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VIGNE

Fronde contre les CEPP

INGRID PROUST - La vigne - n°285 - avril 2016 - page 32

Le ministère de l'Agriculture veut imposer des certificats d'économie de produits phytosanitaires aux distributeurs. Mais ceux-ci s'opposent vivement à cette mesure qu'ils jugent contraignante et injuste.
JEAN-PAUL PALANCADE, directeur d'Agrosud : « Ces certificats sont complexes et pénalisants. » © M. COISNE

JEAN-PAUL PALANCADE, directeur d'Agrosud : « Ces certificats sont complexes et pénalisants. » © M. COISNE

En théorie, ils doivent entrer en vigueur en juillet prochain, de façon expérimentale. Mais les certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP) ne sont pas du tout du goût des négociants. Cette mesure qui les engage à réduire l'usage des phytos par les agriculteurs, sous peine de sanction financière (voir encadré), est une « usine à gaz qui va générer une taxe sanction », selon la Fédération du négoce agricole (FNA).

Stéphane Le Foll attend de la distribution qu'elle réduise de 20 % ses ventes de phytos d'ici à 2021. Directeur de Coop de France métiers du grain, Vincent Magdelaine juge cet objectif excessif. Ce chiffre est encore sujet à discussion mais, s'il est maintenu, « ce sera très ambitieux car nous n'avons pas assez de produits de biocontrôle, par exemple, pour l'atteindre. Les distributeurs ne réaliseront pas les économies demandées. Or, la sanction encourue est très élevée. Il est question d'une taxe représentant jusqu'à 30 % de notre chiffre d'affaires. »

Rien n'est encore arrêté en matière de pénalités pour ceux qui ne respecteraient pas les objectifs fixés. Le ministère s'est contenté de préciser qu'elles n'excéderaient pas 5 millions d'euros par négociant. Un chiffre qui n'a pas calmé les esprits...

« Les CEPP vont entraîner une augmentation du prix des produits. Ils vont aussi remettre en cause la liberté de choix pour l'agriculteur. Pour respecter le quota de ventes de phytos qui lui sera fixé, un négoce devra réduire le nombre de références à son catalogue. Comment fera-t-il les années à forte pression de mildiou ou d'oïdium ? », s'enflamme Sébastien Picardat, directeur général de la FNA.

Les distributeurs contestent aussi le fait qu'ils seront les seuls pénalisés. « Qui, au final, utilise les produits phytosanitaires ? C'est l'agriculteur. C'est lui qui décide, ou non, d'appliquer un produit. En cas d'infraction au code de la route, c'est le conducteur qui paie l'amende, pas le constructeur de la voiture », explose Sébastien Picardat. Ce dernier pointe un autre effet pervers de ces CEPP : « Ils seront une spécificité française et entraîneront de nouvelles distorsions de concurrence avec les autres pays d'Europe. »

Un trafic international

Nombre de vendeurs s'attendent à une augmentation des importations illégales. « Ces CEPP nuisent à la liberté d'entreprise et à la libre concurrence. Nous devons déjà faire face à un trafic énorme de phytos venant d'Espagne », s'emporte un cadre d'un négoce agricole du Roussillon, qui ne cache pas son ras-le-bol face à ce que lui impose l'État. « Nous vendons des produits phytosanitaires. Nous devons réduire leur usage. Et nous serons taxés pour cela. »

Pas de produits de biocontrôle

« Après la hausse de la redevance pour pollution diffuse, l'État veut encore nous piquer du fric avec les CEPP », s'insurge Bernard Taïx, directeur technique de la société Magne, dans l'Hérault. Pour David Ray, animateur vigne et responsable du réseau commercial d'Écovigne Beaujolais, « instaurer une nouvelle taxe n'est pas pédagogique. La filière agit déjà pour réduire les phytos et ses efforts ne sont pas valorisés. Nous n'avons pas besoin des CEPP mais de solutions alternatives à proposer à nos clients vignerons. Nous attendons de nouveaux produits de biocontrôle et ils n'arrivent pas ».

