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DOSSIER - Chai gravitaire : le poids de la qualité

Chai gravitaire Le poids de la qualité

PAR MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°288 - juillet 2016 - page 16

Parce qu'ils améliorent la qualité des vins, les chais gravitaires font rêver. Mais ils s'avèrent souvent plus chers à construire que les chais classiques et le travail y est un peu plus compliqué comme le montre l'expérience des viticulteurs que nous avons interrogés.
LE NIVEAU SUPÉRIEUR du chai gravitaire de Tautavel-Vingrau, dans les Pyrénées-Orientales. Le tapis central achemine le raisin vers les cuves ©  G. BARTOLI

LE NIVEAU SUPÉRIEUR du chai gravitaire de Tautavel-Vingrau, dans les Pyrénées-Orientales. Le tapis central achemine le raisin vers les cuves © G. BARTOLI

Les oenologues sont unanimes : mieux vaut remplir les cuves par gravité qu'avec une pompe à vendange. « C'est le bon sens : par gravité, la vendange est moins malmenée », souligne Adeline Bauvard, oenologue-conseil chez Natoli & Coe.

« On n'invente rien. C'est le retour au système traditionnel des moines bénédictins et des caves de la Chartreuse. Avant l'invention des pompes, tout était gravitaire. Le vin fini aboutissait dans des caves enterrées bénéficiant d'une climatisation naturelle », observe Jean-Philippe Ducoin, dirigeant de Ducoin, société champenoise d'ingénierie viticole.

Comme tous ses confrères, il observe un intérêt croissant pour les chais gravitaires. Depuis une dizaine d'années, c'est une demande récurrente des caves et des vignerons qui ont un projet de construction ou de rénovation de chai. « Cette demande s'inscrit souvent dans une démarche de valorisation de sélections parcellaires. C'est un projet global avec des cuves plus petites et des modes de vinification adaptés pour obtenir des vins très qualitatifs », détaille Jean-Philippe Ducoin.

Le remplissage des cuves par gravité a en effet un impact positif sur la qualité des vins rouges qui présentent plus de fruit et moins d'astringence et de notes végétales. Pour les blancs et les rosés, le principal intérêt est de préserver la vendange de l'oxydation.

Outre leur effet sur la qualité des vins, ces chais sont aussi de formidables supports de communication. Avec de tels outils, leurs propriétaires ont les arguments pour convaincre leurs clients et visiteurs de tout le soin qu'ils apportent à leurs vinifications.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. « Aménager un chai gravitaire, c'est souvent la première idée de nos clients. Mais elle se heurte à nombre de contraintes techniques ou économiques. Et, au final, nous revenons à des solutions standards », constate Caroline Roussel, du cabinet Ingeco, basé à Tassin-la-Demi-Lune, dans la banlieue de Lyon.

« Nous avons plus d'intentions que de réalisations, confirme Bruno Parage, d'Alpha Concept Vinicole, à Jonquières, dans le Vaucluse. Dans les projets de réaménagement de cave, c'est compliqué d'introduire un système gravitaire. C'est plus facile lors de la création d'un chai. »

« C'est une bonne option quand on dispose d'une pente naturelle, avec un minimum de 4 m de déclivité. Dans ces conditions, le chai gravitaire ne coûte pas plus cher qu'une installation classique. En revanche, il y a un surcoût s'il est nécessaire de décaisser pour créer une déclivité ou recréer la gravité avec des moyens mécaniques », précise Roland Tournier, du cabinet Ingévin, à Vacquiers (Haute-Garonne).

Ces moyens, ce sont les tapis convoyeurs. Sur les terrains plats, c'est ainsi que l'on remonte la vendange dans les cuves, sans pompe. « Les tapis convoyeurs limitent la trituration des raisins. Mais ils sont encombrants. Ils posent aussi des problèmes de débit et de nettoyage. Dans un premier temps, nos clients écoutent leur oenologue. Ensuite, ils tiennent aussi compte de la commodité du matériel », analyse François-Xavier Denneulin, de Vinego.

Au Château d'Esther, à Saint-Loubès (Gironde), Thomas Fabian exploite un domaine de 5,5 ha en bordeaux et bordeaux supérieur. Il a étudié la possibilité d'équiper son chai d'élévateurs pour travailler par gravité. Mais il a dû renoncer. « C'était un investissement très lourd car, pour monter des volumes de 2 à 5 hl, il me fallait un matériel puissant. Et mon sol carrelé n'aurait pas résisté à ces lourdes charges. Je travaille donc avec une pompe à vendange à queue-de-cochon que je fais tourner très lentement. Et je n'utilise que 5 m de tuyau pour minimiser l'impact de ce pompage », explique-t-il.

Compte tenu des coûts et des difficultés, certains font des compromis, comme la cave de Tautavel (voir page 21) qui s'équipe en gravitaire uniquement pour son haut de gamme, et continue de vinifier l'essentiel de sa récolte après l'avoir encuvée avec des pompes à vendange.

