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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Sans contrepartie financière, pas de bail rural

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°283 - février 2016 - page 65

Une exploitante voulait requalifier en bail rural la mise à sa disposition, à titre gratuit, d'une parcelle par une consoeur. Mais les juges lui ont rappelé que, pour qu'il y ait bail, il faut obligatoirement une contrepartie financière, quelle qu'elle soit.

Propriétaire de parcelles de vignes qu'elle cultive elle-même depuis des années, Henriette se voit contrainte de quitter son exploitation pour quelques mois. Que faire de ses précieuses vignes pendant ce temps ? Elle ne souhaite pas les donner en location mais trouve une solution auprès de Rolande, viticultrice sur la même commune. Elle entretient avec sa voisine une relation amicale et les deux femmes se mettent donc d'accord. Pendant son absence, Henriette confiera donc ses vignes aux bons soins de Rolande. Celle-ci s'engage à assurer les soins culturaux comme s'il s'agissait de ses propres parcelles. La confiance règne entre les deux viticultrices, l'accord est verbal et aucun écrit n'est rédigé.

Le contentieux naît au retour d'Henriette. Lorsqu'elle souhaite reprendre en main ses vignes, elle a la mauvaise surprise de constater que Rolande s'y oppose fermement : elle revendique même la qualité de fermier. Pour obtenir gain de cause, Rolande saisit le tribunal paritaire. Elle entend faire admettre à Henriette que celle-ci, à son départ, lui a consenti un bail rural verbal. Indignée, Henriette conteste avoir conclu un tel bail au profit de sa voisine. Les juges paritaires puis ceux de la cour d'appel vont être amenés à se livrer à une étude approfondie du bail à ferme, à la lumière de l'article L 411-1 du code rural. Il définit ce bail par « toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour une activité définie à l'article L 311-1 du code rural » (soit toutes les activités agricoles).

En ce qui concerne notre affaire, tout va se jouer sur les trois mots « à titre onéreux », éléments essentiels de la définition du fermage. Cela signifie qu'à partir du moment où une mise à disposition, même no écrite, comprend une contrepartie financière, celle-ci peut être qualifiée de bail verbal. À l'inverse, si une parcelle est confiée à titre gratuit, le code rural exclut toute qualification de bail.

Au cours des différents procès qui opposent Henriette et Rolande, les juges ne remettront jamais la mise à disposition en cause. Il est incontestable qu'Henriette a confié l'exploitation de ses vignes à Rolande. En revanche, ils vont se pencher sur la contrepartie financière, rappelant au passage qu'il ne s'agit pas forcément d'un versement d'argent. En effet, la jurisprudence admet, par exemple, le paiement par le preneur de la taxe foncière comme preuve du caractère onéreux de la mise à disposition.

Rolande a invoqué que le fait d'avoir travaillé les vignes pendant des mois était une contrepartie onéreuse à la mise à disposition. Argument auquel les juges du tribunal paritaire ont été sensibles. Ces derniers ont estimé que le fait de participer aux frais d'entretien et de payer des cotisations à la MSA pour cette parcelle pouvait bien faire office de contrepartie financière, et donc constituer le bail rural.

Malheureusement pour Rolande, ce raisonnement sera contredit par la cour d'appel, puis par la Cour de cassation. Les juges suprêmes soutiennent l'argumentaire de leurs pairs de la cour d'appel selon lequel « le simple entretien de parcelles ne saurait être considéré comme la contrepartie onéreuse de leur mise à disposition ». Pour eux, Rolande a simplement exercé son activité sur des parcelles mises à sa disposition, sans devoir mettre la main à la poche. Elle ne peut donc pas bénéficier de la protection de bail rural soumis au statut de fermage.

Les juges de cassation renforcent ainsi l'idée fondamentale qui imprègne le statut du fermage : le bail sans écrit, dit bail verbal, est lié à une contrepartie financière. Il ne peut y avoir de bail gratuit, car dans ce cas, il s'agit d'un prêt. Dans la présente affaire, la conclusion d'un contrat de prêt sans limitation dans le temps aurait évité à Henriette de lourds ennuis judiciaires !

Cour de cassation, 3 juin 2014, n° 13-16114.

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