L'opposition des négociants aux CEPP ne signifie pas qu'ils soient contre le plan Écophyto. « Nous voulons réduire l'impact des phytos. Nous ne trouvons pas ces certificats d'économie adaptés à la situation , ils sont complexes et pénalisants. Il existe d'autres solutions. Il nous faut plus de moyens pour conseiller et accompagner les vignerons », explique Jean-Paul Palancade, directeur du réseau de négoces Agrosud. La FNA plaide pour la diffusion « de solutions innovantes et des bonnes pratiques pour l'environnement ».

Motiver les agriculteurs

« Fin 2015, nous avons déposé un recours devant le Conseil d'État avec Coop de France, indique Sébastien Picardat. Depuis, le gouvernement a repris le dialogue. » En février, le Premier ministre, Manuel Valls, a accepté de revoir à la baisse le niveau des sanctions financières et de discuter des indicateurs qui permettront d'établir si un distributeur a fait des économies et de combien. Le ministère de l'Agriculture a annoncé début mars une concertation sur « les CEPP, les pénalités et les modalités d'incitation ».

Du côté de Coop de France, Vincent Magdelaine demande des mesures pour motiver les agriculteurs : « Des aides seraient utiles pour favoriser l'achat de pulvérisateurs à panneaux récupérateurs et d'équipements de travail du sol ou le passage à une protection phyto encore plus raisonnée, entraînant des prises de risques. »

Les Jeunes Agriculteurs réclament, eux, plus de moyens « pour la recherche afin d'identifier des solutions alternatives et innovantes » ; tout en clamant leur soutien aux CEPP : « Comment s'opposer à un système qui, pour une fois, ne pénalise pas les exploitants, et met l'amont de la filière dans une dynamique de progrès ? » Les distributeurs apprécieront...

Un bâton pour mobiliser tous les acteurs

Inspirés des certificats d'économie d'énergie, les CEPP ont pour but de contraindre les distributeurs (négociants et coopératives) à « mettre en place des actions visant à diminuer l'usage, les risques et les impacts des produits phytosanitaires », soutient le ministre de l'Agriculture. Les négociants devront inciter les agriculteurs à utiliser des produits de biocontrôle, des variétés résistantes ou tolérantes aux bio-agresseurs et des outils d'aide à la décision.

Ils devront aussi les encourager à investir dans du matériel permettant de limiter le recours aux produits phyto. Ceux qui s'exécuteront acquerront des CEPP. Les autres seront sanctionnés.

Stéphane Le Foll a ainsi annoncé des pénalités de 11 € par unité d'économie manquante, c'est-à-dire par Nodu (nombre de doses unités) appliquées. En d'autres termes, ils paieraient 11 € de plus pour chaque pleine dose à l'hectare vendue au-delà du plafond autorisé. Objectif annoncé par Stéphane Le Foll : moins 20 % de phytos d'ici 2021. Mais ce chiffre est encore en discussion, tout comme le montant des sanctions. Pour le ministère, « l'adhésion aux dispositifs plus économes en phytos est un enjeu d'organisation collective engageant tous les acteurs, et pas seulement les utilisateurs.

Tel est l'objet du dispositif des certificats d'économie de produits phytosanitaires. »

« Il va nous falloir du personnel en plus »

« Les CEPP vont venir s'ajouter à toutes les réglementations déjà présentes et aux normes de traçabilité notamment. Il faudra embaucher du personnel supplémentaire. Bientôt, les distributeurs auront plus de salariés dans les bureaux que de conseillers sur le terrain », lâche David Ray, d'Ecovigne Beaujolais (ici en photo). « Il y a trop de normes, on nous impose la traçabilité pour le conseil et pour les produits phytos. Avec toutes ces procédures, j'ai des difficultés à recruter des salariés motivés, explique un autre professionnel de la distribution. Tout est déjà très complexe, et les CEPP vont encore amplifier nos contraintes. »

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