Régime sec cette année dans le Languedoc-Roussillon. Dans l'ouest biterrois et la plaine narbonnaise, la pluviométrie a chuté à un niveau alarmant. « Depuis le début de l'année et jusqu'à la fin septembre, il n'est tombé que 160 mm à Leucate - entre Narbonne et Perpignan - et 200 mm dans la plaine narbonnaise. C'est la moitié des précipitations de l'an dernier. La récolte en a sévèrement pâti : les baies étaient minuscules et les rendements en jus misérables. Certaines parcelles n'ont pas été vendangées : les grains étaient si secs qu'ils n'auraient donné aucun jus », se désole Emmanuel Rouchaud, chef du service viticulture oenologie de la chambre d'agriculture de l'Aude.
La coopérative de Coursan, au nord-est de Narbonne, fait partie des caves les plus fortement touchées. Sa production a chuté de 30 % par rapport à l'an dernier. « Nous avions vinifié 200 000 hl en 2015. Cette année, nous avons péniblement rentré 140 000 hl », indique le président Jean-Pierre Garcia.
Ce lundi 19 septembre au matin, la petite récolte alimente les conversations des adhérents qui attendent devant la coop pour vider leurs bennes. Parmi eux, Arnaud Arquié, jeune viticulteur installé depuis deux ans sur 18 ha à Armissan, n'a livré qu'une demi-récolte. « Je ne suis pas assuré. Je ne sais pas comment je vais passer ce cap. Je me suis endetté pour le foncier. L'an dernier, j'ai obtenu une bonne récolte. J'ai acheté un tracteur. Pareille calamité en début d'installation, c'est désastreux », confie-t-il.
Cette coopérative est pourtant située dans l'une des zones les plus productives de la région. Mais cette année, elle cumule les handicaps : gel au printemps, sécheresse aggravée par des vents desséchants en été, remontée de sel, mildiou et températures caniculaires en septembre... Tous les éléments se sont conjugués pour faire de cette vendange la plus petite jamais récoltée par la cave. « Je suis président depuis vingt ans et je n'ai jamais vu ça », lâche Jean-Pierre Garcia.
Même constat à la cave d'Abeilhan, dans l'Hérault. « Nous sommes à l'épicentre de la zone de très forte sécheresse. En blanc, nos volumes sont en recul de 15 à 20 %, en rouge, on va perdre 30 % sur quelques cépages. Après trois années de sécheresse, certaines parcelles sont en survie », s'inquiète le président Didier Boyer.
Dans le bassin de Thau, à l'est de Béziers, Joseph Albajan, propriétaire du domaine de La Mirande (35 ha), à Castelnau-de-Guers, est aussi consterné. « Fin mai, les vignes étaient de toute beauté. Il y avait une belle charge. Mais à partir de juin, on n'a plus eu une goutte de pluie. Le forage, avec lequel j'irrigue 2 ha au goutte à goutte, était à sec. J'en ai connu des sécheresses, mais jamais comme celle-ci. »
Face à ces désordres climatiques, viticulteurs et oenologues ont dû adapter leurs pratiques. « Nous avons augmenté la fréquence de battage de la machine à vendanger tout en réduisant la vitesse d'avancement pour décrocher les raisins », indique Jean-Pierre Garcia. « Pour la première fois, j'ai été obligé de pousser manuellement les raisins pour les faire tomber des bennes à vendange. Il n'y avait pas assez de jus pour les entraîner », constate un viticulteur qui exploite 40 hectares de vigne à Béziers et à Maureilhan.
Les très fortes chaleurs de la fin de l'été ont précipité la maturation des raisins, réduisant les habituels écarts entre les cépages. « Les pinots ont pris deux degrés en une semaine, les merlots sont arrivés à maturité en même temps que les chardonnays. Il y a eu surchauffe dans le planning des apports. Habituellement, on finit de réceptionner la vendange à 11 heures du matin. Cette année, à 17 heures, il arrivait encore des bennes. Alors que nos vendanges s'étalent sur six semaines, cette année nous les avons menées au pas de charge en quatre semaines », témoigne Jean-Pierre Garcia.
Dans les chais, les oenologues ont dû faire preuve de vigilance. « On a surveillé de près les fermentations alcooliques. Elles étaient plus délicates à cause des températures élevées et de la richesse en sucre des raisins. Dès que les fermentations ralentissaient anormalement dans une cuve, on l'assemblait avec un autre lot en départ de fermentation pour relancer les levures », témoigne Sébastien Boyer, le directeur de la cave de Coursan.
Le titre alcoométrique des vins de la cave est en hausse moyenne de 1 % vol. Les AOP affichent même 2 % vol. de plus que d'habitude. « On a diminué par quatre notre consommation de MCR », poursuit l'oenologue.