« Le système gravitaire n'est pas toujours la bonne solution. Si on vendange à la machine à plus de 20 km de la cave, ce n'est pas très utile. Mieux vaut investir dans un bon égrappoir ou une bonne table de tri », estime Adeline Bauvard.

« Avant de transformer une réception de vendange, il faut d'abord améliorer l'existant », recommande Jean-Christophe Crachereau, de la chambre d'agriculture de Gironde. Il faut d'abord avoir des raisins sains et mûrs, un érafloir doux et bien réglé et une capacité de cuverie suffisante.

Le gravitaire, c'est le top s'il s'inscrit dans une chaîne dont tous les maillons sont rigoureusement maîtrisés.

Pompes à vendange : pas de révolution

 © P. ROY

© P. ROY

Rien ne change chez les fabricants de pompes à vendange ! Sur le plan commercial, « nos ventes restent stables. Les chais gravitaires ne représentent que 5 % de notre clientèle », affirme Pascal Espiau, responsable technique du site Bucher-Vaslin de Rivesaltes. Sur le plan technique, « la révolution n'a pas eu lieu. Nous en sommes conscients et planchons sur des d'évolutions », confie Lionel Corgié, de PMH vinicole, spécialiste des pompes. Dans l'attente de progrès techniques, les constructeurs recommandent de travailler avec des rotors de grand diamètre et à une vitesse lente pour limiter la trituration de la vendange. Il faut aussi veiller à accorder la vitesse de rotation de la pompe à celle de la vis d'alimentation. De même, le diamètre des tuyaux doit être adapté au débit de la pompe pour éviter la formation de tampons à l'entrée des tuyaux, qui font effet de pressurage. Enfin, réduire la longueur des tuyaux et la hauteur des cuves atténue la manipulation des raisins lors du pompage.

Futuriste : le chai circulaire

 © D. SABOURDY / SBY ARCHITECTURE

© D. SABOURDY / SBY ARCHITECTURE

C'est un tout nouveau concept que développe Ingevin, leader en ingénierie viticole. Son EcoChai 4E n'est pas gravitaire, mais circulaire. Il repose sur la combinaison de deux principes : une marche en avant circulaire, depuis la réception des raisins jusqu'à la mise en bouteille, et la convergence de tous les flux (vins, personnels, fluides) vers le centre de la cave. Les cuves sont en bordure du bâtiment ; les pompes et les filtres au centre. Grâce à cet agencement, le personnel comme les vins parcourent moins de distance : 30 m maximum séparent le coeur de la cave des ateliers en périphérie. Il en résulte une diminution des coûts de la main-d'oeuvre. De plus, l'investissement est allégé de 10 à 20 %, grâce à une réduction de 15 à 30 % de la surface bâtie et à une baisse de 12 à 25 % de la surface des façades. Ce chai peut être agrandi, soit par atelier, soit globalement. Une extension de 10 % du diamètre augmente de 20 % la surface. Enfin, il est pourvu d'une toiture photovoltaïque et d'un dispositif de récupération des eaux de pluie. Reste à concrétiser ce bâtiment.

Des résultats bien supérieurs aux prévisions

Jean-Christophe Crachereau en est convaincu : mieux vaut remplir des cuves par gravité qu'à l'aide d'une pompe. Cet oenologue de la chambre d'agriculture de Gironde a comparé ces deux procédés sur trois millésimes dans des chais du Médoc. « Les résultats ont été au-delà de ce qu'on pensait », confie-t-il. Il a réalisé les premiers essais sur du petit verdot en 2005, puis sur du cabernet-sauvignon en 2007. Pour la vinification gravitaire, il a récupéré la vendange après la table de tri. Pour la vinification classique, il l'a recueillie dans la cheminée de la cuve de réception après passage dans une pompe à queue-de-cochon puis dans une dizaine de mètres de canalisation en Inox comportant trois coudes. À chaque fois, il a rempli des cuves de 1 hl. Analysés au moment de la mise en bouteilles, les vins du second mode opératoire s'avèrent bien plus riches en tanins et en anthocyanes... À leur détriment. En effet, à la dégustation, ils sont plus astringents et plus amers en fin de bouche que les vins issus de la vinification gravitaire. Pour valider ces résultats obtenus sur des petits volumes, Jean-Christophe Crachereau a conduit en 2008 une étude en grandeur réelle sur du cabernet-sauvignon. Il a comparé le remplissage uniquement par convoyeur à tapis roulant (modalité gravitaire) au remplissage après passage dans une pompe péristaltique suivi d'un transfert par tapis roulant également (modalité pompage). Cette seconde modalité a donc entraîné moins de trituration que les systèmes de pompage existants en pratique grâce à l'utilisation d'une pompe péristaltique et à l'absence de tuyaux en sortie. Si bien que, cette fois, les différences analytiques étaient faibles. Mais, à la dégustation, les résultats restent sans ambiguïté : 72 % des jurés préfèrent la modalité gravitaire. En bouche, le vin est plus équilibré. Ses tanins sont aussi intenses, mais meilleurs que ceux du vin issu de pompage, qui est moins fruité et plus végétal, avec des notes animales.

L'essentiel de l'offre

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