JEAN-CHRISTOPHE JOSE (à gauche), vigneron au Clos Castell, dans les Pyrénées-Orientales, mène des touristes sur les sentiers pentus du vignoble. F. EHRHARD
NOUVELLES PLANTATIONS en échalas parcourues de murettes en pierre sèches qui retiennent la terre en cas de forte pluie. F. EHRHARD
À 8 h 30 ce 5 juillet, il fait encore frais à Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales. Au pied du viaduc du Puig del Mas qui enjambe le lit de la rivière Baillaury, Jean-Christophe Jose, du Clos Castell, accueille les derniers arrivés inscrits pour la balade vigneronne du jour. Les huit participants sont fin prêts. Après avoir vérifié que chacun a une bouteille d'eau car la matinée s'annonce chaude, la troupe peut démarrer.
Première halte dans une vigne en bordure du village, quelques mètres plus loin. Là, Jean-Christophe présente rapidement son parcours. Il a repris le domaine de son oncle en 1998 après un premier métier de chimiste. Et aujourd'hui, il cultive 8 ha en coopérative et 2 ha en cave particulière. Puis il décrit le vignoble de la Côte Vermeille couvrant 1 600 ha et regroupant deux appellations, Banyuls en vin doux naturel et Collioure en vin sec.
« La moyenne d'âge des vignerons est de 50 ans. Nous avons besoin de jeunes ! », glisse-t-il. Thierry, qui vient de la Sarthe, pense avoir compris pourquoi - les vignes alentours sont ancrées sur des coteaux très pentus - et lance que le travail ne doit pas être facile. « Oui, c'est très physique, peu de vignes étant mécanisables », confirme Jean-Christophe.
C'est au tour des cépages d'être présentés, à commencer par la syrah. « Nous plantons ce cépage dans les fonds car il craint la sécheresse », explique le vigneron. Le grenache, lui, s'adapte aux sols maigres. « Il arrive à s'enraciner dans la roche, où il trouve un peu d'humidité grâce aux schistes qui retiennent l'eau. » Mais l'eau reste un facteur limitant. Dans ce contexte, les rendements sont faibles. « Je produis autour de 20 hl/ha en vin sec et 15 hl/ha en vin doux naturel », indique-t-il.
La promenade se poursuit à travers les ruelles du vieux quartier du Puig del Mas, avant de rejoindre le lit à sec de la Baillaury.
Jean-Christophe explique alors le rôle essentiel des murettes et des terrasses pour retenir la terre lorsqu'il pleut. Étonné d'entendre parler des effets de la pluie dans un paysage aussi sec, Philippe, un agriculteur belge, demande quelle est la pluviométrie annuelle. « Faible, concède le vigneron. Mais quand il pleut, c'est souvent violent. Il y a trois ans, les inondations ont fait des dégâts dans les vignes bordant la rivière. »
En montant, la vue s'élargit et la mer apparaît. Le moment de faire une nouvelle pause. À l'ombre, cette fois. Jean-Christophe raconte que son grand-père, comme beaucoup, était à la fois vigneron et pêcheur. « À l'époque, un seul hectare suffisait à faire vivre une famille. Aujourd'hui, il en faut bien plus ! »
Un peu plus haut, il s'arrête dans une parcelle de carignan. Des altises ont grignoté le feuillage. Il montre leurs dégâts aux marcheurs et explique que la maturité peut en pâtir. « Nous avons en effet besoin d'une bonne surface foliaire pour obtenir des raisins bien mûrs », souligne-t-il. « Mais alors, le soleil seul ne suffit pas à faire mûrir les fruits ? », interroge Myriam, la femme de Philippe. « Eh non, ce sont les feuilles qui transforment l'énergie du soleil », précise Jean-Christophe. « Alors là, j'ai appris quelque chose ! », s'exclame son amie Bernadette, qui aime jardiner.
Le sentier continue à grimper. En attendant les derniers marcheurs, Jean-Christophe suggère aux amateurs de randonnée des circuits qu'il connaît bien. « Il partage avec nous sa connaissance du pays et nous donne des éléments pour imaginer la vie des gens d'ici, c'est très intéressant », notent Gabrielle et Jean-Marie, qui viennent de la région parisienne.
