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VIGNE

Vendanges de nuit Les rouges aussi

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°278 - septembre 2015 - page 26

Les vignerons et coops du Midi qui récoltent leurs rouges de nuit s'en félicitent. Ils obtiennent des vins aux arômes plus frais et plus fruités, maîtrisent mieux leurs vinifications et font des économies. Même les Bordelais s'y mettent.
VENDANGES DE NUIT À LA MACHINE, en Gironde, dans un vignoble en AOC Montagne-Saint-Émilion. © P. ROY

VENDANGES DE NUIT À LA MACHINE, en Gironde, dans un vignoble en AOC Montagne-Saint-Émilion. © P. ROY

Les vendanges de nuit, devenues courantes pour les blancs et les rosés dans le sud de la France, ont aussi leurs adeptes pour les vins rouges.

Des gains en frigories

« Si on le pouvait, on ramasserait toute la récolte de nuit. Mais il nous faudrait deux mois pour tout vendanger », témoigne l'oenologue Marie Salles, qui a initié cette pratique à la cave coopérative des Vignerons d'Alignan-du-Vent, dans l'Hérault. « Nous avons commencé il y a quatre ou cinq ans alors que nous voulions faire des vins sans soufre. Nous pensions qu'en rentrant des raisins frais, nous aurions moins de micro-organismes. On s'est ainsi aperçu que les fermentations démarraient plus doucement, ce qui nous laisse le temps d'ensemencer avec des levures non-Saccharomyces pour gagner en complexité aromatique et en sécurité vis-à-vis des contaminations microbiennes. Nous visons des vins souples et friands, moins charpentés que nos autres rouges », explique l'oenologue.

Depuis, le process a été étendu au reste de la production des rouges. Aujourd'hui, 20 à 30 % des rouges sont récoltés à la fraîche, entre 5 et 6 heures du matin. « On commence un peu plus tard que pour les blancs car il faut compter avec la fatigue en fin de vendange », précise-t-elle.

Après égrappage, les raisins sont encuvés et maintenus à basse température pour une macération préfermentaire à froid de trois jours à une semaine. « Nous sommes bien équipés pour refroidir la vendange. Mais si nous ramassons du raisin plus frais, nous économisons des frigories et évitons le choc thermique qui se produit lorsqu'on rentre une vendange à 30 °C et qu'on la ramène entre 10 et 15 °C », poursuit Marie Salles.

Des arômes plus frais et fruités

Non loin de là, à Puissalicon, au domaine Les Chemins de Bassac, Rémi Ducellier vendange intégralement son exploitation de 12 ha en IGP Côtes de Thongue et IGP Pays d'Oc de Nuit depuis cinq ans. « J'ai longtemps vendangé manuellement. Quand je suis passé à la machine, j'ai d'emblée vendangé de nuit. Avec la vendange mécanique, les raisins sont plus triturés. Dès lors, Ils sont en phase semi-liquide, et l'oxydation est d'autant plus rapide que la température est élevée. »

Rémi Ducellier avait déjà l'habitude de traiter de nuit. « La vigne est plus réceptive », estime-t-il. Récolter de nuit lui a donc paru naturel. Il démarre vers 3 heures du matin et finit aux alentours de 6-7 heures. « J'ai des petites parcelles de 1,5 ha. En deux heures, c'est plié. À 8 h-8h30, les bennes sont nettoyées et on est tranquilles pour travailler en cave. » Pour tenir le rythme durant toutes les vendanges, il coupe sa journée en faisant une sieste en début d'après-midi.

Le vigneron héraultais voit beaucoup d'avantages à récolter des raisins frais. « L'an dernier, j'ai rentré des raisins à 14-15 °C. Je n'ai pas eu besoin de les refroidir. J'ai juste maintenu ces températures pour lancer mes préfermentaires à froid. Je ne suis pas adepte des vins boisés et concentrés. Je recherche la finesse et l'élégance. Depuis que je vendange de nuit, j'ai des arômes plus frais », constate-t-il.

Au domaine Nestuby, à Cotignac, dans le Var, Jean-François Roubaud et son fils Romain sont également acquis à la cause des vendanges de nuit. Depuis quatre à cinq ans, ils récoltent ainsi la totalité de leurs 88 ha. Ils étaient habitués à vendanger de nuit leurs rosés, qui représentent 90 % de leur production. Ils ont adopté cette pratique pour leurs rouges. « Nous voulions obtenir des vins plus souples et fruités. Pour cela, il faut éviter l'oxydation. Concernant notre organisation, on commence par les rosés à partir de 1 heure du matin et on termine par les rouges vers 5-6 heures. On s'adapte en fonction de la température extérieure. L'an dernier, il faisait frais pendant les vendanges, on a pu finir plus tard. »

Moins d'oxydation et des fermentations lentes

Au domaine de Pécoulas, à Lagorce, en Ardèche, Laurent Eldin a démarré les vendanges de nuit durant la canicule de 2007. Depuis, il a acquis de l'expérience. « Je fais une macération à froid pour une extraction en douceur des arômes et de la couleur. Puis je laisse remonter doucement la température qui atteint les 30 °C en fin de fermentation. En travaillant ainsi, j'ai constaté un net gain aromatique sur mes grenaches. Sur les cinsaults, c'est moins flagrant. Alors, on les ramasse plus tard dans la matinée », explique ce jeune vigneron qui exploite avec son père 15 ha en AOC Côtes du Vivarais et IGP Coteaux d'Ardèche.

