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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Quand la reprise pour exploitation passe mal

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°291 - novembre 2016 - page 96

Un fermier a contesté la reprise de son exploitation par son bailleur. Il lui reprochait de ne pas être capable d'exploiter ses terres. En voulant démontrer le contraire, le bailleur a donné une occasion au juge de le sanctionner.

Devenu familier dans le monde agricole, le contrôle des structures vise à faire obstacle au trop grand développement des exploitations agricoles ou, au contraire, à leur disparition. C'est ainsi que chaque propriétaire y est soumis dès lors qu'il souhaite reprendre, pour la travailler lui-même, une parcelle qu'il a louée.

Ce propriétaire doit respecter l'article L 411-59 du code rural, c'est-à-dire avoir une expérience ou un diplôme agricole. Il doit en outre assurer lui-même l'exploitation du bien et « posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir ». Enfin, la loi lui impose d'habiter la ferme reprise ou de s'en faire dispenser par le tribunal.

C'est ainsi que le 28 janvier 2013, Alceste, propriétaire de plusieurs parcelles, signifie son congé à Philinte qui avait ses terres à bail. Alceste voulait reprendre une activité agricole, mais son fermier s'y oppose. Ce dernier juge qu'il ne remplit pas « les conditions prescrites pour la reprise », laquelle est prévue pour le 30 septembre 2015.

Il fait donc appel à la justice. Ses avocats ont tenté plusieurs pistes pour faire valoir ses droits. Philinte estime notamment qu'Alceste n'a pas la qualification nécessaire. Pourtant, ce dernier « justifie être inscrit à la MSA en qualité de chef d'exploitation [...] et être titulaire d'un brevet d'études professionnelles agricoles ». Mais son locataire le conteste. Il aurait même évoqué devant la cour le fait qu'Alceste « dissimule sa profession et ses revenus », mais sans pouvoir le prouver.

Il est vrai que pour se défendre, Alceste s'est bien organisé. En 2008, il a fait constater par huissier que des bâtiments et matériels ont été mis à sa disposition par son père pour l'aider à exploiter les terres. Il assure aussi posséder un tracteur, preuve en est la carte grise du véhicule datée du 1er septembre 2013. Ces deux éléments causeront sa perte comme nous le verrons plus tard.

L'autre argument tenté par les avocats de Philinte porte sur la surface. Le repreneur est en effet soumis à autorisation dès lors que la reprise concerne « les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles [...] lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé » par le préfet de région (article L 331-2 du code rural).

Philinte tente par ce biais de faire annuler le congé en prétextant que les terres reprises ajoutées à celles déjà détenues par Alceste dépassent le plafond imposé. Mais il a suffi au magistrat de faire les comptes pour juger du contraire. Alceste exploite déjà un peu plus de 5 ha qui lui appartiennent. Il loue presque 19 ha à Philinte. Le tout atteint 24,21 ha, loin du seuil de 72 ha alors en vigueur dans la région. Tous ces arguments sont donc rejetés par la cour d'appel. Philinte en est réduit à porter l'affaire devant la cour suprême en ce 12 mai 2016. Et il a bien fait car le juge de Cassation va contester la légitimité du congé.

Cette fois, les avocats de Philinte ont trouvé la faille : elle se situe dans les dates. En effet, pour qu'une reprise soit effective, il faut que ses conditions soient appréciées « à la date d'effet de celle-ci ». Or, comme nous l'avons vu plus haut, le constat d'huissier selon lequel le père d'Alceste avait mis à la disposition de son fils bâtiment et matériel agricole date du 25 septembre 2008. De même, la carte grise du tracteur remonte au 1er septembre 2013. Or, le bail doit prendre fin le 30 septembre 2015.

Comme le rappelle le juge, « les conditions de la reprise doivent s'apprécier à la date d'effet de celle-ci ». Il ne peut donc pas valider un tel congé. Il casse alors la décision de la cour d'appel et renvoie les parties devant la même juridiction. Alceste devra encore attendre et fournir des preuves plus convaincantes, avant de pouvoir reprendre ses terres.

Cour de cassation n° 15-16840, 12 mai 2016.

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