Un peu plus loin, le vigneron repère des feuilles marquées par l'esca. « C'est une vraie plaie. À cause de cette maladie, nous devons remplacer régulièrement des ceps », déplore-t-il. Philippe demande comment il fait pour arroser les jeunes plants. « Je monte une cuve d'eau avec mon plateau 4 x 4 et j'y remplis mon arrosoir. » Pour traiter, il utilise un pulvérisateur porté à dos d'homme. « Nous travaillons à deux, avec un voisin ou mon salarié, c'est plus motivant. Pour traiter dix hectares, vingt matinées sont nécessaires. Heureusement, l'an dernier seulement trois traitements ont suffi au cours de la saison. » Ce labeur harassant interpelle le groupe. « Je comprends mieux pourquoi les banyuls sont chers. Quand on les voit à 20 €/col chez le caviste, on ne peut pas deviner tout le travail qu'il y a derrière », reconnaît Myriam.
Les participants sont curieux de déguster les vins de Jean-Christophe, après toutes ces explications. Vers 11 h 30, le groupe arrive enfin au Clos Castell, la propriété du vigneron. Pour tout le monde, la pause à l'ombre des pins est la bienvenue ! Le vigneron va chercher les toasts, préparés par sa mère pendant la matinée, et les bouteilles qu'il a mises à bonne température avant de partir.
Pour ne pas d'emblée saturer de sucre le palais des visiteurs, il a prévu de leur faire déguster en premier cinq vins secs, d'une concentration croissante, suivis de trois vins doux. Une tapenade accompagne les vins secs. Pour les vins doux, il a choisi un mélange salé-sucré associant olives, figues et banyuls. « C'est excellent, donnez-nous l'adresse du producteur, lance Benoît, le mari de Bernadette. C'est agréable de rapporter chez nous de bonnes choses qui nous rappelleront les vacances. »
Jean-Christophe présente le premier vin, un collioure blanc 2015. « Je le vinifie à basse température. Il est un peu moins fruité que le 2014 car il a fait très chaud l'été dernier. » Puis il enchaîne avec un rouge IGP Côte Vermeille, 100 % grenache, vinifié pour moitié en macération carbonique. « Il se boit facilement frais l'été. »
Suivent deux collioure rouges. Le premier, élevé en vieux bois, offre un large bouquet d'arômes. Jean-Christophe incite chacun à exprimer ce qu'il ressent. « En attaque, on sent la cerise et le cassis », lance Bernadette. « Il y a aussi des notes d'épices et d'herbes », relève Benoît. « C'est le carignan qui amène ces parfums de garrigue », précise le vigneron. Le deuxième rouge, élevé, lui, en barrique neuve, vient de remporter une médaille d'or dans le guide Gilbert & Gaillard. « C'est ma première médaille », confie-t-il.
À chaque vin, la conversation part sur les plats à associer. Chacun y va de sa recette. Jean-Christophe les guide en attirant leur attention sur les caractéristiques de ses différents vins. « C'est bien plus convivial de déguster ici que dans une boutique », se réjouit Gabrielle. Vient le tour des vins doux au sujet desquels quelques visiteurs ont des a priori négatifs, les jugeant trop sucrés. Avec son banyuls blanc, le vigneron va les surprendre. Les arômes de cette cuvée éclatent en bouche. « Il y a des parfums d'agrumes, de fleurs et de pêche. Ce que j'avais goûté ailleurs ne m'avait pas séduit. Mais là, j'aime ! », lance Geneviève, la femme de Thierry.
En servant les deux banyuls rouges qui suivent, Jean-Christophe explique leur mode d'élevage. « J'élève la cuvée tradition en présence d'air car je ne remplace pas le vin qui s'évapore naturellement de la barrique. Pour le Banyuls Rimage, au contraire, je remets régulièrement du vin dans les fûts. » Le premier vin présente donc des notes oxydées alors que le second est plus frais. Et là encore, dans les deux cas, les arômes sont complexes. « J'ajoute au grenache 3 à 4 % de carignan cueilli en surmaturité pour apporter une note d'épices », précise le vigneron. Désormais, plus personne n'a envie de se servir du crachoir !
Pour finir, Jean-Christophe offre des chocolats au banyuls qu'il fait fabriquer par un artisan. La marche et les recettes évoquées ont ouvert l'appétit de tous. Il est déjà 13 heures. « Vous ne faites pas table d'hôtes ? Nous sommes prêts à passer à table ! », lance Gabrielle. Jean-Christophe rebondit et annonce que l'an prochain il proposera pour 50 € une balade suivie d'un repas au mas, cuisiné sur place par un chef. « On peut s'inscrire pour 2017 ? », demande Bernadette, qui a acheté un appartement sur la côte et revient régulièrement.