Pour ses rouges, Laurent Eldin prend autant de précautions que pour ses rosés. Il bâche et inerte ses remorques au CO2 pour limiter l'oxydation. Il ne voit que des avantages à vendanger de nuit. « Il y a souvent moins de vent. Mais c'est surtout au niveau oenologique que c'est intéressant. Les fermentations démarrent lentement. On a le temps de remonter et de délester avant d'atteindre des densités trop basses où il est plus risqué d'intervenir. Nous avons une petite installation en froid. Si nous avions continué à vendanger de jour, il aurait fallu investir dans un équipement plus conséquent. »

Encore faut-il bien choisir le moment de la récolte. « C'est au lever du jour que les températures sont les plus fraîches, rappelle Jean-Philippe Escorne, oenologue biterrois. Il faut donc démarrer quelques heures avant l'aube et finir quelques heures après. Vendanger à la tombée du jour n'a aucun intérêt car la température n'a pas eu le temps de baisser. »

À Bordeaux et Bergerac aussi

À Bordeaux, cela dépend des millésimes. « En 2013, la saison a été fraîche. La vendange de nuit ne se justifiait pas sur les rouges. En revanche, l'an dernier, nous avons eu de grosses chaleurs au moment des vendanges et plusieurs de mes clients se sont organisés pour récolter leurs rouges pendant la nuit », témoigne Jean-Louis Vinolo, oenologue conseil chez Euralis. Il y voit les mêmes avantages que ses confrères méridionaux : moins d'oxydation, moins de bretts et moins de dépenses en frigories.

À Bergerac, au château La Vieille Bergerie, c'est par commodité que Pierre Desmartis a commencé à vendanger ses rouges de nuit il y a deux ans. « On avait du mal à trouver des entreprises pour vendanger de jour. On leur a donc demandé de venir la nuit. » Une décision dont il se félicite. « Je paie le même prix que pour des vendanges de jour et je fais des économies de frigories : 40 % l'an dernier. On a moins de travail au chai puisqu'on ne réfrigère plus. C'est également bénéfique d'un point de vue oenologique car avec des raisins rentrés chauds, souvent, le temps qu'on les refroidisse, la fermentation démarre. Si bien qu'on ne peut plus faire de préfermentaire à froid. »

Pour sécuriser le travail nocturne, le vigneron bergeracois a équipé sa cabine de tracteur avec de nombreux spots. Il a également installé des projecteurs sur ses bâtiments pour éclairer la zone de déchargement du raisin. « J'ai fait des aménagements pour qu'on y voie comme en plein jour », précise-t-il. Seul frein, selon lui, au développement de cette pratique : le bruit. « Pour le moment, les riverains le comprennent, je ne les dérange que quelques nuits par an. Mais si les vendanges de nuit devait se généraliser, il pourrait y avoir des contestations. Les machines sont particulièrement bruyantes. »

Lampes frontales dans le Sud

 © T. GRILLET

© T. GRILLET

Depuis dix ans, la coopérative Sieur d'Arques, à Limoux (Aude), vendange des merlots de nuit. La récolte étant manuelle, les vendangeurs sont équipés de lampes frontales. Ils démarrent vers 3 heures du matin et finissent à 8 heures. « C'est notre cuvée Vendanges de nuit, de 6 000 cols. On fait une macération préfermentaire à froid pour extraire des arômes frais et fruités et obtenir un vin friand et facile à boire », explique le directeur technique, Gilles Trémèges. Avant Sieur d'Arques, la coopérative de Pia (Pyrénées-Orientales, aujourd'hui fusionnée avec Dom Brial) avait lancé son chardonnay de Mi-Nuit. Son succès est tel qu'elle en tirera cette année 100 000 cols. Là aussi les vendangeurs sont équipés de lampes frontales (photo).

Un précurseur à Tavel

À Tavel (Gard), au Domaine des Carabiniers, Christian Leperchois récolte ses rouges de nuit depuis qu'il s'est équipé d'une machine à vendanger en 1986. « J'ai toujours fait de la prestation de services. Je vendange mes vignes la nuit et, durant la journée, je vais chez les autres. » Il travaille avec deux équipes, une de jour, qui démarre vers 6 heures du matin et finit à 15 heures, et une de nuit, qui travaille de 21 heures jusqu'à 4-5 heures du matin. « J'avais une installation de froid insuffisante. Récolter de nuit m'a permis de compenser ce sous-équipement », précise-t-il. Seul facteur limitant de la vendange de nuit : la rosée qui, certaines années, survient au plus froid de la nuit. Dans ce cas, mieux vaut attendre qu'elle s'évapore et commencer plus tard pour éviter la dilution des raisins.

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