Ce millésime s'est bien prêté à l'élaboration des rouges traditionnels qui sont concentrés et structurés. Mais la tâche fut plus compliquée avec les rosés. « Nous avions des raisins très mûrs qui n'étaient pas idéals pour obtenir les vins fruités, frais et pâles que nos clients souhaitent. On a précipité le ramassage pour qu'ils ne prennent pas trop de couleur et raccourci le temps de transfert des jus. Il a fallu jongler avec le matériel et le planning des apports », précise-t-il.
Joseph Albajan a, lui aussi, peiné pour obtenir des picpouls dans la lignée de ceux qu'il produit habituellement. « Les vinifications nous ont coûté cher. Notre nouvelle installation de froid a tourné jour et nuit. Certains raisins étaient brûlés par le soleil, notamment les roussannes et grenaches blancs. Pour corriger la couleur de ces cuvées, nous les avons collées à la bentonite en cours de fermentation alcoolique, puis traitées avec 20 g/hl avec la PVPP. » À l'arrivée, il est satisfait des résultats obtenus.
Conséquence de la baisse des volumes, les frais de vinification en cave coop vont mathématiquement progresser : « On va passer de 15 à 20 €/hl. Ce sera un nouveau coup de ciseau dans les revenus des adhérents, déjà amputés par la baisse de leurs apports », souligne le président de la cave de Coursan.
Cette récolte chétive s'annonce également comme un casse-tête commercial. « Depuis trois ans, je manque de picpoul. Un client anglais me prenait 85 000 cols par an. Cette année, il m'en a demandé 100 000. Il va falloir que je le rationne. Je ne vais pas augmenter mes prix et je vais partager le déficit entre mes différents marchés », indique Joseph Albajan.
La cave de Coursan se trouve confrontée à la même situation. « On ne pourra pas fournir tous les volumes qu'on nous a réservés. On appliquera un même taux de réfaction à chacun de nos clients », annonce le président. La cave a privilégié la production de vins de Pays d'Oc au détriment des vins de France. « L'an dernier, on avait pu produire 30 000 hl de VSIG. Cette année, on n'en a pas une goutte », confie le directeur.
Les prix quant à eux devraient se maintenir. « J'ai réduit mes ventes en raisin car on me proposait un prix 10 % inférieur à l'an dernier. J'ai bien fait : il semblerait qu'on démarre la campagne avec des cours similaires à l'an dernier pour les vins », avance un vigneron.
Malgré cela, l'année risque d'être compliquée pour certains producteurs. Le Syndicat des vignerons de l'Aude et Coop de France a déjà pris contact avec les banques, la MSA et l'administration afin de réclamer des mesures d'accompagnement pour les viticulteurs et les caves en souffrance.
Une récolte historiquement basse
Dans ses dernières prévisions, la Draaf annonce 12,1 millions d'hectolitres en Languedoc-Roussillon (Aude : 3,5 Mhl, Gard : 3,3 Mhl, Hérault : 4,7 Mhl et Pyrénées-Orientales : 0,6 Mhl). Cette récolte serait la plus petite de ces six dernières années et inférieure de 11 % à celle de l'an dernier. « Les secteurs littoraux de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales sont particulièrement sinistrés, alors que l'Est héraultais, le Gard et l'Ouest audois sont moins touchés par le stress hydrique », note la Draaf. L'ICV est encore plus pessimiste : il prévoit seulement 11,3 Mhl, la plus faible récolte de tous les temps. L'Hérault enregistrerait un nouveau record à la baisse avec seulement 4,4 Mhl, soit 3 % de moins que la famélique récolte de 2009 et 13 % en dessous de la moyenne des dix dernières années ! « Par rapport à 2014, la récolte est légèrement supérieure dans l'Ouest de l'Hérault qui avait été très affecté. Mais cette année-là, les autres secteurs (Est, coteaux) avaient une belle récolte qui compensait un peu la baisse des volumes. Ce n'est pas le cas cette année, toutes les zones du département présentant une récolte faible », précise le groupe de conseil oenologique.
Année blanche pour les investissements
Conséquence directe de cette petite récolte, il y aura des coupes sombres dans les investissements en 2017. « On investit en moyenne 500 000 € par an dans la cave. L'an dernier, après la belle récolte 2015, nous avions porté ce montant à 750 000 € pour nous équiper d'une centrifugeuse, refaire des revêtements époxy et augmenter notre capacité de froid. Mais l'an prochain, avec un chiffre d'affaires en recul de 6 millions d'euros, on va se contenter du strict minimum », assure Jean-Pierre Garcia, président de la coopérative de Coursan, dans l'Aude.
Un viticulteur qui exploite 40 ha dans le Biterrois est dans les mêmes dispositions : « Je vais avoir des difficultés pour rembourser mes investissements de l'an dernier. 2017, ce sera une année blanche, sans aucune nouvelle dépense ». « C'est toute la filière qui va trinquer », prédit Joseph Albajan, viticulteur à Castelnau-de-Guers.