C'est un peu trop tôt. Mais le vigneron distribue à chacun un prospectus sur son domaine, les tarifs 2016 ainsi qu'un bon de commande. Ceux qui veulent acheter des vins remplissent le bon. Comme il reste encore 20 minutes de marche pour redescendre, le vigneron leur propose de les livrer dès le lendemain sur leur lieu de villégiature. Par la même occasion, il enrichit son fichier de clients. La visite s'achève pour la petite troupe.
Quelques jours plus tard, c'est l'heure des comptes pour le vigneron. Les tarifs élevés - de 9 à 19,50 €/col - n'ont pas découragé les participants, séduits par la qualité des vins dégustés. Le chiffre d'affaires atteint ainsi 560 €. « Un couple est venu à la boutique pour acheter des produits du terroir puis, avant de quitter la région, il est revenu au mas pour acheter plus de vins », note-t-il. Un bon bilan pour le vigneron, qui a encore besoin d'étoffer sa clientèle pour se développer. Outre les ventes, il apprécie les échanges, enrichissants, ainsi que les retours très positifs sur ses vins. De quoi renforcer son envie de persévérer dans ce métier !
Une promenade tous les mardis, de juin à septembre
Depuis deux ans, le syndicat des vignobles de la Côte Vermeille organise des balades accompagnées par des vignerons. Le planning est établi à l'avance. De juin à septembre, ces promenades ont lieu tous les mardis, avec un départ de Collioure, Banyuls-sur-Mer, Port-Vendres ou Cerbère. Le 5 juillet, c'était au tour de Jean-Christophe Jose d'accompagner les visiteurs. « L'effectif est limité à quinze personnes pour faciliter les échanges avec le vigneron. C'est ce qui intéresse les gens », précise Isabelle Blin-Moly, directrice de l'ODG.
En 2015, 350 personnes y ont participé. « Il y a surtout des touristes, des retraités mais aussi des jeunes amateurs de vins et/ou de nature. Et bon nombre d'étrangers - Hollandais, Anglais ou Belges - curieux de découvrir autre chose que la plage », note-t-elle. Les inscriptions se font dans les offices du tourisme et à la coopérative Le Dominicain. Les participants payent 13 € par adulte et 6 € par enfant, ce qui permet à l'ODG de prendre en charge les amuse-gueules pour la dégustation et de défrayer le vigneron accompagnateur de 10 € par participant.
Une formation à l'accompagnement
Avant de démarrer les visites en 2015, Jean-Christophe Jose a suivi une formation de cinq jours dispensée par la Fédération française du milieu montagnard avec une dizaine de vignerons. « Nous avons appris à lire une carte, à évaluer le dénivelé et l'accessibilité des sentiers. Les formateurs nous ont aussi expliqué les règles de sécurité et montré les gestes de premier secours », détaille Jean-Christophe Jose. Durant ce stage, les vignerons ont choisi ensemble sur le terrain, les sites intéressants à faire découvrir et tracé l'itinéraire des balades.
DES ASTUCES POUR ANIMER UNE BALADE DÉCOUVERTE
- Soyez disponible. Les participants apprécient qu'on leur consacre du temps. « Nous avons visité d'autres vignobles, où le vigneron passait très vite à la vente. Il n'y avait pas de vrais échanges comme avec Jean-Christophe », souligne Geneviève. Grâce à ces moments partagés, des liens se nouent. « Les gens repartent avec de bons souvenirs qu'ils associent à mes vins », note le vigneron.
- Partagez vos bons plans. À travers vous, les visiteurs ont envie de découvrir le pays et les gens qui y vivent. Ils recherchent quelque chose de plus qu'avec un guide touristique. Vos bons plans les intéressent. N'hésitez pas à puiser dans ce que vous aimez faire. Jean-Christophe a ainsi indiqué à son groupe un beau site où pique-niquer au frais près de la rivière.
- Adaptez-vous au groupe et à ses attentes. Pour cerner les participants, engagez le dialogue, demandez-leur d'où ils viennent, depuis combien de temps ils sont là, ce qu'ils ont déjà fait dans le coin... Vous saurez ainsi ce qui les intéresse, les thèmes que vous pouvez développer.