De tout temps, les fermiers ou métayers ont vécu dans la hantise de voir leur bail résilié. La loi les protège désormais de l'arbitraire des propriétaires, encore faut-il qu'ils respectent la loi, particulièrement l'article L. 411-35 du code rural. Ce texte leur interdit toute cession ou sous-location de bail, à quelques exceptions près (familiales, sous-location pour des vacances...). En cas de manquement, le propriétaire est en droit de faire cesser le bail.
C'est ce qui est arrivé à Géronte. Cet agriculteur avait signé un bail en 1998 pour deux parcelles qu'il comptait exploiter. Mais en 2001, une neutropénie se déclare. En raison de cette maladie du sang, il ne peut plus utiliser de produits phyto-sanitaires. Il demande à un autre exploitant de prendre en charge tous ses traitements. En échange, il met les deux parcelles louées à sa disposition.
Lorsqu'il l'apprend, Valère, le propriétaire des terres, s'empresse de vouloir rétablir le bon droit. Il assigne Géronte devant le tribunal paritaire pour « cession de bail prohibée », une accusation susceptible de mener à la résiliation du bail comme le prévoit l'article L. 411-31 du code rural.
Ayant confié l'exploitation du bien à son voisin, Géronte a-t-il commis une cession de bail ? La justice doit trancher. Car, si Géronte ne nie pas avoir demandé à une tierce personne de s'occuper des terres, il invoque la force majeure que représente sa maladie. Et c'est l'article 1148 du code civil qui va devenir la pièce maîtresse de cette affaire. Selon cet article : « Il n'y a lieu à aucun dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. » Pour Géronte, sa maladie est un cas de force majeure, l'exonérant de ses obligations vis-à-vis du propriétaire.
Dans un premier temps, le tribunal paritaire des baux donne raison au propriétaire, en résiliant le bail indûment cédé. Mais Géronte fait appel du jugement. Et le juge d'appel prend position en sa faveur, retenant qu'un certificat médical établit bien la gravité de sa maladie et qu'en plus, il a dû employer un ouvrier agricole pour le seconder. Ce que le magistrat analyse comme un cas de force majeure. C'est ainsi qu'il rejette la résiliation et les dommages et intérêts réclamés par le bailleur.
Ce dernier se pourvoit alors devant la Cour de cassation, qui va sanctionner la cour d'appel pour n'avoir pas suffisamment caractérisé la force majeure. En effet, comme l'a rappelé le propriétaire dans son argumentaire, la force majeure doit être irrésistible. Cela signifie qu'aucune autre solution ne permet d'échapper à la situation.
Dans notre affaire, Géronte aurait dû être dans l'incapacité totale d'exploiter. Or, la Cour démontre que ce n'est pas le cas. Elle souligne d'abord que Géronte n'a pas été mis en invalidité. Il peut encore réaliser d'autres travaux que les traitements. La Cour retient aussi qu'il aurait pu adapter son tracteur et porter une protection spéciale pour pouvoir faire les traitements phyto malgré sa maladie. Ou alors, il aurait pu « recourir à un autre mode d'exploitation compatible avec son état de santé ». Des solutions coûteuses, certes, mais réalisables.
Pour la Cour de cassation en tout cas, il faut plus qu'une maladie pour invoquer la force majeure. C'est donc sur ce constat qu'elle casse le jugement d'appel et renvoie les parties devant une autre cour d'appel. Pour elle, la mise à disposition des terres louées s'apparente ici à une cession illicite de bail.
L'intérêt de cet arrêt est d'admettre les articles du code civil dans le règlement de contentieux relatifs aux baux ruraux. Il découle de cet arrêt que la jurisprudence s'éloigne du concept de base en matière de rupture de bail, à savoir des « agissements de nature à compromettre la bonne exploitation ».
Cour de cassation, 22 janvier 2014, n° 12-28246