Mers. Chantal fait la grimace. Ce n'est pas sa tasse de thé. « Faites-moi confiance, je vais vous faire goûter un entre-deux-mers qui allie le cépage muscadelle au sauvignon et au sémillon », encourage-t-elle. Et c'est parti pour la découverte du Comte de Rudel, millésime 2014. « Il a une odeur de bonbon, c'est très floral, très vif. Je ne connaissais pas l'entre-deux-mers. Vous le servez à l'apéritif, avec le poisson ? Je vais réviser mon jugement sur les blancs secs », reconnaît Chantal, séduite. L'ambiance est bonne. Monique pousse le bouchon plus loin et les embarque à la découverte d'un Château Haut-Cluzet, vendanges tardives, de 2009. Belle couleur or pour ce bordeaux supérieur liquoreux. À petites gorgées, Chantal savoure. Le verdict tombe : « Contrairement à d'autres liquoreux, il n'est pas trop sucré, ni trop gras. » Au final, le couple achète trois bouteilles de Haut-Cluzet et trois de Comte de Rudel. La responsable du magasin enregistre leurs coordonnées sur son ordinateur et leur offre un aérateur estampillé « Rauzan ». Elle en profite pour les inciter à se rendre à la Ronde des caves pour un tour des régions de France tout en restant à Rauzan ! « Il suffit de traverser le parking et d'aller dans notre chai. Huit autres caves coopératives sont là tout le week-end pour vous faire découvrir leurs vins. Vous pouvez même déjeuner sur place. L'ambiance est très sympathique », leur promet-elle. Le couple hésite. Pas sûr qu'ils franchissent les quelques mètres qui les séparent du chai où se tient la manifestation.

Pierrette, 79 ans, appuyée sur sa canne, est une habituée qui vit à Saint-Macaire, un village proche. Monique va la chouchouter et la guider dans ses choix, n'ignorant pas que la dame aime prendre son temps. Tout en lui parlant de la météo et des problèmes de santé, elle l'entraîne vers le coin des promotions où s'affiche l'offre spéciale à l'occasion de la Ronde des caves : cinq bouteilles achetées au prix de 37,25 €, la sixième étant offerte, pour le Château Haut-Mazières 2014, un bordeaux AOC élevé en fût de chêne. Ce n'est pas pour déplaire à Pierrette. « Et un vin plus charnu, vous avez ? » Sans hésiter, Monique lui conseille le Château L'Heyrisson 2013, un bordeaux « charnu », et pourquoi pas le Château Balan 2010, un bordeaux supérieur « corsé ».

« Je prends, confie Pierrette, j'ai confiance. J'entasse les vins dans ma cave et après je ne me souviens plus de ce que j'ai acheté. Ça ne fait rien. Quand mes enfants viennent, je leur offre toujours des bouteilles. » Pierrette opte également pour un blanc sec, Fleur 2014, un entre-deux mers. Au milieu du magasin, elle fait soudain une pause : « Tous ces vins, ils sont bien produits ici par la cave ? » « Bien sûr ! », la rassure Monique.

Au moment de payer, Pierrette s'offre un dernier petit plaisir : elle ajoute un « ice bag » et un tire-bouchon à ses achats. Le stagiaire charge les cartons dans le caddie et l'accompagne jusqu'à sa voiture. « Même si ce sont des habitués, la qualité d'écoute doit rester importante. Je ne suis pas adepte du rentre-dedans pour amener le client à l'acte d'achat. On peut faire dans la nuance et ça marche tout autant », confie Monique. Et d'ajouter : « Il faut savoir observer, doser ses conseils. Certains se débrouillent seuls. D'autres ont besoin de moi. Ici, c'est un peu comme un semi-libre-service. »

Au four et au moulin, Monique n'a pas le temps d'avoir des états d'âme. Il lui faut gérer les stocks de la boutique, s'assurer que les piles de cartons restent bien en place, tout en ne perdant pas de vue les clients.

Un couple s'arrête devant le coin des promotions. Monique les invite à déguster. Sans se faire prier, Sylvie, 50 ans, annonce la couleur : pas de blanc ni de rosé, mais du rouge vieilli en fût de chêne. Une gorgée de Château Villotte 2013, un vin facile à boire. Mais c'est le Grangeneuve, un bordeaux supérieur 2012, qui a sa préférence. « Tu sens la différence ? », demande-t-elle à son compagnon. Son choix est fait. Banco ! pour deux cartons de Grangeneuve. Pendant ce temps, son conjoint a repéré la zone dédiée aux cadeaux (verres, carafes à vin, mais aussi confitures, miels, huiles d'olive). Il craque pour trois petites bouteilles emboîtables les unes dans les autres d'huile d'olive, de vinaigre et de gros sel.

DES CONSEILS POUR ATTIRER ET ACCUEILLIR LES CLIENTS

- Abordez les clients avec tact. Lorsqu'ils refusent une invitation à goûter un vin, intéressez-vous à eux, posez-leur des questions avant de proposer de déguster un autre vin.

- Laissez aux nouveaux arrivants le temps de prendre possession des lieux.

- Soignez le décor de votre boutique car il symbolise les valeurs que vous portez. Rauzan n'a pas hésité à adopter le rose pour ses cartons afin de souligner sa modernité et sa créativité.

- Mettez en place des animations pour attirer des clients, tout en étant vigilant sur les coûts. Participant à la Ronde des caves - « Un tour de France des terroirs » -, Rauzan a réduit ses frais devant l'essoufflement de la manifestation, il y a trois ans.

- Ne négligez pas l'espace de dégustation. Essentiel pour chasser les préjugés face à des vins que le client ne connaît pas ou peu.

- Pensez à vos adhérents, si vous êtes une coopérative. À Rauzan, ils peuvent acheter 300 bouteilles par an à un tarif préférentiel : « Le coopérateur est loin du produit fini. Dans la boutique, il peut s'identifier à l'entreprise et s'approprier son travail », souligne Philippe Hébrard, directeur général de la coopérative.

La Ronde des caves, une opération profitable

Depuis 2004, la Ronde des caves réunit neuf coopératives de régions différentes : cave de Rauzan, Saumur, Montpeyroux, Cairanne, Marius Caïus, Cleebourg, Chénas, Genouilly et Champagne H. Blin. Chaque année, elles organisent autant de rendez-vous chez chacune d'elles pour présenter ensemble leurs vins à leurs clients. À Rauzan, la manifestation se tient le troisième week-end d'octobre. Le chiffre d'affaires généré par la boutique ces jours-là avoisine 8 400 €, en moyenne. Les clients dégustent et achètent directement sans frais de port. Les adresses récupérées lors de ces journées sont diffusées aux autres caves. Il y a trois ans, devant l'essoufflement de la manifestation, la cave de Rauzan a réagi. Pour réduire ses coûts lors des déplacements dans les huit autres caves (acheminement du vin par un transporteur et frais de voyage pour les viticulteurs qui tiennent le stand), elle a investi dans un camion pour emmener les vignerons et le stock de vins (trois palettes).

Une boutique qui tourne

En 2011, Rauzan a agrandi de 50 % la surface de sa boutique pour passer à 234 m². Elle y vend du petit vrac, des bibs et 230 000 bouteilles alors qu'elle en produit 22 millions par an. 10 000 visiteurs y passent chaque année pour un CA de 583 000 €. Le panier moyen des particuliers est estimé à 58 €. Les coopérateurs y bénéficient de tarifs très attractifs.

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