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VIGNE

Les travailleurs de la nuit

LUCIE MARNÉ - La vigne - n°287 - juin 2016 - page 42

L'été, pour ruser contre la chaleur et le vent, des vignerons traitent à partir du coucher du soleil. Un gain de temps et une meilleure efficacité des phytos qui demandent de l'organisation.
DANS LE VAR, Jean-Philippe Fourney, chef de culture d'un vignoble conduit en bio, a équipé la cabine de son tracteur et son pulvé de phares pour pouvoir traiter de nuit. © DOMAINE LA SUFFRÈNE

DANS LE VAR, Jean-Philippe Fourney, chef de culture d'un vignoble conduit en bio, a équipé la cabine de son tracteur et son pulvé de phares pour pouvoir traiter de nuit. © DOMAINE LA SUFFRÈNE

C'est dans le Sud de la France et chez les vignerons bio que les traitements nocturnes sont les plus répandus. « En journée, le mistral souffle fort. Dès qu'il se lève, nous devons arrêter de traiter. Il faut donc s'y prendre à plusieurs reprises pour finir le travail. Sans compter la fréquentation touristique qui augmente les risques d'accidents ! Et la chaleur ! Il nous faut environ 30 heures pour traiter notre domaine. Il serait difficile de rester durant tout ce temps en plein soleil. Alors que la nuit, nous pouvons maintenir une bonne cadence sans interruption », explique Jean-Philippe Fourney, chef de culture au domaine La Suffrène de 60 ha, à proximité de Bandol (Var).

Au prix de longues journées

Pour cette exploitation en bio, le gain de temps est d'autant plus important qu'elle doit renouveler les traitements tous les huit à dix jours. Même topo pour François Chidaine, viticulteur en biodynamie sur 40 ha en AOC Vouvray, Montlouis-sur-Loire et Touraine (Indre-et-Loire) : « En 2012, j'ai fait 200 heures de tracteur en deux mois et demi ! », se souvient-il.

Nombre de vignerons effectuent ces traitements au prix de longues journées. « Je traite en face par face. La nuit, c'est assez technique. Je préfère le faire moi-même. Je m'arrête alors vers 6 heures du matin et un employé me relaie pour finir le travail. Mais je dors peu. Pendant la journée, il faut gérer le reste de l'équipe », souligne François Chidaine.

De même pour Jean-Philippe Fourney : « Nous avons un pulvérisateur porté et un semi-porté qui nous permettent de traiter trois rangs. Avec l'aide d'un tractoriste, je traite de nuit jusqu'à 7 heures, L'équipe arrive alors au domaine. Je lui donne mes consignes et vais me coucher. Je reviens vers 16 heures pour voir si tout s'est bien passé. »

Dans les grands domaines, impossible de faire autrement que de mettre sur pied une équipe de nuit. L'organisation du personnel doit alors être réfléchie. « Nous effectuons des traitements de nuit depuis cinq ans sur notre vignoble conduit en bio. Cette décision a été bien accueillie par le personnel. Avec la chaleur estivale, le travail de jour est pénible, explique le chef de culture d'un grand vignoble du Gard qui souhaite garder l'anonymat. Nous avons donc une équipe de tractoristes qui travaillent trois ou quatre nuits par semaine. Le reste de l'équipe travaille de jour pour les travaux en vert. »

Un besoin d'éclairage

Mais, la conduite des tracteurs de nuit nécessite quelques précautions. « La plupart de nos Fendt sont équipés de phares au-dessus des cabines, souligne Jean-Philippe Fourney. On y voit comme en plein jour ! » Certains vignerons éclairent leur pulvérisateur pour contrôler si une buse ne se bouche pas durant le traitement. Au Château Canadel, à Bandol, Vianney Benoist a acheté deux leds dans un magasin agricole. « Je les ai installés au-dessus de mon pulvé à jets projetés uniface. Ils ne chauffent pas comme les éclairages classiques, ce qui peut réduire la corrosion, notamment par les produits soufrés », explique ce vigneron, à la tête d'une exploitation de 15 ha en biodynamie. Mais attention, « le produit peut recouvrir les leds au fur et à mesure. Dans ce cas, on ne voit plus la rampe », souligne François Chidaine. Après avoir installé un éclairage sur sa rampe, il a finalement opté pour un phare placé sur la cabine de son tracteur en direction du pulvérisateur.

Cette année encore, ces vignerons repartiront travailler de nuit, bien que les grosses chaleurs n'aient pas encore fait parler d'elles. C'est le seul moyen pour eux de protéger tout leur vignoble en temps voulu et dans de bonnes conditions.

Phytos et chaleur : gare aux risques

Outre l'absence de vent, une température clémente est capitale pour le bon déroulement des traitements. Chaleur et traitements ne font pas bon ménage. Au-delà de 25 °C, les produits peuvent s'évaporer, perdant alors de leur efficacité. Profitant de la fraîcheur nocturne, certains vignerons diminuent les doses. « Pour les traitements au microthiol, je suis passé de 12 à 10 l/ha de bouillie depuis que je traite la nuit », se félicite Jean-Philippe Fourney, du domaine La Suffrène (Var). Autre aspect à ne pas négliger : la santé des opérateurs et des riverains. À titre d'exemple, le soufre s'évapore activement à partir de 25 °C. S'il fait chaud, les personnes se situant aux alentours sont davantage exposées aux vapeurs de soufre qui peuvent entraîner des irritations des muqueuses.

Code du travail, mode d'emploi

Des interventions ponctuelles nocturnes ne donnent pas aux salariés agricoles le statut de travailleur de nuit. Il faut travailler 270 heures pendant une période de 12 mois consécutifs pour obtenir ce statut. En revanche, tout emploi exercé entre 21 heures et 6 heures du matin est considéré comme du travail de nuit. Si le code du travail n'impose pas de majoration du salaire, l'employé peut refuser un tel travail. Refus qui ne peut constituer un motif de licenciement s'il prouve que le travail nocturne est incompatible avec ses obligations familiales. Au cadre fixé par le code du travail, s'ajoutent les règles définies par les conventions collectives agricoles de chaque département. Dans l'Hérault, par exemple, les employés qui travaillent de nuit bénéficient d'une majoration de 50 %. Si un chef d'exploitation souhaite que ses salariés travaillent de nuit, « il est préférable qu'il prévoie un avenant à leur contrat le précisant », indique Songul Erkilic, juriste en droit social à la FDSEA de l'Hérault.

JULIEN CASTELL, DOMAINE CASTELL-REYNOARD, 7 HA EN AOC BANDOL, DANS LE VAR « Il faut traiter sur des vignes qui respirent »

 © DOMAIN CASTELL-REYNOARD / SUD-AGENCY.COM

© DOMAIN CASTELL-REYNOARD / SUD-AGENCY.COM

«Sur mon domaine de 7 ha, à partir du stade 2-3 feuilles étalées, je traite uniquement de nuit, de 22 heures jusqu'à 7 heures du matin. Dans la région, beaucoup de vignerons traitent la nuit à cause du vent. Pour ma part, j'effectue des traitements nocturnes car c'est aussi là que la vigne respire. La nuit, les pores des feuilles sont ouverts. C'est donc le bon moment pour renforcer les défenses de la plante. Je travaille en biodynamie depuis peu. Je traite avec du purin d'ortie et des tisanes de plantes selon le stade végétatif de la vigne. Avec ces préparations, j'ai augmenté ma fréquence de traitements. Auparavant, je passais 8 à 12 fois par saison. Maintenant, je dois prévoir entre 10 et 18 passages. J'ai donc acheté un quad que j'ai équipé d'une rampe de traitement. En plus du gain de travail, je n'ai pas de problème avec le voisinage car le quad fait nettement moins de bruit qu'un tracteur. »

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